Jazz moderne

Si pour vous, la musique doit impérativement se compartimenter en cases aisément reconnaissables, Bon Voyage Organisation risque de vous susciter le bug de l’année. Qu’il semble loin en effet, le temps où ce projet à géométrie variable pouvait encore se laisser catégoriser tour à tour entre la disco chinoise et le krautrock. À la faveur (?) du merdier sanitaire actuel, Adrien Durand (son animateur perpétuel) s’est confiné dans le cadre austère du studio Atlas de Jean-Benoît Dunkel (moitié de Air), pour enregistrer en cinq jours ce nouvel album dans les conditions du live. Quitte à assembler jusqu’à treize musiciens en présentiel, comme on dit désormais. S’émancipant plus que jamais des étiquettes, il ouvre cette nouvelle livraison par une majestueuse adaptation du “Naima” de John Coltrane, prenant son envol en un lent et irrépressible crescendo façon Ravel, pour déboucher sur une autre référence hard bop apaisée, avec le magistral “Yuseef” (évidemment dédié à un saxophoniste, flûtiste et hauboïste du nom de Lateef). La suite est à l’avenant: on vogue de surprise en surprise et les œillères se décillent, tandis que l’appel aux hanches ne se relâche jamais. Avec un recours minimal à la technologie numérique, Durand privilégie au contraire l’expression vitale des instruments. Ce retour aux sources ne s’encombre cependant de nul passéisme, et des perles telles que “Pyramis” côtoient ici les rythmes exotica d’une samba futuriste telle que “Et S”Éveillent” ou “Le Sentier Des Orpailleurs”, ainsi que le folklore péruvien mâtiné d’un Josquin Desprez égaré sur les rives du Gange (“Les Pêcheurs”), voire une brève introduction romantique au piano comme “Première Vue d’Apacheta”. Si une oreille paresseuse pourrait certes apparenter ceci à la “library music” du regretté Jack Arel (“Les Jonques”), ce panorama 100% instrumental ne s’en détache pas moins de la tête et des épaules. On croyait connaître la french touch froide, érudite et superficielle. On la découvre ici éclectique, sensible et éminemment sensuelle. Toutes proportions gardées, préparez vous au même choc indicible que lors de la découverte de Tubular Bells: une authentique révélation.

Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, February 23rd 2022

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BON VOYAGE ORGANISATION – (Loin Des) Rivages: un album à commander sur le Bandcamp de la formation, ICI