BRET McKENZIE – Songs Without Jokes

Sub Pop / Modulor
Pop
BRET McKENZIE - Songs Without Jokes

Bien que relativement méconnu sous nos latitudes (si ce n’est auprès des abonnés à TPS Star), Bret McKenzie n’en est pas moins une vedette de la télévision dans son pays (la Nouvelle-Zélande), ainsi qu’au Québec et dans une bonne partie des États-Unis, par le truchement de la populaire série comique “Flight Of The Conchords”, qui l’a révélé voici une quinzaine d’années. Peu de ses fans savent toutefois qu’il fut à ses débuts le claviériste du combo reggae néo-zélandais “The Black Seeds”, car en dépit du caractère satirique de la série à laquelle il participe (narrant les tribulations d’un orchestre issu du pays des kiwis, et parti tenter fortune à New-York), Bret s’avère de fait un multi-instrumentiste doué, et un auteur compositeur dont les faits d’armes alignent déjà quelques ronflantes B.O. de films et de séries (de “Muppets le Retour” au “Seigneur Des Anneaux”, en passant par les Simpsons). Pour son premier véritable album solo, ce trublion invétéré prétend n’avoir concocté que des “chansons sans blagues”, mais son artwork façon Monthy Python autoriserait toutefois à en douter. Dès le “This World” (“is broken”) d’ouverture, on reconnaît en effet la verve tongue-in-cheek du Randy Newman de “Short People”, tandis qu’une fanfare néo-orléanaise et des chœurs façon Broadway en soulignent l’acerbe ironie. Pastiche de l’Elton John de “Crocodile Rock” (accentué par une réverberation rétro et le martèlement qu’y imprime Bret à son piano), “If You Wanna Go” achève de donner le ton: adepte des premiers Steely Dan, McKenzie se révèle capable d’endosser, à l’instar de ces derniers, les identités disparates que nécessite son inspiration éclectique. Avec leurs touches de synthé et leur beat métronomique, “Dave’s Place”, “Here For You” et “America Goodbye” endossent ainsi une touche late seventies FM (mâtinée d’un sens mélodique à la Dwight Twilley), tandis que “Tomorrow Today” en fait autant avec les Cars, et que “That’s L.A.” incarne sans doute l’une des plus convaincantes résurgences du yacht rock depuis… Bon sang, mais c’est bien sûr: depuis Steely Dan, pardi! Les nostalgiques d’Eric Carmen risquent de faire sous eux en découvrant la piano driven tango ballad “Up In Smoke”, qui semble cousue main pour les génériques conclusifs de blockbusters lacrymaux (on parie qu’elle y aboutira?). Quant à ceux d’America et de cet abruti de Graham Nash, “Carry On” (sans rapport cependant avec son homonyme chez CSNY) et “Crazy Times” leur referont la cerise à coup sûr. Précisons aux moins anglophones de nos lecteurs que “A Little Tune” ne traite pas de la précarité économique, mais réintroduit ce ragtime feel si cher à McCartney (“Honey Pie”, “When I’m 64”, etc.) et Gilbert O’Sullivan. C’est simple, on s’attend presque à ce que ce brave Fred Astaire passe y exécuter quelques claquettes, tandis que l’on se demande si le fantôme de Buddy Bolden ne se serait pas glissé parmi la section de cuivres. À l’arrivée, si l’on ne pouffe certes pas toutes les cinq secondes, voici un disque éminemment délectable pour quiconque aime se prêter au jeu des références. En contournant savamment l’écueil du simple plagiat (suivez mon strabisme), McKenzie accomplit le prodige de produire en 2022 le meilleur album du début de ces foutues années 80 (qui nous infligèrent tout de même Nick Kershaw et Kenny Loggins). Comme disait Sabata: pardonne, mais n’oublie jamais…

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, July 29th 2022

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