Blues, Funk, Soul |
S’il est universellement admis que le blues et ses dérivés s’enracinent dans l’héritage culturel et la tradition des peuples Afro-Américains déportés en masse sur ce prétendu Nouveau Monde depuis quatre siècles, les frangins Blackburn peuvent revendiquer à bon droit leur part de cette Histoire. Leur généalogie remonte en effet à un certain Elias Earls, né de parents esclaves sur une plantation du Kentucky vers 1792 ou 1833 (selon les sources). Échappant à la vigilance de ses propriétaires, ce dernier bénéficia des circuits d’évasion solidaires et clandestins que l’on baptisa ensuite Underground Railway, et finit par s’établir au Canada, dans le sud de l’Ontario, après avoir pris femme en traversant la région de Boston. Ce couple constitua les arrière-arrière grand-parents du père de Duane, Brooke, Cory et Robert Blackburn (dont le cousin Nathan fait également partie de la formation éponyme). Le paternel en question, Bobby Dean Blackburn, les a d’ailleurs précédés dans la profession musicale, puisqu’après une conséquente carrière de boxeur, il a embrassé le piano et l’orgue Hammond B3 pour se produire dans les clubs de la région de Toronto, où il s’est également taillé une solide réputation. Curieusement, celui-ci n’a enregistré son premier album (également chez Electro-Fi) qu’en 2010, avec le concours de ses rejetons. Ceux-ci avaient déjà pris leur indépendance en 2009, avec un premier disque remarqué, le bien intitulé “Brotherhood”, suivi en 2015 de “Brothers In This World”, et à présent de celui-ci, dont le titre ne cultive guère de doute quant à la tonalité. Si Duane a repris les instruments de son père, Brooke et Robert ont quant à eux opté pour la guitare, tandis que Cory se révèle l’un des batteurs les plus en vue sur les scènes canadiennes, et que leur cousin Nathan tient la basse. Augmentés d’une paire de cuivres (Neil Brathwaite, sax ténor, et Ted Peters, trombone), ils distillent dix pépites originales et une reprise, dans une veine soul blues où chacun des frères prodigue d’inspirés background vocals derrière le chant lead de Duane. Sur la trame d’un riff de basse réminiscent du “Born Under A Bad Sign” de Booker T. et William Bell, “Bobby’s Blues” ouvre le ban en retraçant le parcours de leur père Bobby Dean Blackburn, une des deux guitares cocottant en wah-wah, tandis que l’autre assène des licks lancinants dans la veine du regretté Albert King, et que les cuivres scandent leurs riffs dans l’esprit des Memphis Horns de jadis. Duane s’y fend d’un solo de piano bluffant de jazzy feeling, tout en tapissant l’arrière-plan de nappes de Hammond: bon Dieu, on se croirait revenu à l’âge d’or de Stax! Composé par Robert, “She’s A Heartbreaker” durcit quelque peu le ton dans l’esprit de Cream, et Duane s’y amuse à scatter au vocoder, tandis que les cuivres et la rythmique ne se départissent en rien de l’empreinte funk, qui s’accentue encore sur “Let The Devil Play” (on y songe à un croisement entre les Bar-Kays et le Band Of Gypsies). L’irrésistible “Soul Brother” navigue ensuite entre les Meters et Bill Withers: du chant choral aux cuivres et percussions, tout nous ramène à ces early seventies où le psychédélisme flirtait avec le rhythm n’ blues (de War et des Temptations à Shuggie Otis). Il n’est que temps de rappeler les blues roots de la famille, et c’est “Won’t You Let Me Go” qui s’y colle, en un boogie shuffle où la guitare s’ébroue en lorgnant vers un certain SRV, avant que “Sister Rosa” (initialement composé par Daryl Johnson, Charles Moore, Cyril, Jason, Liryca et Cyril Jr. Neville, et paru en 1989 sur le multi-platiné “Yellow Moon” des Neville Brothers) ne nous ramène prestement en territoire funk. Il s’agit bien sûr de l’héroïne des droits civiques Rosa Parks, et avec clavinet, chœurs et wah-wah omniprésents, on s’y jurerait ici en plein “Fresh” de Sly And the Family Stone. Le pont cite celui de “Sex Machine”, et Brathwaite y prend un solo de ténor inspiré: impossible de rester assis, c’est une écoute prioritaire pour tout groove addict… Le lascif “Why Do I Do (What I Do)” rappelle ce que produisaient Curtis Mayfield et Isaac Hayes au temps de leur apogée, et tant qu’on s’y trouve, on y reste, puisque “Be My Wife” incline davantage encore vers Syl Johnson et consorts, alors que “Freedom Train” en fait autant avec les Staples Singers (chœurs et cuivres s’y donnant à nouveau à cœur joie). Les frangins concluent avec l’uplifting “Little Sister” et le vintage gospel number “I Don’t Ever Want to Be Alone” (digne d’Aaron Neville, et transporté par des claviers à fleur de peau), tous deux empreints d’espoir et de solidarité. Adoubée par les liner notes de leur compatriote Shakura S’Aida, la bombe funk n’ soul de la rentrée!
Patrick DALLONGEVILLE
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder
PARIS-MOVE, September 5th 2023
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