Blues |
Né soi-disant le 10 novembre 1940, à Homer, Louisiane (mais en réalité sept ans plus tôt), Emmit Ellis Jr (alias Bobby Rush) apprit la musique auprès de son père pasteur. Après un séjour à Pine Bluff (Arkansas) où il côtoya Boyd Gilmore et Elmore James, sa famille s’installa à Chicago en 1953, et le gamin commença à s’y produire dans des clubs du West Side (au sein d’un gang juvénile incluant alors un certain Freddie King, puis Luther Allison), et à y enregistrer ses premières faces. Il lui fallut néanmoins attendre 1971 pour remporter son premier succès avec “Chicken Heads” chez Galaxy. Il s’établit ensuite à Jackson (Mississipi), où il publia plusieurs disques sous l’étiquette Malaco. En 1979, son “Rush Hour” (produit par Gamble & Huff pour Philadelphia Records) lui valut un nouveau succès. En avril 2001, l’accident survenu à son bus de tournée fit un mort et plusieurs blessés. Hospitalisé lui-même en cette circonstance, Bobby Rush ne reprit ses tournées qu’en 2003, tandis que nombre de ses disques se voyaient tardivement célébrés. Entré au Blues Hall of Fame en 2006, il se fit repérer du grand public grâce au film “The Road To Memphis”, produit par Martin Scorcese dans sa série “The Blues”. Son histoire d’amour avec la France (qui aboutit à le voir parrainer le Musée Européen du Blues à Châtres-sur-Cher) débuta grâce à une niche de connaisseurs (dont le célèbre critique Kurt Mohr), avec la présence de son tout premier single (“Sock Boo Ga Loo”, Checker U.S), sur la compilation Chess/Checker “Remarquable Rhythm n’ Blues”, parue chez nous en 1967. Surtout connu pour sa revue erotico-funk blues bon enfant (mineurs admis à partir de 13 ans), Bobby n’en demeura pas moins fidèle aux racines de cette musique, en ne reniant notamment jamais ses origines rurales. En 2007, son album “Raw” étonna la critique : le funkster y revendiquait en mode acoustique son propre héritage agreste, interprétant seul (à la guitare, au chant et à l’harmonica) une brochette de covers et d’originaux. Le succès de cette formule (alors inédite dans son répertoire) l’incita même à l’inscrire parmi ses propres prestations scéniques, et ses shows “An Intimate Evening of Stories And Songs With Bobby Rush” rencontrèrent un tel engouement que notre lascar nous livre à présent la suite de “Raw”, dûment intitulée “Rawer Than Raw”. Captées au fil des ans dans son fief de Jackson, sous la houlette de son ami et ingénieur du son Randy Everett, les onze plages qui composent cet album permettent (s’il en était besoin) de réévaluer Bobby Rush à l’aune de sa propre capacité de tranmission. Le blues ne se perpétue en effet jamais depuis son origine qu’ainsi: par la tension permanente entre son héritage ancestral et sa nécessaire inscription dans son époque. Harmoniciste aussi roué que convaincant (ayant manifestement biberonné à la source Rice Miller, Sonny Terry et Junior Wells), et guitariste aussi primitif que l’on peut l’affirmer de certains peintres flamands (ce qui ne signifie donc en rien primaire, non plus que limité), Bobby Rush nous gratifie ici d’une série d’adapations aussi personnelles que bien senties (un “Hard Times” de Skip James à tomber, “Smokestack Lightning” et “Shake It For Me” du Wolf, aussi roublards que ce dernier le fut, “Don’t Start Me Talkin'” de Sonny Boy Williamson II, le traditionnel “Honey Bee, Sail On” qu’affectionnait tant Muddy Waters, ou encore le “Dust My Broom” de Robert Johnson), tout en assaisonnant ce stew de compos personnelles (“Let Me In Your House”, “Sometimes I Wonder”, ou encore les “Let’s Make Love Again” et cette adaptation de “Garbage Man” dont il abreuve les soirées familiales depuis cinq décennies). À l’arrivée, notre sacripant favori démontre à l’envi comment l’on passe en un demi-siècle de jeune effronté à vieux garnement. Le blues fait mieux que conserver: il sédimente et enrichit.
Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder
PARIS-MOVE, October 9th 2020