CHARLES LLOYD – TRIOS – Chapel

Blue Note
Jazz
CHARLES LLOYD – TRIOS - Chapel

En dépit de sa mine débonnaire et de son bonnet de mineur, Charles Lloyd n’est pas un rigolo. À moins de considérer aussi Bill Frisell comme tel, puisque cet album (le premier d’une trilogie malicieusement intitulée “Trio Of Trios”) les présente à nouveau côte à côte, en compagnie du bassiste Thomas Morgan. Nos deux comparses collaborent depuis une demi-décennie déjà au sein de The Marvels, quintette avec lequel ils nous ont déjà gratifiés de trois livraisons sur le même label. Alors qu’il avait déjà passé son 80ème anniversaire, l’infatigable Charles s’est donc produit en trio avec ces deux-là le 8 décembre 2018, lors de l’inauguration de la Elizabeth Huth Coates Chapel, à la Southwest School of Art de San Antonio, Texas. L’acoustique du lieu ne se prêtant guère à la volubilité d’une batterie, ce fut l’occasion d’une session intime, où le recueillement du public se prêtait à toutes les subtilités. S’ouvrant mezzo voce sur une version du “Blood Count” que signa Billy Strayhorn pour Johnny Hodges, cette captation permet à chacun des protagonistes de déployer progressivement ses arguments: tandis que les anches de Charles déroulent ces langoureuses arabesques qui caractérisent son jeu, Frisell s’y contente d’arpèges en retrait, tandis que Morgan attend son heure. Celle-ci vient avec “Song My Lady Sings”, une slow waltz de Lloyd datant de 1966 (dans l’esprit du “Someday My Prince Will Come” de Frank Churchill, dont Miles Davis, Bill Evans et Dave Brubeck se repurent en leur temps), sur l’introduction de laquelle son auteur cède généreusement le pas à ses deux complices près de quatre minutes durant. Œuvre du compositeur et pianiste cubain Bola de Nieve, le non moins langoureux “Ay Amor” autorise au sax tenor de Lloyd quelques furtives audaces électro-acoustiques, tandis que Frisell y reprend son jeu en fond de court avec phasing. Optant pour la flûte (son autre instrument de prédilection), Charles entame ensuite “Beyond Darkness” comme on part à l’aventure, et ses deux interlocuteurs lui emboîtent le pas sans faillir (écoutez-y donc Frisell en apesanteur, tandis que Morgan lui fait la courte échelle). Magistralement introduit par les six cordes de Bill (dans la veine délicate d’un Tal Farlow, quand ce dernier daignait parfois lever le pied), “Dorotea’s Studio” (dédié à la compagne de Charles, Dorothy Darr) évolue en un singulier boléro cubain au fur et à mesure que le saxo s’en empare. Frisell et Morgan ne s’en laissent pas conter, et en épousent à leur tour le déhanché. Ce n’est pas parce qu’ils ne sont pas des rigolos que ces gens ne savent pas s’amuser, et ils le prouvent en concluant sur un riff de cha-cha-cha. Vivement la suite!

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, September 19th 2022

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