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Le nouvel album de Bill Laurance: un saut dans l’inconnu, qui touche l’âme.
Dans son dernier enregistrement, le pianiste et claviériste Bill Laurance entraîne l’auditeur dans un voyage inattendu, au cœur de son univers intérieur. Pour ce projet, le compositeur s’est retiré du monde pendant plusieurs jours et nuits, s’isolant avec pour seule compagnie un piano à queue. Son refuge: le sanctuaire aux murs de briques de l’église St Faith, à Dulwich, dans le sud de Londres, un lieu qui l’a protégé des distractions quotidiennes et a créé un écrin spirituel autour de la musique.
«Je ne suis pas particulièrement religieux », se souvient Laurance en évoquant la session d’avril. «Mais c’était spécial de jouer là, avec la vie quotidienne suspendue. Dans ce genre d’environnement, on communique seulement avec soi-même. Je voulais capturer la liberté musicale qui surgit dans ces moments-là.»
En écoutant l’album, on perçoit ce silence qui l’entourait, un silence fertile, propice à la réflexion et à la création. Ce qui en ressort sont sans doute les œuvres les plus intenses et personnelles de sa carrière. Pour Laurance, le lieu de création et la musique elle-même sont indissociables; peu importe lequel a influencé l’autre en premier. Ici, le cofondateur de Snarky Puppy, réputé pour son mélange subtil de textures acoustiques et électriques, se concentre entièrement sur les vastes possibilités d’un piano de concert, et sur cet espace liminal entre structure et spontanéité.
«Quand on joue en solo, on a une occasion unique d’explorer cela», explique-t-il. «Enregistrer dans une église était le cadre parfait, ça m’a permis de m’abandonner complètement à la musique. Le brillant guitariste Isaiah Sharkey m’a un jour confié que c’est la musique elle-même qui lui dit quoi jouer. Cette idée m’a marqué. Nous avons l’habitude de tout contrôler, de répéter jusqu’à la perfection. Mais je crois que j’en suis arrivé à un point où je veux juste laisser couler, faire l’inverse, laisser la musique prendre le dessus.»
C’est une approche profondément européenne, où la frontière entre musique classique et jazz s’efface presque totalement. Pour Laurance, qui a étudié la composition classique à l’Université de Leeds tout en explorant le jazz, le funk et la drum’n’bass, ces deux univers se sont toujours entremêlés. Au fil des années, il a affiné une immédiateté mélodique et une maîtrise intense de l’improvisation, forgeant un style qui allie le lyrisme de la musique classique anglaise, l’énergie de l’électronique, la tension du jazz-rock et la vitalité brute des grooves contemporains.
Tout ce cheminement s’exprime pleinement ici. Nombre de morceaux de Lumen reposent largement sur l’improvisation; d’autres suivent des structures clairement définies. Mais à 44 ans, Laurance ne recherche ni la résolution parfaite ni l’achèvement; il puise sa force dans le contraste. Qu’il joue avec son trio, en duo avec Michael League, avec Snarky Puppy ou dans des projets orchestraux comme Bloom avec The Untold Orchestra, il recherche des contextes où le dialogue musical devient un acte de confiance partagé.
En solo, le risque est total, comme un acteur seul sur scène, sans filet. Et, telle la lumière filtrant à travers un vitrail, la musique se révèle ici lumineuse, sincère et profondément poétique. «On fixe des règles, mais on peut aussi les briser», confie Laurance. «Pour moi, c’était comme un pèlerinage solitaire. J’ai enregistré environ trois heures de musique, puis j’ai dû choisir quoi garder. Mais, au fond, c’était une expérience spirituelle, un processus d’approfondissement, une affaire de confiance. Un peu comme Indiana Jones dans La Dernière Croisade, lorsqu’il se lance dans le vide: un saut dans l’inconnu. Je n’aurais pas pu révéler davantage qui je suis qu’avec cette musique. J’étais entouré de synthés, de boîtes à rythmes, de toutes sortes de matériel, même en solo. Mais aujourd’hui, en tant qu’artiste, je me sens prêt à laisser tout cela derrière moi. L’idée, c’est d’être plus organique, plus pur, plus direct.»
Le résultat: un album à la fois aboutissement et point de départ, un pont entre le Bill Laurance d’aujourd’hui et celui qui se dessine pour demain.
Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News
PARIS-MOVE, August 11th 2025
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Musician/Composer: Bill Laurance, piano & keyboard
Tracklist:
Fils D’or
Lumen
Mantra
What You Always Wanted
Dove
Treehouse
Lovers Leap
Opal
Sera
Even After All