BOBBIE NELSON and AMANDA SHIRES – Loving You

Silver Knife / ATO Records
Americana
BOBBIE NELSON and AMANDA SHIRES - Loving You

Si l’on admet désormais que dans l’ombre de chaque grand homme réside souvent une femme, on oublie encore de considérer qu’il ne s’agit pas toujours d’une épouse ou d’une courtisane. Ainsi de Jerry Lee Lewis, ce Barbe Bleue du rock n’ roll, qui n’eut jamais tant de tendresse envers la gent féminine qu’au fil de son indéfectible complicité avec sa propre sœur, Linda Gail Lewis. Ou encore, dans un registre limitrophe, celle qui unit leur vie durant le patriarche outlaw country Willie Nelson avec sa sœur aînée, Bobbie Lee. Née le 1er janvier 1931 à Abbott, Texas, cette dernière fut élevée avec son frangin par leurs grands-parents paternels, qui les initièrent tout jeunes à la pratique musicale et au chant. C’est ainsi que la petite Bobbie se mit au piano et à l’orgue dès l’âge de cinq ans. Avant son dixième anniversaire, elle officiait à la messe derrière son instrument, et quatre ans plus tard, elle accompagnait des évangélistes autour d’Austin, et par tout le Lone Star State. Mariée très jeune à un saltimbanque, elle en divorça huit ans plus tard, pour s’en voir retirer la garde de ses trois fils, au motif qu’elle se produisait dans ces lieux de perdition que l’on nommait honky-tonks. De luttes juridiques en day-jobs alimentaires et en dépressions, elle finit par rejoindre son frère à Nashville au mitan des sixties, non sans avoir entre temps récupéré ses rejetons. Ce n’est pourtant qu’en 1973 qu’elle finit par se résoudre à devenir musicienne à temps plein, en intégrant l’orchestre de Willie en tournées comme en studio. Chrétienne fervente, elle attendit d’avoir atteint l’âge pré-canonique de 77 ans pour enregistre son premier album solo, “Autobiography”. Quatre autres l’avaient pourtant précédé (et trois lui succédèrent), mais il s’agissait de prestations réalisées au sein de collectifs d’artistes. Tandis qu’elle nous a quittés en 2022 (à 91 ans), sa cadette d’un demi-siècle (et néanmoins amie) Amanda Shires a tenu à lui rendre un hommage à sa mesure, en publiant à titre posthume l’album qu’elles ont enregistré ensemble, quelques mois seulement avant sa disparition. Chanteuse, autrice-compositrice et multi-instrumentiste (violon, ukulele, autoharp, guitare), Amanda Shires est l’une des étoiles ascendantes de la country music actuelle (et aussi Madame Jason isbell). Outre pas moins de huit albums solo, elle en aligne autant  en compagnie de son mari, ainsi qu’un autre avec Rod Picott. C’est elle qui chante et joue ici les choruses de violon, tandis que Bobbie Nelson s’y tient au piano. Cet album s’ouvre sur le “Waltz For Texas” que popularisa en son temps le grand Ernest Tubb avec ses Texas Troubadours. Comme l’indique son titre, il s’agit d’un three-steps, où le timbre cristallin de Shires s’envole sur la ritournelle qu’égrènent auprès d’elle les ivoires qu’active Nelson. Un petit chorus de crin-crin plus tard, c’est le classique “Always On My Mind” (repris par tant de grands, tels Presley et le propre frangin de Bobbie). Avec ses arrangements de cordes en cascade, la performance vocale de Shires s’y avère aussi brillante que puissante, et l’on y réfrène la comparaison avec ce qu’en fit de son côté Céline Dion, tandis que malgré le poids des ans, les phalanges de Bobbie s’y révèlent d’une dextérité intacte. Écrit dans les années 30 par Frank Loesser et Fritz Miller, “Old Fashioned Love” est exécuté sur un rythme de polka dans une veine appalachienne, avant une bouleversante version du “Summertime” de Gershwin (qui en a pourtant connu d’autres), sur laquelle brother Willie Nelson effectue également un cameo  et y donne la réplique à Amanda. Le piano de sister Bonnie y étincelle de bout en bout, ainsi que sur la superbe ballade, “Angel Flying Too Close To The Ground” (signée WIllie Nelson), présentant les deux complices accompagnées de la batterie subtile de Freddy Fletcher. On ne peut que succomber à l’émotion qu’y distillent la voix d’Amanda et les ivoires de Bonnie. Avec ses ourlets de cordes, le standard “Dream A Little Dream Of Me” (repris par Nat King Cole, Ella Fitzgerald et Mama Cass au sein des Papas) apporte un souffle de légèreté bienvenue après tant de gravité, avant que “Tempted And Tried” (également connu  sous le titre “Farther Along”) ne célèbre la fibre gospel qui anima Bonnie son existence durant. Elle y accompagne seule le chant céleste d’Amanda, et c’est sans doute la plage sur laquelle leur amitié est la plus palpable (avec leur version instrumentale de “La Paloma”, dans un esprit tex-mex où leurs instruments respectifs dialoguent à merveille). Autre instrumental, la plage titulaire s’avère la seule composition originale qu’ait jamais écrite Bonnie – preuve qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire – et nos amies concluent sur le prémonitoire “Over The Rainbow” (issu de la B.O. du “Magicien d’Oz”), en guise d’envoi. Bonnie Nelson s’est éteinte à Austin en mars 2022, quelques semaines à peine après ces enregistrements. Davantage encore que l’hommage d’une fille spirituelle à sa grand-mère de cœur, un disque aussi superbe que poignant, résonnant comme un passage de flambeau.

Patrick DALLONGEVILLE
Paris-Move, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, January 24th 2024

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