CHRIS REA – Era 1 – 1978-1984

Magnet / Rhino / Warner
Pop, Rock
CHRIS REA - Era 1 - 1978-1984

Quelle riche idée (parfois) que d’aborder la trajectoire d’un artiste par la bande. Devenu au fil du temps un conséquent vendeur d’albums, Chris Rea ne s’en est pas moins d’abord imposé par une martingale de singles, bénéficiant pour la plupart d’une heavy rotation sur les radios FM. Fortement influencé à ses débuts par ce yacht-rock dont les Eagles et Steely Dan étaient alors les parangons (“Fool If You Think It’s Over”, “Whatever Happened To Benny Santini”, “Three Angels”, “Diamonds”, “Cleveland Calling”, “Raincoat And A Rose”, “No Qualifications”, “Don’t Look Back”…), Rea fit d’emblée montre d’un infaillible flair pop, en direction de ce nouveau public d’ex-teeny boppers soudain devenus adultes (avec les traites sur l’appartement et la voiture qu’implique toute reddition précoce aux lois du système). L’offre et la demande en somme, comme l’eût ânonné ce vieil incontinent cynique de Keynes. Dès le pourtant bien calibré “Tennis” (à la B-Side entre Hall & Oates et Christopher Cross), on sentait toutefois poindre le museau et les oreilles d’une personnalité moins lisse qu’il n’y paraissait. On était certes encore loin de “Auberge” et “The Road To Hell”, mais avant même que sa voix n’épousât ce timbre papier de verre qui établit ensuite sa marque de fabrique, quelque chose d’équivoque et de confusément inquiétant commençait déjà à sourdre sous le vernis lustré. “Dancing Girls”, “One Sweet And Tender Touch” et “Let Me Be The One” n’auraient ainsi pas déparé les registres d’un Willy De Ville ou d’un Southside Johnny  à leur pinacle, et même si l’instrumental “Friends Across The Water” et “I Don’t Know What It Is But I Love It” élançaient encore leurs cannes vers le marigot reggae-pop synthétique des discutables Sting et Knopfler, on subodorait déjà chez Rea les prémisses d’une aspiration tranquille à la J.J. Cale (comme en attestait déjà le languide “Mystery Man”). N’hésitant pas à assaisonner d’une touche tex-mex des titres en español tels que “Ye No Te Veo Nunca Mas” (ou encore le latino “Sierra Sierra”), notre homme Chris commença dès lors à assumer son larynx de fumeur invétéré pour délivrer un chant plus abrasif. Des ballades telles que “Let Me Be The One” y gagnèrent en testostérone, lorgnant dès lors davantage vers le Springsteen de “The River” que du coté des garçons coiffeurs alors en vogue. En 1981 (dont provient l’essentiel du CD n°2), il empiéta même sur les travées du Robert Palmer pré-“Clues” (tombé depuis dans l’oubli, alors que son album “Secrets” mériterait pourtant une légitime réhabilitation) avec des blue-eyed soul numbers aussi imparables que “Do You Still Dream”. Alors, en dépit de registres au départ similaires, qu’est-ce donc qui distingue, au bout du compte, Chris Rea de Dire Straits (pour continuer à boxer dans la même catégorie)? Au moins deux choses: si les deux marques déposées usèrent et abusèrent certes de ces abominables synthés et beat-machines qui estampillèrent les funestes eighties de manière plus indélébile que le carbone 14, Rea disposait pour sa part d’un jeu de slide dont le répertoire de la bande à Knopfler (pourtant bien pourvue en matière de six cordes) s’avérait moins féru (cf. le furibard  et stonien en diable “Members Only”). Et puis surtout, il faut bien l’admettre avec le recul, ce bougre de Chris était doté dès ses débuts d’une plume plus alerte, diversifiée et constante que celle de Knopfler, chez qui même les hits s’avéraient trop souvent prétextes à de désuettes rodomontades. Moralité: une bonne part de ceci a plutôt bien vieilli (si l’on excepte toutefois la pénible B.O. du film “Cross Country”, réminiscente du pire de Jean-Pierre Mader), et peut encore s’écouter toute honte bue. Si seulement les années 80 avaient pu limiter la casse à Huey Lewis et cette brochette de singles, on n’en serait sans doute pas réduit à continuer de les honnir à ce point. Disponible en digipack 3 CDs, streaming et téléchargement. Pour paraphraser Zorrino dans “Le Temple Du Soleil”: “quand Rhino content, Rhino toujours faire ainsi”. Et comme disait le Journal de Tintin: à suivre (puisque la maison Warner en annonce une).

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, November 24th 2020