Bob James – Once Upon A Time: The Lost 1965 New York Studio Sessions (FR review)

Resonance records – Street date : Available
Jazz
Bob James -Once Upon A Time: The Lost 1965 New York Studio Sessions

Cet album doit être considéré comme fondateur dans la carrière de Bob James. C’est en 1962 que Quincy Jones découvre pour la première fois le jeune pianiste, et depuis ce moment jusqu’à l’enregistrement de cette session, on peut suivre pas à pas l’édification de l’immense artiste que le monde allait apprendre à connaître. J’avais à peine cinq ans lors de cet enregistrement, et ma découverte de Bob James ne viendra que bien plus tard, à dix-neuf ans, lorsque je tombe sur Touchdown, sorti l’année précédente. Ce fut une révélation immédiate. Cette musique me parut totalement singulière pour son époque, nourrie des textures de la culture afro-américaine et fusionnée avec le langage raffiné du jazz, le tout porté par la voix d’un mélodiste extraordinaire. Dès lors, James devint pour moi l’un des plus grands compositeurs de notre temps, un musicien qui n’a cessé de se réinventer.

Sa carrière personnelle, à elle seule, est déjà impressionnante, mais Bob James est aussi l’un des membres fondateurs de Fourplay, ensemble emblématique de jazz-funk dont l’influence reste encore vive aujourd’hui. À cela s’ajoutent les innombrables collaborations, les albums solos, et ces fréquentes incursions dans la musique classique qui révèlent une autre facette de son art. Mais voir cela uniquement comme une curiosité ou une parenthèse serait une erreur. James n’est pas prisonnier des catégories. Il est, au sens le plus essentiel, un amoureux de la musique, et des arts dans leur acception la plus large et la plus généreuse.

C’est pourquoi ce long enregistrement oublié de 1965, exhumé seulement en 2020, est une véritable revelation, un trésor qui offre un regard inédit sur le processus de construction de l’art de Bob James. On le voit osciller entre le bebop et les idiomes de la musique contemporaine, déjà sensible aux influences du monde, en pleine recherche et pourtant sûr de lui. Les mélodies sont lumineuses, le style déjà reconnaissable entre tous. La grandeur de l’artiste contraste avec la modestie de l’homme, un trait partagé bien souvent par les génies de son espèce.

Lorsque Resonance Records annonça la parution de Once Upon a Time: The Lost 1965 New York Studio Sessions, le label se contenta de le présenter comme «une importante collection inédite». Mais le mot «important» est presque trop faible. Une grande partie de ce matériel, enregistré avec une clarté remarquable à l’Auditorium Wollman de Columbia par George Klabin, montre James s’avançant vers le style lyrique et swing qui allait faire de lui une figure marquante du jazz des années 1970 et au-delà. Mais l’on y découvre aussi un aspect plus expérimental et percussif de son jeu, rarement entendu jusqu’ici sur disque.

C’est Klabin qui incita Bernard Stollman d’ESP-Disk à s’intéresser à James. À l’époque, ESP était le creuset de l’avant-garde, révélant au monde des artistes comme Albert Ayler, Ornette Coleman ou Sun Ra. Stollman réagit en publiant Explosions, le deuxième album de James en tant que leader, plus tard en 1965. On peut même déceler des signes encore plus précoces de cet esprit aventureux: sur Musical Prophet, disque d’Eric Dolphy publié par Resonance en 2019, figure une œuvre expansive de James, interprétée lors du festival ONCE à Ann Arbor en 1964. Jusqu’à la redécouverte de Resonance, les sessions de 1965 captées par Klabin étaient pourtant restées dans l’ombre.

George Klabin, qui co-produisit l’album avec Zev Feldman, résumait ainsi: «Bob est devenu une figure majeure du jazz, l’un des pères du smooth et du jazz fusion. Je n’avais jamais envisagé de publier ces enregistrements jusqu’à récemment, lorsque nous avons travaillé ensemble sur Night Kisses d’Eddie Daniels, un hommage à Ivan Lins.»

Il me semble aujourd’hui indispensable de placer Bob James parmi les grands leaders du jazz contemporain, au même titre que Miles Davis, Joe Zawinul ou Wayne Shorter. Les preuves en sont innombrables, et elles sont encore renforcées par les témoignages recueillis dans le coffret Resonance. Ainsi, le percussionniste Robert Pozar, qui avait joué avec James dans les cercles avant-gardistes d’Ann Arbor, se souvenait: «Bob James, en première année d’université, pouvait terrasser n’importe qui. C’était un dur à cuire.»

La deuxième partie de Once Upon a Time restitue un concert en trio donné le 9 octobre 1965, avec le bassiste Vishnu (Bill) Wood, originaire de Detroit, et le batteur Omar Clay, autre compagnon de route de James à l’Université du Michigan. Le programme inclut des interprétations intenses de «Airegin» de Sonny Rollins et de «Solar» de Miles Davis.

Tout cela montre une chose essentielle : Bob James ne peut être enfermé dans aucun style, aucune école, aucune tradition. Là où une idée, un rythme, un son l’inspire, il s’en empare et le transforme. Cette liberté a façonné sa carrière, qui se poursuit encore aujourd’hui à travers concerts et enregistrements. James reste un artiste par nécessité, mû non par les modes ou les marchés, mais par la force impérieuse de sa créativité. Peu de choses sont plus admirables.

«J’ai un immense respect pour Bob James », affirmait Feldman lors de la sortie de l’album. «Once Upon a Time nous montre à tous pourquoi. Les chemins qu’il a empruntés, les dimensions musicales qu’il a explorées ,  du funk au R&B, du jazz le plus pur à l’accompagnement de Sarah Vaughan, sont vertigineux. Son influence est difficile à surestimer.»

Les enregistrements eux-mêmes sont d’une qualité exceptionnelle, à la hauteur de la splendeur musicale qu’ils renferment. James y joue avec une intensité et une profondeur inégalées, entouré, comme toujours,  de musiciens remarquables. Et pourtant, pour moi, rien ne dépasse Bob James en concert: la joie qu’il prend à partager la musique avec ses pairs, la recherche constante du son de demain, la quête incessante de renouveau. Une carrière exemplaire à plus d’un titre. Merci, Monsieur Bob James.

Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News

PARIS-MOVE, September 4th 2025

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Musicians & Track Listing:

January 20, 1965 (with Larry Rockwell on bass and Robert Pozar on drums):
Serenata (5:46)
Once Upon A Time (7:00)
Lateef Minor 7th (7:36)
Variations (6:22)

October 9, 1965 (with Bill Wood on bass and Omar Clay on drums):
Airegin (4:42)
Indian Summer (5:10)
Solar (5:22
Long Forgotten Blues (9:01)