Americana |
Tandis qu’un nombre croissant d’attachés de presse tente de nous inciter, nous autres modestes chroniqueurs, à télécharger leurs foutus fichiers numériques, au lieu de nous expédier comme de temps immémoriaux une bonne vieille rondelle physique (vous verrez qu’ils nous demanderont aussi bientôt de passer l’aspirateur), Bobbo Byrnes vient de m’envoyer non pas un exemplaire de son dernier album en date, mais DEUX..! Et il a griffonné au stylo pointe fine, au dos de son communiqué de presse: “Patrick, thanks for listening. Hope you enjoy. I sent a second CD for you to give to a friend”! De quoi susciter une sympathie certes préjudiciable à l’objectivité critique, mais cool tout de même, en ces temps de corporate puant, non? Alors on fait ses devoirs, et on réalise en consultant son site que Bobbo est non seulement un mec cool, mais aussi une grande gueule, qui s’arroge même le privilège de descendre les hits dont il estime les paroles en deçà d’une qualité décente minimum, dans cette compétition débile que l’industrie continue à appeler les charts. Et c’est non seulement malin, pertinent et argumenté, mais cela illustre une dimension supplémentaire du personnage: sympa et chieur à la fois… Comment ne pas l’adouber pour l’un des nôtres? Éternel bourlingueur, ce type dispose quasiment d’un groupe différent par région du monde qu’il fréquente : dans sa Californie de résidence, il s’agit des Fallen Angels (soit sa régulière à la basse, et Matt Froelich aux cajon, drums et percussions variées), tandis qu’en Nouvelle-Angleterre, il s’appuie sur les Two-Fifths (Gary Young et Dave Ballou), qu’en Allemagne, ce sont les Gefallen Sternen (Sam Barnard, Niklas Herzog et Mona Li), et en Autriche, Roman Sonnleitner (dont le patronyme mériterait une traduction en soi). Ceci s’avère son quatrième album depuis 2017, et s’il ne répugne pas à composer seul, sept de ces onze nouveaux titres l’y présentent en co-écriture avec des amis, au rang desquels figure l’Australien Ben Riddle, mais aussi Morgan Keating, Chuck Roberts, Georgiana Hennessy, Kalai King et sa propre épouse, Tracy. Sur le plan instrumental, Bobbo Byrnes ne se montre pas manchot non plus, puisqu’il officie non seulement aux guitares six et douze cordes, mais aussi à la mandoline, à l’accordéon, au piano, à la pedal steel et au banjo. Et dès les trois premières plages de ce CD, on perçoit la dévotion quasi-maniaque qu’il consacre à son art: du songwriting à l’interprétation et aux arrangements tout est ici pesé et ciselé avec un soin d’orfèvre. Si le “Queen of The Party” d’ouverture emprunte sa facture à la longue tradition des Byrds et des Burrito Brothers (citant même “Sweetheart Of The Rodeo” dès son premier vers, avec ce jingle-jangle caractéristique des Rickenbakers de McGuinn et consorts), “Favorite Photograph” (quasi-homonyme d’un titre du regretté Guy Clark) et “When We Ride” renvoient aux débuts de Peter Case et Chris Wilson en solo. “Eveline” évoque pour sa part le REM de “Out Of Time” (avec sa mandoline dans la veine de “Losing My Religion”) et Elliott Murphy aussi, par la grâce d’un “au revoir” en français dans le texte, tandis que le splendide “December” en fait autant pour le Elvis Costello de “Almost Blue”, avec le gémissement de cette pedal-steel languide en sous-texte. Le délicat picking de “Every Sound That Crashes” (auquel fait écho la viole de Georgiana Hennessy) rappelle le Cat Stevens d’il y a un demi-siècle, tandis que cette dernière s’illustre au violon sur l’instrumental celtique “Geo’s Jig” (où Froelich la soutient au cajon), et que “Sight Of Me” et “Running Back To You” renvoient aux premiers Anders Osborne. Ce kaléidoscope de références (toutes subjectives qu’elles demeurent) ne doit pas masquer l’indéniable personnalité d’un auteur-compositeur de premier ordre. À l’opposé d’un assemblage hétéroclite de pastiches variés, cet album recèle au contraire une impressionnante cohérence. L’œuvre d’un acteur majeur de l’Americana contemporaine, avec lequel il faudra désormais compter.
Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder
PARIS-MOVE, July 15th 2021
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