BOB BRADSHAW – The Art Of Feeling Blue

Fluke Records
Americana
BOB BRADSHAW - The Art Of Feeling Blue

Après avoir exercé une dizaine d’années la profession de journaliste et de novelliste dans son Irlande natale, Bob Bradshaw succomba à l’appel du large. Muni d’un sac à dos et d’une guitare, il se piqua d’abord de parcourir l’Europe, y subsistant en faisant la manche ou se produisant dans les bars. Finalement titulaire de la fameuse green card qui lui ouvrit la voie de l’Atlantique, c’est à New-York qu’il débarqua, avant de s’établir à San Francisco pour s’y marier, et fonder son premier groupe, Resident Aliens. Au départ simple cover band, cette formation ne tarda pas à élaborer un répertoire original, auquel contribuèrent les talents d’écriture de Bob. Soucieux de perfectionner cette vocation nouvelle, ce dernier finit par s’inscrire à la fameuse Berklee School Of Music de Boston (où il fit un temps figure de doyen parmi les étudiants), pour embrasser à sa sortie une prolifique carrière solo. Son dixième album à ce jour n’en revêt pas moins un caractère plus profond et dramatique que de coutume, puisqu’il advient à la suite de la disparition de son épouse (décédée d’un cancer foudroyant en août dernier). Chacune des douze plages qui le composent n’en revêt qu’une intensité accrue, et si le “Waiting” d’ouverture s’apparente dans sa forme autant à Chris Isaak qu’à Tom Petty (et sur le fond au “Tired Of Waiting For You” des Kinks), le languide et chaloupé “Everybody’s Smalltime Now” présente déjà de ces imparables saillies dont peu d’autres songwriters s’avèrent capables (hormis John Hiatt, Nick Lowe ou feu Warren Zevon), comme “And you never needed money/ Because you were a Capricorn”. Avec la flamboyante et semi-autoparodique plage titulaire, Bob franchit encore un palier, puisque tant sur le plan des lyrics que de ses arrangements, il y tutoie l’Elvis Costello flamboyant de la période “Trust”: instant classic estampillé! Avec sa slide guitar et ses amples chœurs féminins, la valse mid-tempo “I Know A Place” emprunte les travées du jeune James Taylor. Co-signé avec son bassiste John Sheeran, “Hot In The Kitchen” est un de ces rocks baignés d’US grease, comme les Stones, Skynyrd et les Kinks dernière période surent en servir: riffs Richardsiens en diable, chœurs féminins émoustillés et paroles à double-sens égrillard. Le confessionnel “I Keep It Hid” assène le vers biblique (ou freudien, selon les obédiences): “It doesn’t matter what you’ve buried/ If you can’t hide your eyes”, avant que “Rosa” ne s’ouvre sur une cloche d’église façon Sergio Leone et une trompette mariachi, pour une chronique flamenco-rock de la tragédie quotidienne des clandestins tentant de migrer aux States depuis le Mexique. Avec sa steel guitar larmoyante, “Somebody Told Me A Lie” est une three steps country tune millésimée comme George Jones ou le Costello de “Heart Shaped Bruise” les affectionnaient, démontrant à quel point Bradshaw peut s’approprier ce genre si américain. La marque de Declan McManus transpire à nouveau sur le magistral et ombrageux “Thought I Had A Problem”, qui n’aurait assurément pas déparé son “This Year’s Model”. Sous-tendu par le violon funèbre de Chad Manning, le dépouillé “Stepping Stones” conclusif ramène Bob à ses irish folk roots. Un album d’une cohérente beauté, où la rage de vivre le dispute souvent à l’affliction.

Patrick DALLONGEVILLE
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, May 13th 2023

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