BOBBY RUSH – Sitting On Top Of The Blues

Deep Rush / Thirty Tigers / Modulor
Blues

À cause d’une brochette de crétins congénitaux disséminés sur nombre de tribunes des stades de notre hexagone, j’hésite à user envers ce bon Bobby RUSH de l’expression favorite de ma grand-mère: “on n’apprend pas à un vieux singe à faire des grimaces”. Et c’est regrettable, car je n’en trouve pas de plus adéquate le concernant (sans la moindre connotation raciste, faut-il le souligner ?). Alors qu’il s’achemine peinard vers son 86ème anniversaire, celui à qui Gérard Herzhaft n’accordait pas même un codicille dans sa “Nouvelle Encyclopédie Du Blues” en 1984 ne bénéficie en effet de la reconnaissance internationale qui lui revient de droit que depuis son apparition dans le film “The Road To Memphis” (produit par Martin Scorcese dans sa série “The Blues”). C’est qu’en dépit d’une carrière déployée sur près de sept décennies, ce fils de pasteur de Pine Bluff, Arkansas, ne prit que tardivement conscience de la dimension planétaire d’un potentiel marché du blues. Car comme son paternel dans sa propre discipline, Bobby RUSH perpétue depuis ses débuts la fonction d’entertainer de proximité. Se dédiant avant tout à sa communauté de Jackson (au cœur du Mississippi), il anima des décennies durant les soirées de fin de semaine des rades à 250 miles à la ronde, trimbalant son band et ses danseuses au volant de son propre bus, avant de les ramener ensuite à bon port (sauf en 2001, où une sortie de route l’expédia à l’hosto avec certains d’entre eux). Son histoire d’amour avec la France (qui aboutit à le voir parrainer le Musée Européen du Blues à Châtres-sur-Cher) débuta grâce à une niche de connaisseurs (dont le célèbre critique Kurt Mohr), avec la présence de son tout premier single (“Sock Boo Ga Loo”, Checker U.S), sur la compilation Chess “Remarquable Rhythm n’ Blues”, parue chez nous en 1968. Par delà les rodomontades à la Bo Diddley, dont il demeure légataire (“Hey Hey Bobby Rush”), il n’hésite toujours pas à chiner quelques lyrics de ci, de là (“Shake Til You Get Enough” ne s’avérant qu’une transposition funk du “Mellow Down Easy” de Little Walter, et “Good Stuff” celle du “Howlin’ For My Darling” de Chester Burnett en mode boogie hypnotique, façon Junior Parker). L’occasion de rappeler que si le trend du chitlin’ circuit l’a amené à funkiser ses pratiques, Bobby RUSH n’en demeure pas moins aussi proche de ses racines que l’on peut l’être, et s’il reste un harmoniciste relativement basique, il a saisi suffisamment des maniérismes de Rice Miller pour assurer la roots credibility de rigueur. Dans l’esprit grivois et malicieux qui lui vaut de nos jours encore l’assentiment des badauds du samedi soir, “You Got The Goods For You”, “Bowlegged Woman” et “Get Out Of Here (Dog Named Bo)” valent leur pesant de gaudriole, dans la veine du Johnny Guitar Watson de “A Real Mother” et “You Can Stay (But The Noise Must Go)”. Toujours dans le registre sautillant de Howlin’ Wolf, “Sweet Lizzy” et le boogie instrumental “Bobby Rush Shuffle” (évoquant le regretté Frank Frost) apposent le sceau de la juke joint tradition. Et si cela ne suffisait pas, l’acoustique “Recipe For Love” enfonce la touche Delta pour votre approbation. Ce qui n’empêche nullement le guitariste Vasti Jackson (qui co-produit avec Patrick Hayes, Scott Billington et Bobby himself) d’entraîner l’affaire dans une autre dimension du priapisme, avec “Pooky Poo” et “Slow Motion”, vers les ambiances moîtes de Marvin Gaye circa “Trouble Man” et “Let’s Get It On”. Au bout du bout, est-ce en fait son 26ème ou son 27ème album? On s’en moque, car quand on aime, on ne compte pas. L’essentiel étant que ce disque bien nommé le soit, et au plus haut point, s’il vous plait!

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, July 8th 2019