Jazz |
Depuis Art Tatum jusqu’à Chick Corea et Keith Jarrett, le piano demeure sans conteste l’un des instruments majeurs du jazz. Au champ d’honneur des forçats des ivoires, Bill EVANS conserve, près de quatre décennies après sa disparition, un statut à part. Longtemps dénigré par les apôtres d’une certaine avant-garde, ce brave Bill n’en a pas moins révolutionné à sa manière l’approche de l’instrument, en lui conférant plus qu’aucun autre le bagage harmonique hérité des patrimoines classique et romantique. Si ses comtempteurs le qualifiaient (à grand tort) de “pianiste de bar” (en raison notamment de ses nombreux emprunts au répertoire de Broadway), il est désormais indéniable que ce grand styliste parvint à se créer un univers à sa mesure. Aussi angoissé et tourmenté que les plus brillants de ses collègues contemporains, Bill EVANS n’en laisse pas moins un héritage aussi riche que conséquent (on ne compte plus ses enregistrements, dont un bon tiers n’émergea qu’après sa mort). Très peu de déchets sont cependant à déplorer dans cette pléthorique production, et cet enregistrement en studio (mais devant un public restreint) pour la radio néerlandaise, moins d’une semaine après leur historique passage à Montreux, ne dément pas cette constance. Succédant à Philly Joe Jones, c’est le grand Jack De Johnette qui tient ici les balais et baguettes, tandis que le fidèle Eddie Gomez complète le trio. Outre celui du fameux concert de Montreux, voici donc seulement le troisième enregistrement de cette formation (De Johnette l’ayant quittée au bout de six mois pour se joindre brièvement à Miles Davis). Fidèle à ses penchants, Bill EVANS adapte ici Burt Bacharach, Gershwin et André Prévin, parmi un brelan de ses propres compositions. Deux des sommets de ce recueil s’avèrent la ballade “Emily” de Johnny Mandel, et une longue interprétation du “Nardis” de Miles Davis (8’34 de fleuret moucheté entre trois solistes de très haut vol). Outre l’extrême valeur de l’interplay entre ces musiciens, il faut également signaler la grande qualité sonore de cette captation (ainsi que de sa mastérisation). Un must de plus à ajouter à l’édifice!
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Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder
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