CHARLIE WATTS – ANTHOLOGY

BMG
Jazz
CHARLIE WATTS - ANTHOLOGY

Secret de polichinelle: le batteur du “plus-grand-groupe-de-rock-du-monde” était féru de jazz. Et non seulement, Charlie en écouta assidûment sa vie durant, mais il le pratiquait avec passion en marge de ses lucratives activités alimentaires auprès des Glimmer Twins. Près de deux ans déjà après sa disparition (le 24 août 2021), voici donc levé le voile semi-confidentiel que revêtit longtemps cette dimension essentielle du personnage. Bien qu’ancrée dans son adolescence, il lui fallut près d’un quart de siècle avant de pouvoir faire le coming out de cette lubie, lors de son “Live At Fulham Town Hall”, paru en 1986 sous l’enseigne du Charlie Watts Orchestra. Entre deux méga-tournées mondiales destinées à faire tomber les records d’affluence de la bande à Micksou, ce good Charlie tonight  trouva encore le temps de proposer “From One Charlie” et “A Tribute To Charlie Parker With Strings” (en 91 et 92), ainsi que “Warm And Tender” et “Long Ago And Far Away” (en 93 et 96), le “Charlie Watts & Jim Keltner Project” en 2000, et le “Watts At Scott’s” en 2004 (au légendaire jazz club londonien du même nom). L’impressionnant Bernard Fowler (plus connu jusqu’alors en tant que backing singer chez les Stones) illumine ici “If I Should Lose You”, “My Ship”, “Long Ago (And Far Away)”, “Good Morning Heartache” et “Never Let Me Go”, mais en termes de casting, on se souviendra que l’ami d’enfance de Charlie, le contrebassiste Dave Green, mais aussi le trompettiste Gerard Presencer et le saxophoniste Courtney Pine furent tous du voyage, ainsi qu’un autre cador des quatre cordes du nom de Jack Bruce. Pour le reste, les seules similitudes entre ce versant méconnu de la carrière de Charlie et l’autre tiennent en deux points: son fameux kit Gretsch de luxe, et surtout ce dogme imprescriptible: aucun solo de batterie! Si les expérimentations semi-électro réalisées avec Jim Keltner s’apparentent davantage au registre du Tom Tom Club et des Talking Heads de “Remain In Light”, on s’étonnera de ne trouver ici aucun extrait du live “The ABC & D Of Boogie Woogie” capté à Paris voici une dizaine d’années, en compagnie des pianistes Axel Zwingerberger et Ben Waters. Au fil d’un répertoire majoritairement emprunté à ses héros (Charlie Parker, Duke Ellington, Billy Strayhorn et George Gershwin), ne vous attendez donc pas à retrouver ici les toms chaloupés de “Gimme Shelter”, “Brown Sugar” ou “Honky Tonk Woman”: ici, Charlie frise essentiellement des balais sur la snare, et chabalise à loisir sur la ride (à l’opposé de la frappe désolidarisée entre caisse claire et charley qui établit sa marque chez les Stones). Si vous pensiez encore que sa mise soignée de dandy urbain n’était qu’un artifice, vous voici détrompé: l’élégance de Charlie n’était que la traduction vestimentaire de ses goûts musicaux avertis. Seul bémol à cette compilation chiadée (qui présente en outre trois inédits captés en public en 1978 au Swindon Arts Center): même si la plupart de ses acquéreurs ne s’en apercevront sans doute pas, la photo qui orne son artwork (signée Anton Corbijn) est inversée. C’est Ringo qui était gaucher (certes contrarié), pas Charlie: comparez avec n’importe quel cliché de Ian Paice en action. Le genre de détail qui permettait jadis aux fureteurs de repérer une compile suspecte de Hendrix en tête de gondole (si son manche de guitare y pointait sur la pochette vers sa gauche, il était probable que le reste fût à l’avenant). Mais qui s’arrête encore à ce genre de détails, de nos jours? En attendant, voici donc une autre occasion de le revendiquer ad æternam: moi aussi, je suis Charlie!

Patrick DALLONGEVILLE
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, June 17th 2023

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