Pop |
Sans doute davantage encore que d’autres artistes de large audience, Cat Stevens est trop souvent aimé ou détesté pour de mauvaises raisons. Certes, nombre de ses lyrics moralisto-gnangnans auraient pu faire passer ceux de George Harrison pour des brûlots situationnistes, et ne plaident guère en sa faveur. Mais il faut aussi se souvenir qu’à pas même vingt ans (et tandis qu’on lui faisait ânonner à Top of The Pops des insanités telles que “I Love My Dog”), ce fils de restaurateurs grecs immigrés londoniens signait l’imparable “First Cut Is The Deepest”, ballade digne des Walker Brothers et hit planétaire pour P.P. Arnold (reprise entre autres par Love Affair et un certain Rod Stewart). Cornaqué ensuite par Paul Samwell-Smith (ex-Yardbirds), il commit un brelan de hit-albums destinés à côtoyer dans les chaumières bien nées ceux de Simon & Garfunkel. Qu’il ait alors culbuté de fameuses groupies telles que Patti d’Arbanville (il en fit un hit) ou Carly Simon ne soustrait rien à la valeur intrinsèque de “Tea For The Tillerman”, “Teaser & The Firecat” et “Mona Bone Jakon”. Las, comme nombre d’autres icônes pop des early-seventies, son mysticisme sous-jacent finit par prendre l’ascendant sur son talent, et sa conversion finale à la religion de Mahomet signala le crépuscule de sa créativité. Pour son ultime album avant une retraite qui dura un quart de siècle, il battit le rappel de la wrecking-crew qui officiait sur ses albums fondateurs (Alun Davies aux guitares, Gerry Conway aux drums, ou encore Jean Roussel aux claviers), mais sa flamme originelle semblait définitivement enfuie. Sans direction réelle, et oscillant entre sous-Steely Dan funky (ces instrumentaux poussifs), Stones égarés (“Bad Breaks”) et rogatons de sa splendeur passée (“Just Another Night”, “Randy”, ou le bien intitulé “Never”), Yusuf-le-Cat semblait alors destiné à ne susciter que peu de regrets avant de quitter la scène. Qu’à cela ne tienne, Murray Head et James Blunt reprirent ensuite son flambeau de charmeur des ménagères, et Cat Stevens vécut apparemment heureux entre deux fatwas. Quatre décennies plus tard, la réédition de cet album n’engendre par conséquent guère mieux que de la perplexité… Comme le suggérait le titre de son prédécesseur: “Izitso”?
Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder
PARIS-MOVE, November 15th 2019