Blues-Rock |
Dès 1966, les Kinks leur consacraient un titre, l’acerbe “Session Man”: les requins, tels qu’on les nomme de ce côté-ci du Channel. “He’s not paid to think, just play” leur adressait alors un Ray Davies, sans doute encore piqué au vif par les allégations selon lesquelles ce n’aurait pas été son petit frère qui exécutait le solo de “You Really Got me”, mais un certain Jimmy Page. Jusqu’à ce guitar-hero pourtant unanimement consacré qu’est Joe Perry, qui confessa récemment que sur le premier Aerosmith, il avait eu recours aux bons soins de Dick Wagner pour le solo de “Train Kept A Rollin'”. Ah, c’est un job ingrat que celui qui consiste à accompagner dans l’ombre des studios ou de la scène les vedettes qui captent les feux de la rampe. Mais que voulez-vous, quand on veut vivre de la musique, le choix est mince. Soit on tente le jackpot à la roulette russe en visant les charts sous son propre nom, en croisant les doigts pour que non seulement ça paie, mais surtout que ça dure…, ou alors, on la joue “secure”, et on pointe aux studios de Billancourt ou d’ailleurs, au cacheton.
Ces mercenaires n’en ont pas moins une âme, qu’ils enragent le plus souvent de ne pouvoir exprimer au grand jour, autrement qu’en jouant les utilités sur les compos des autres. Chacun des COUNTY JELS (les initiales de leurs prénoms respectifs) aligne un CV impressionnant dans ce registre: les guitaristes Éric Sauviat et Sébastien Chouard ont ainsi accompagné Cabrel, Renaud, Willy de Ville, De Palmas, Sinclair ou encore Florent Pagny. Quant au bassiste Laurent Cokelaere, cette chronique ne suffirait pas à énumérer ses références, de même que le batteur Julien Audigier (Lucky Peterson, Izia, Martha High, mais aussi Hélène Ségara!)… Quand quatre requins se rencontrent, qu’est-ce qu’ils se racontent…? Des histoires de requins…? Tu parles, non, ils se mettent à jammer, bien entendu. Et la plupart du temps, ça ne sort pas du cercle des roadies ou de leurs familles et amis, voilà tout. Mais cette fois, c’est différent: ces quatre lascars, n’ayant plus grand chose à prouver sur le plan de la virtuosité, se sont piqués d’enregistrer un plein album de leurs propres compositions. Et tandis qu’au mitan des seventies, de l’autre côté de l’Atlantique, on aurait pu craindre le pire en pareille circonstance, cette rondelle surprend, en bien…! C’est clair, ces garçons aiment leur rock-blues avec de vraies tranches de guitare dedans. Avec sa wah-wah hérissée en schrapnel et son riff digne des premiers Gov’t Mule, le monstrueux “Strangers” se détache indéniablement du lot, mais “Lucie” affiche aussi une belle touche Layla/Hendrix/Allman, tandis que l’instrumental “Instrudo” lorgne vers Grant Green, de même “Baby Please Come Down” vers J.J. Cale, (avec la touche Skynyrd de rigueur, comme “Losing You” et la plage éponyme). Quant à la seule véritable jam (“Dead Rat Jam”), elle évoque sans rougir le divin Jeff Beck de “Blow By Blow”. À l’arrivée, un disque qui évite à la fois le piège de la démonstration stérile et celui du combat d’egos. Si ça se trouve, les zicos endimanchés du “N’Oubliez Pas Les Paroles” de Nagui en ont autant sous le pied, et on ne le saura jamais. En tout cas, chapeau, Messieurs: c’est tellement bon que je me le remets!
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Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder
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