Classic Rock, Pop |

Qu’il semble loin, le temps où l’on pouvait découvrir de nouveaux groupes ou artistes tous les mois… De nos jours, avec leur prolifération (et l’effet démultiplicateur des réseaux sociaux), on a l’impression funeste d’un feu d’artifice permanent, duquel on est souvent bien en peine de détacher quelque impression saillante. D’où le caractère de plus en plus fugace et éphémère de nos révélations. Que deviennent en effet certaines yesterdays’ crazes telles que Beechwood ou les Bloodhounds? Et que fabriquent de nos jours des comètes tels que Jude et Anna Calvi? Dans cet incessant ball-trap, nombre d’impétrants abjurent leurs illusions dès leur premier tour de piste, et bien peu s’avèrent suffisamment téméraires ou déterminés pour repartir à l’assaut des obstacles infranchissables que leur dresse un music-bizness (si l’on peut même encore le désigner ainsi) plus que jamais obnubilé par un retour sur investissement à court terme. On se souvient des Golliwogs des frères Fogerty, ou encore des In-Betweens, contraints de mariner des années durant dans les antichambres du succès, avant de cartonner enfin sous les appellations de Creedence Clearwater Revival et de Slade. La saga de Cardinal Black a tout de ces parcours de résilience et d’obstination. À l’orée 2010, un trio Gallois de Cardiff, mené par un improbable teenage guitar-wonder du nom de Chris Buck, attire l’attention du vétéran Steve Winwood. Les complices de ce ludion se nomment Tom Hollister (chant, basse) et Adam Roberts (batterie). Le manager de Guns & Roses entre alors en lice, et leur propose une séance d’enregistrement en Arizona, dans la perspective d’un premier album qui ne verra finalement jamais le jour. Déception compréhensible des principaux intéressés, split et amertume: le lot commun des sempiternels refoulés du ventre de la baleine, en somme… Buck se taille alors un petit succès personnel en épatant un temps la galerie avec ses propres showcases et tutos sur Youtube, tandis ses complices originels retournent pointer entre day-jobs aliénants et maigres allocations… Intervient alors ce séisme que l’on appela COVID, et nos trois amis en profitent pour renouer contact via le web, comme tant d’autres. En résulte dès 2021 un nouveau single, “Tell Me How It Feels” (leur premier sous l’appellation de Cardinal Black), et le miracle se produit enfin: détrônant de leur première place dans les charts les High Flying Birds de Noel Gallagher (sur Itunes et Amazon), notre trio se voit proposer cette fois d’enregistrer dans les fameux studios Abbey Road. L’album qui en découle en 2022, “January Came Close”, leur vaut de tourner intensivement en Europe, poussant même jusqu’à trois dates aux States (le “Live At The Memo” de l’an dernier témoigne ainsi de l’impressionnante cohésion du band sur scène). Désormais suppléé à la basse par l’efficient Sam Williams, l’imposant Tom Hollister assume le rôle de frontman ursidé, tandis qu’à ses côtés, le turgescent Chris Buck ne manque jamais une occasion de décocher de ces choruses fleurant leurs sept décennies d’anthologie de l’électricité rock. Introduit par d’intrigants flûtiaux synthétiques, “Ride Home” confirme d’emblée l’un des vocalistes les plus inspirés depuis Adam Duritz de Counting Crows, Gary Brooker de Procol Harum, et certes, Steve Winwood himself. À ses côtés, le sémillant Buck se contente dans un premier temps (comme sur “Falling”) de power-chords efficients, et on devine que pour ce second effort, la formation mise avant tout sur les mélodies et les arrangements. Ce que confirme le mid-tempo “Racing Cars” (avec son mix de piano et d’orgue que n’aurait pas dénié le funeste Phil Collins). Risquant inconsidérément la comparaison, “Breathe” n’évoque heureusement pas son homonyme chez Pink Floyd, mais plutôt le premier album solo de Peter Gabriel (alors produit par Bob Ezrin), avec ses chœurs célestes et le solo d’un Chris Buck enfin libéré de sa gangue. Autre homonyme inopiné, “Keep On Running” n’a rien à voir avec le titre éponyme du Spencer Davis Group, et Buck y prend un chorus résonnant comme un hommage appuyé au regretté Jeff Beck. Proche avec ses chœurs gospel du “Walking In Memphis” de Marc Cohn, la ballade évanescente “Morning Light” évolue selon un crescendo où Buck s’autorise enfin un de ces soli terrassants qui ont établi sa renommée (et expliquent ainsi son adoubement par Slash et Myles Kennedy en personne). “Holding My Breath”, avec ses accointances avec Midnight Oil, est à nouveau sauvé des eaux par ces six cordes qui en remontrent jusqu’au Mark Knopfler de “Communiqué”. Le touchant et aérien “Push/Pull” accentue encore la similitude avec l’archange Gabriel, avant qu'”Adeline” ne renvoie collectivement à Al Stewart, Chris De Burgh, Leo Sayer et Gerry Rafferty, et que “Need More Time” ne flirte avec le Rod Stewart période Faces et les early-Black Crowes (soit avec les Rolling Sonotones de 71-72). En guise d’apothéose, “Your Spark (Blows Me To Pieces)” semble promis à un airplay intensif, tandis que le leader putatif s’y fend de deux choruses d’une concision n’excluant pas la fulgurance. Misant davantage sur son vocaliste surdoué que sur le guitar-hero en son sein, voici donc l’inopiné grand disque de classic rock de 2025. Sans nostalgie surjouée, mais avec ce qu’il faut de sang neuf et d’inspiration pour laisser entrevoir un futur à ce genre pourtant cent fois enterré… L’avenir proche nous dira si Cardinal Black n’aura finalement constitué qu’un nouveau feu de paille, ou au contraire une véritable renaissance. En attendant, voici déjà l’un des plus inattendus albums de l’année, et ce n’est déjà pas si mal.
Patrick DALLONGEVILLE
Paris-Move, Illico & BluesBoarder, Blues & Co
PARIS-MOVE, July 1st 2025
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