Blues |
Né en 1951, Billy BRANCH fut l’un des porte-étendards de la quatrième génération du Chicago blues (après Sonny Boy Williamson, Muddy Waters, Elmore James, Buddy Guy, Magic Sam et Junior Wells, pour faire court). Révélé en 1978 sur le volume 1 de la compile Sonet/ Alligator “Living Chicago Blues”, il fit ses armes tandis que la vague blues se trouvait à marée basse, tout du moins à l’échelon international. Rien de tel pour apprendre le métier à la dure, comme ses prédécesseurs. Quant à Walter Jacobs (dit Little Walter, et disparu voici plus d’un demi-siècle déjà), c’est une sorte de statue du commandeur en soi. Ce dingo révolutionna quasiment à lui seul la pratique de son instrument (ce joujou mi-bois, mi-métal, que l’on nomme harmonica), tout en brûlant la vie par les deux bouts. Instrumentiste capable d’explorer toutes les possibilités (alors nouvelles) de l’amplification électrique (ainsi que celles de la vie interlope), le gusse finit bastonné à mort dans une back street, après une tumultueuse vie d’expédients. Autant dire qu’à côté, la trajectoire Robert Johnson, c’est le Club Med mâtiné de Center Parcs: plus maudit, tu te consumes direct en enfer! Après lui (et Big Walter Horton), plus moyen de jouer de l’harmo pépère: triples saltos arrière, feedback risqué et triplets en staccato frénétique devinrent l’aune à laquelle on jugea dorénavant tout nouveau cracheur de poumons, via l’ustensile à lamelles. De William Clarke à Lester Butler, ils furent légion (et pas des moindres) à s’y brûler les végétations, mais le souci demeure le même qu’avec tout innovateur: comment ACTUALISER le truc? Ou encore, comme le synthétisa un soir Big George Jackson: “how do you modernise perfection”? Certains (comme notre compatriote Mo Al Jazz) s’appliquent à REPRODUIRE jusqu’à la moindre inflexion le phrasé du Maître, mais cela a beau relever de l’exploit, on finit par se demander à quoi bon? Entre imitation servile et profanation iconoclaste, Billy BRANCH a choisi la voie médiane. Il est désormais plus âgé (et plus expérimenté) que Jacobs ne l’aura jamais été, mais il conserve aussi l’humilité de ne pas se prendre pour son modèle (en dépit de son propre savoir-faire). L’incarnation actuelle de ses Sons Of Blues intégrant, outre l’impressionnant pianiste Sumito Ariyoshi, le guitariste Giles Corey, il sait s’appuyer sur le swing tout terrain d’une section rythmique hors pair pour restituer le sel de compositions appartenant désormais au patrimoine (“Mellow Down Easy”, “Too Late Brother”, “Last Night”, “Boom Boom, Out Goes The Light”, “Hate to See You Go”, “You’re So Fine”…), sans en altérer outre mesure l’esprit originel (bien qu’il foudroie littéralement au chromatique “Blue & Lonesome”, et que son band propose une lecture en mode rumba du pourtant réputé intouchable “My Babe”). C’est la performance de ce tribute que d’actualiser sans le dénaturer le génie séminal auquel il se voue. Ménager à la fois la chèvre et le chou entre anciens et modernes, n’est-ce pas le lot dédié à tout bluesman, dans la longue chaine historique de ce courant ? Un album néanmoins en tout point jubilatoire.
Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder
PARIS-MOVE, June 16th 2019