Brad Schrader – Late Nights (FR review)

Self Released – Street date : Available
Chanson Jazz
Brad Schrader – Late Nights

Brad Schrader, ou le courage discret de l’idéal amateur

Ne connaissant absolument rien de ce crooner, j’ai fait ce que les journalistes font depuis toujours lorsqu’ils sont confrontés à un nom inconnu: j’ai cherché. Longtemps. Le métier apprend vite que l’information n’est pas toujours immédiatement accessible, elle est parfois fragmentaire, parfois opaque, et quelquefois presque inexistante. Après un parcours de recherche long et sinueux, je suis finalement tombé sur un site web modeste, hébergé sur les désormais presque oubliés serveurs «.me» d’Apple. On y trouve un bref curriculum vitae qui figure sans doute parmi les plus inattendus et les plus charmants que j’aie jamais lus:

«Élevé à Cleveland, dans l’Ohio, et à São Paulo, au Brésil; a également travaillé cinq ans à Munich. Parle et écrit l’allemand. Participe activement à la vie de son église et aux activités culturelles de l’institution Chautauqua. Ses centres d’intérêt vont de l’estimation par filtres de Kalman à l’interprétation de chansons du répertoire américain. Navigateur à voile, cycliste et randonneur passionné. A restauré une Mustang de 1966. Marié, père de quatre enfants.»

À première vue, ce portrait évoque moins la biographie d’un chanteur que celle d’un archétype très américain: l’amateur éclairé, à l’aise aussi bien avec les concepts de l’ingénierie qu’avec les standards du Great American Songbook, capable de naviguer entre technologie et tradition, vie familiale et passion personnelle. Difficile de ne pas sourire, et plus difficile encore de ne pas être intrigué.

Ce parcours n’est pas anecdotique, car Brad Schrader n’est pas un chanteur professionnel. Et ce détail, loin d’être secondaire, constitue le cœur même de cet album. Schrader aborde ces enregistrements avec une volonté évidente de précision vocale et de justesse technique, une approche qui pourrait paraître affectée, voire excessivement prudente, chez un interprète chevronné. Mais ici, l’effet est tout autre. Il devient touchant, presque désarmant.

Ce qui s’impose avant tout, c’est la sincérité. Quiconque a déjà mis les pieds dans un studio d’enregistrement sait combien l’exercice peut être exigeant: la concentration mentale qu’il requiert, la répétition incessante, l’absence totale de place pour une improvisation non maîtrisée. S’y engager sans la routine protectrice d’un professionnel demande un certain courage. Cet album, en ce sens, relève moins de la performance que de l’engagement personnel.

Sur le plan culturel, le projet de Schrader s’inscrit dans une tradition américaine ancienne et souvent sous-estimée: celle des amateurs sérieux, profondément investis, qui perpétuent le Great American Songbook non pas comme une entreprise commerciale, mais comme une vocation intime. Des institutions comme Chautauqua, mentionnée presque incidemment dans son CV, incarnent parfaitement cet univers, où curiosité intellectuelle, engagement civique, musique et mémoire collective cohabitent. Il ne s’agit pas ici d’une nostalgie de façade, mais d’une nostalgie assumée comme une forme de transmission.

Les musiciens qui accompagnent Schrader l’ont manifestement compris. Leur jeu, retenu, chaleureux et attentif, offre un écrin délicat qui permet au chanteur d’habiter ces chansons sans tension ni excès. Un respect mutuel circule entre les interprètes, et il façonne le climat général de l’album. Rien ne semble précipité ou surproduit. Aucune volonté d’impressionner, seulement le désir de partager.

Cette absence de prétention constitue sans doute la plus grande force du disque. À une époque dominée par la virtuosité démonstrative, les algorithmes de visibilité et l’auto-promotion permanente, les enregistrements de Brad Schrader proposent quelque chose de discrètement subversif: une musique conçue pour le plaisir du lien plutôt que pour la reconnaissance. L’objectif n’est pas d’éblouir, mais de toucher.

Si des chansons comme «I Wish I Knew» ou «Quiet Nights of Quiet Stars» occupent déjà une place dans votre mémoire musicale, cet album devrait vous parler. Ces interprétations ne cherchent pas à réinventer le répertoire; elles l’habitent avec douceur et respect, laissant aux mélodies leur pouvoir originel: celui de transmettre l’émotion avec pudeur. Il en résulte une nostalgie feutrée, sans emphase, qui s’installe lentement et persiste.

Au final, cet album invite à une réflexion plus large. Que signifie, aujourd’hui, faire de la musique en dehors des rouages de l’industrie? Quelle valeur accordons-nous à la sincérité, au savoir-faire poursuivi pour lui-même, à des gestes artistiques ni ironiques ni stratégiques? Brad Schrader n’apporte pas de réponses définitives, mais il offre quelque chose de plus rare encore: le rappel que la musique, dans ce qu’elle a de plus honnête, n’a pas toujours besoin de légitimité, de pedigree ou de vernis. Parfois, il suffit simplement de la faire.

Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News

PARIS-MOVE, December 30th 2025

Follow PARIS-MOVE on X

::::::::::::::::::::::::

To buy this album

Website

Musicians :
Jerry Vezza – Piano and Music Director
Alex Claffy – Bass
Andrew Van Tassell – Sax
Khary Abdul-Shahid – Drums

Track Listing :
Time after Time
I Whish I Knew
Its’ Alwright with ne
It Never Entered in my Mind
Quiet Nights with Quiet Stars
You Do Something To Me
Skylark