Birdland Big Band – Storybook – The Music Of Mark Miller (FR review)

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Jazz
Birdland Big Band - Storybook - The Music Of Mark Miller

Il y a quelque chose de profondément gratifiant dans un big band qui résiste à la tentation facile de simplement submerger. Trop souvent, les grandes formations de jazz confondent ampleur et spectacle, sacrifiant la subtilité au profit du volume sonore. Pourtant, les orchestres véritables, ceux qui traversent le temps, savent que leur puissance réside moins dans la saturation que dans la nuance. Ils se tournent vers les détails, la courbe d’une phrase, la tension entre cuivres et bois, le contrepoint discret qui relie rythme et harmonie. C’est dans ces détails que la musique respire, et c’est là que le big band atteint sa plus haute forme: honorer non seulement le compositeur dont il interprète l’œuvre, ni seulement l’orchestre comme institution, mais aussi l’auditeur, convié dans un univers sonore à la fois intime et grandiose.

Le Birdland Big Band, fondé en 2006 par le batteur et chef d’orchestre Tommy Igoe, a précisément fait de cette philosophie sa raison d’être. Depuis près de deux décennies, il est devenu un phénomène new-yorkais, là où la régularité est en soi une monnaie rare. Semaine après semaine, en plein cœur animé de Midtown Manhattan, le groupe transforme son club éponyme en terrain d’expérimentation du big band au XXIe siècle. Depuis longtemps, il est l’ensemble de jazz le plus populaire de la ville, non pas uniquement pour sa virtuosité, mais parce qu’il refuse de traiter le big band comme une pièce de musée.

Les musiciens qui composent cette formation viennent d’horizons remarquablement divers: des fosses d’orchestre des comédies musicales de Broadway, des tournées nationales de jazz, des scènes pop aux stades pleins à craquer. Cet éclectisme compte. Il insuffle au groupe un vocabulaire musical infiniment plus vaste que celui d’un orchestre classique de répertoire. Leur programme est tout aussi ample: un soir, ils rendent hommage à Ellington avec révérence, le lendemain, ils explorent un répertoire mondial, avant de s’attaquer à une création contemporaine. Igoe lui-même a formulé la mission avec une clarté désarmante: «Le monde n’a pas besoin d’un big band ordinaire. Ce dont il a besoin, c’est d’un spectacle inoubliable, spectaculaire, capable d’attirer de nouveaux publics vers cet art incroyable.»

Cet esprit les a portés à travers les États-Unis lors de leurs tournées de 2012 et 2013, où l’ensemble a apporté son mélange unique de tradition et d’innovation dans des salles de concert d’un océan à l’autre. Mais c’est dans l’enregistrement, et particulièrement dans ce projet, que l’on perçoit avec le plus d’évidence l’identité du groupe.

À l’écoute de cet album, on est transporté dans un paysage sonore qui semble à la fois rétro et neuf. On y reconnaît la parenté avec l’âge d’or des big bands des années 1950 et 1960, quand les orchestres savaient équilibrer swing et sophistication. Mais s’y glisse aussi une touche théâtrale, héritée de Broadway,  une évidence, compte tenu de la trajectoire des musiciens et du poli des arrangements. C’est un jazz traversé d’un sens du spectacle, mais jamais affadi par lui. Les orchestrations brillent comme un joyau, avec la précision d’un numéro de Broadway mais la liberté qui définit le grand jazz.

Au centre de ce projet se trouve le tromboniste et compositeur Mark Miller, dont la carrière se déploie à la frontière poreuse entre théâtre et jazz. Miller s’est formé dans l’écosystème de Broadway et, dès 2002, il partait en tournée avec Swing et Movin’ Out, l’ambitieux ballet pop signé Billy Joel et Twyla Tharp. Il a joué dans des arènes bondées aux côtés de Joel lui-même, devant des publics qui, pour beaucoup, n’avaient peut-être jamais entendu de trombone jazz auparavant. Plus tard, il a été soliste dans Come Fly Away, hommage musical à Frank Sinatra, lors de ses six mois d’affiche new-yorkaise puis en tournée nationale.

Depuis plus d’une douzaine d’années, pourtant, Miller consacre son énergie au Birdland Big Band, où il s’est imposé non seulement comme tromboniste principal, mais aussi comme l’une des voix créatives majeures. Ce n’est pas un hasard si un tromboniste se sent attiré par l’idiome du big band: les cuivres en sont l’âme, façonnant autant son élégance que sa puissance. Mais ce qui distingue Miller n’est pas seulement sa maîtrise de la section des cuivres, c’est sa volonté de penser au-delà.

Ses arrangements n’utilisent jamais les cuivres comme une arme lourde. Ils se déploient avec précision et légèreté, superposant les instruments de façon à créer de la transparence plutôt que de la densité. Ses orchestrations respirent: des motifs surgissent et disparaissent, des contre-mélodies scintillent, les textures s’épaississent ou s’amincissent comme un souffle. Le résultat est une formation qui ne semble jamais entravée par sa taille. Elle paraît agile, capable de déployer une force colossale quand il le faut, mais tout aussi à l’aise dans des moments d’intimité. Cet équilibre, entre poids et légèreté, définit la sonorité singulière du Birdland Big Band sous la plume de Miller.

Mais ce qui frappe le plus, c’est la sincérité qui traverse cette musique. À une époque où le jazz peut parfois se tourner vers le cérébral ou le nostalgique – cherchant soit à impressionner par la complexité, soit à rassurer par la familiarité, le Birdland Big Band propose autre chose: une musique à la fois intelligente et accessible, inventive et profondément habitée. À l’écoute de cet album, je n’éprouve aucune des distances que je ressens parfois devant d’autres grandes formations contemporaines. Ici, chaque note est animée par une intention, chaque phrase par une conviction. Le plaisir n’est pas ponctuel, il est continu, du premier titre au dernier.

Au fond, c’est peut-être le plus bel hommage qu’on puisse rendre à ce projet: ce big band, dans sa conception comme dans son exécution, incarne ce que cette tradition a de meilleur sans jamais s’y sentir prisonnier. C’est une musique qui honore son compositeur, élève ses interprètes et récompense son auditeur. C’est, tout simplement, l’un des projets de big band les plus convaincants que j’aie rencontrés depuis longtemps.

Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News

PARIS-MOVE, September 19th 2025

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Track Listing :
Storybook (Featuring Brandon Lee, Kenny Ascher & Nathan Childers)
Water Lily (Featuring Troy Roberts & Kenny Ascher)
Tenderly (Featuring Nicole Zuraitis & Sam Dillon)
Chorale And Alleluia (Featuring Troy Roberts & Kenny Ascher)
Sail Away (Featuring David DeJesus & Glenn Drewes)
WTF (Featuring David DeJesus, Sam Dillon, Chris Smith, James Burton III & Sara Jacovino)
Close Your Eyes (Featuring Nicole Zuraitis, Kenny Ascher & James Borowski)
Concierto De Aranjuez
Spain (Featuring Brandon Lee, Nathan Childers & Chris Smith)
The Doubledown (Featuring Jason Marshall, Ron Wilkins, Noriko Ueda & Mark Miller)
Nonsense (Featuring Nicole Zuraitis & Ron Wilkins)

Musicians:
Vocalist: Nicole Zuraitis
Alto saxes: Nathan Childers, David DeJesus
Tenor saxes: Troy Roberts, Sam Dillon
Bari Sax: Jason Marshall
Flutes: David DeJesus, Sam Dillon, Nathan Childers
Trumpets: Raul Agraz, John Walsh, Brandon Lee, Glenn Drewes, Max Darché
Trombones: Mark Miller, James Burton III, Ron Wilkins, Sara Jacovino, James Borowski (bass)
Piano: Kenny Ascher, Adam Birnbaum
Bass: Noriko Ueda
Drums: Chris Smith

Musical Director: David DeJesus.