Rock |
Ne pas se fier à la photo de jaquette. Si le type en costard, tenant négligemment son pardessus et son chapeau à la main, son célèbre accroche-cœur surplombant des Ray-Ban, ses pommettes hautes et son sourire poupin, arbore de faux-airs d’Oncle Paul, et si les joyeux drilles l’accompagnant sur le tarmac d’Orly passeraient presque pour une délégation de l’École de Marcinelle, ce document n’en témoigne pas moins d’une véritable secousse tellurique. Sous leurs dehors affables, ces gentlement étaient en fait en mission pour le Seigneur. Le Saigneur, devrait-on plutôt écrire, car si le cogneur Ralph Jones ne semble pas déterminé à vous passer le steak à l’attendrisseur, ni le sax de l’hystérique Rudy Pompilli, ni la lead guitar de Francis Beecher n’étaient manifestement guère plus disposés à concéder le moindre quartier. Bref, pour leur première incursion en terre hexagonale, Bill Haley & His Comets paraissaient résolus à ne pas faire de prisonniers. 14 ans après le débarquement de Normandie et en plein plan Marshall, les Amerloques venaient donc libérer Paris une seconde fois. Tandis que les troufions du contingent se les rôtissaient dans les Aurès, et que Michel Debré venait de proposer une nouvelle constitution, les jeunes français avaient soif de défoulement. Et c’est une explosion en chaîne que cet enregistrement restitue avec fidélité. Les Comets avaient bouffé du lion enragé et exécutaient tous les tempos pied au plancher. Après “Beecher’s Boogie Woogie”, Haley fut contraint de rappeler une première fois l’assistance à la décence (“Désolé, c’est un théâtre ici, vous n’êtes pas autorisés à danser, veuillez avoir l’obligeance de regagner vos fauteuils” – sic !). En pure perte, comme en atteste l’admonestation qui conclut le morceau suivant ! Ainsi qu’en témoignent ses vociférations, le public de l’Olympia refusait manifestement de céder. Il faut entendre le raffut que fit l’assistance pour obtenir le rappel de circonstance, après que le groupe eût prétendu achever un set de trente minutes sur une version (certes dévastatrice) de “Rock Around The Clock”, pour mesurer l’impact de la fameuse comète sur la surface de la planète française. Galvanisé par ce pandémonium, Rudy Pompilli pilotait en piqué ondulatoire une version d’anthologie du “Tequila” des Champs, au mileu d’un chahut quasi-insurrectionnel. Bon Dieu, et si les germes de mai 68 avaient de fait été semés en cette occasion ?
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Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder
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