Bill Deraime – Brailleur de fond

Dixiefrog – Harmonia Mundi
Blues

‘Compilation’, vous diront les grincheux qui ne feront que regarder vite fait les titres alignés sur ce double CD au titre évocateur et qui pourrait déjà servir de première réponse à ces rabat-joie, ‘Brailleur de fond’.
Compilation, certes, d’une certaine manière, mais le gros, le très gros plus de cette compil (qui n’en est pas une) est que le Bill a rechanté et réenregistré de vieux titres, comme pour leur donner un nouvel éclairage, une patine, un brillant que les sessions d’enregistrement de l’époque n’avaient pas forcément su donner à certains ‘hits’ du bonhomme.
Et si les grincheux vous tannent encore avec leurs arguments à la con, le Bill n’en a cure, leur proposant comme réponse cinglante le premier des 26 titres de double CD, ‘Chanteur maudit’. Une chanson interprétée ici à la demande d’un ami car elle traite d’un problème essentiel aujourd’hui: le droit et le besoin d’exister. Une chanson écrite en 79/80, alors que Bill Deraime avait encore très présent dans son esprit cette période où il chantait dans les couloirs du métro avec Flo qui jouait, elle, du washboard et des cuillères à l’irlandaise.
Un retour sur le passé qui marque des chansons et ce double opus qui sonne terriblement actuel car après cette période du métro, Bill a connu le succès, le show bizz, avec ses bons côtés et ses revers de médaille, les grosses tournées et les hits qui tournent en boucle à la radio, puis l’absence, sans comprendre le pourquoi du comment, l’absence et le silence tandis qu’autour de lui les labels se cassent la figure et maudissent internet.
En homme sage, Bill Deraime fait une introspection de toutes ces années passées, de ces tubes bombardés sur les radios à ces titres oubliés, placardisés, et il va tout reprendre, réenregistrer, remasteriser pour nous proposer des chansons connues, certes, mais rajeunies, embellies, et qui sonnent merveilleusement bien.

Ce n’est pas faire insulte en le disant, mais il faut reconnaître que certaines chansons telles ‘Avant la paix’, reggae aux paroles terriblement d’actualité, elles aussi, et ‘Babylone tu déconnes’ vous feront vibrer dix fois plus que les ‘originales’. Et si vous ne me croyez pas, faites comme moi, et écoutez les deux chansons l’une après l’autre. Vous verrez alors que ce ‘Brailleur de fond’ a représenté un gros, un énorme boulot que se doit d’être salué. Un gros boulot dans lequel Bill Deraime a tout donné de lui, comme ces mineurs de fond qui descendaient au fond des mines au péril de leur vie pour que la vie moderne puisse continuer. Du charbon, il en fallait pour faire avancer les locomotives à vapeur, avoir de l’électricité, se chauffer,…des chansons, il en faut pour faire avancer l’humanité en lui criant ses vérités. Et c’est ce que Bill Deraime fait, en traçant toutefois dans les sillons de ses CD des pistes à suivre, comme dans ‘Energie positive’ :
Quelque chose qui attire
Et nous emmène toujours plus haut
Dans une navette nommée désir
Pour voir le monde beaucoup plus beau

Et au travers de ‘Je suis l’homme’, Bill vous amène à chercher ce qui existe éternellement dans ce qui n’est que provisoire et quotidien. Croire que l’Humanité, malgré les apparences actuelles, évolue avec le Monde (et non pas contre le Monde)…, avant de nous chanter ‘Esclaves ou exclus’, chanson écrite suite à la lecture d’un petit livre écrit par Albert Rouet et Philippe Caumartin, traitant de l’exclusion.

Peu de nouveaux titres, c’est vrai, sur ce double CD, mais quatre inédits, et c’est déjà beaucoup. A signaler, la très belle reprise de ‘Lord I Can’t Bear’, du Reverend Gary Davis, et ce ‘Jesus Met The Woman At The Well’, un traditionnel adapté par Gary Davis et arrangé par Bill Deraime, sans oublier cette adaptation française du cultissime ‘Sittin’ On The Dock Of The Bay’ qui devient, sous la plume de Bill, ‘Assis sur le bord de la route’. Une route au bord de laquelle vous resterez assis, vous aussi, pour voir passer Bill Deraime, le coureur de fond de la chanson française.

A consulter également:
http://www.billderaime.com
http://www.brailleurdefond.fr

http://www.myspace.com/billderaime

et le site de Dixiefrog:
http://www.bluesweb.com

 

C’est d’une véritable anthologie qu’il s’agit. Mais reconnaissons que si les français sont un peu plus enclins à écouter du blues, aujourd’hui, des chansons comme ‘Le chanteur maudit’ ou ‘Babylone te déconnes’ y sont pour quelque chose! A tel point qu’à l’époque où ces chansons étaient diffusées sur les ondes, nous n’étions même pas conscients que cela se chantait autrement qu’en français.
Sur ce double opus, ce sont vingt six chansons, vingt six textes intelligents emprunts d’une sensibilité et d’une charge émotive immense qui vous sont offerts. Et non pas proposés, mais offerts. La voix est, certes, identique, mais l’âge commence à la marquer significativement (et personnellement, j’apprécie!). Ce qui ne fait qu’ajouter de l’émotion à l’écoute de ces deux galettes.
Un magnifique livret nous rappelle la genèse des chansons et des textes, et cela nous rapproche encore davantage du bonhomme. C’est vrai que l’on se sent un peu ‘merdeux’ d’avoir pu l’oublier, en partie, ce Bill là…
Ces disques, c’est aussi l’histoire d’une amitié et d’une fidélité hors pair, car que cela concerne les enregistrements de 2003/2004, les titres enregistrés en 1998/99 et rechantés en 2009, ceux enregistrés et mixés en 2007/2008, rechantés en 2009 ou ceux de 2009 ou celui de 1997, Mauro Serri est, en effet, toujours à côté du compositeur-chanteur. Fidèle parmi les fidèles, sa présence permanente atteste de la solidité de certains liens qui ont, eux aussi, tendance à se dissoudre par les temps qui courent! D’autant que son jeu de guitare nous a toujours prouvé qu’il n’y avait pas besoin de traverser l’Atlantique pour trouver des musiciens talentueux.
Ce qu’il y a de formidable dans la réalisation de ce recueil c’est que des musiciens contemporains viennent également renforcer la logistique de Bill Deraime. C’est le cas de Larry Crockett, Boney Fields ou Nadège Dumas, preuve s’il en est de la permanence et de la solidité du blues dans l’hexagone. Car ce disque, c’est aussi l’histoire de morceaux qui ont été enregistrés dans différents endroits, à différents moments, et qui pourtant se retrouvent réunis sur un ‘projet’ qui tient vraiment bien la route. Cet ouvrage résume aussi, quelque part, l’histoire de la musique bleue. Fragmentée, disparate, sans lien logique, apparaissant là, pour mieux disparaître ailleurs, il n’en demeure pas moins qu’elle perdure malgré toutes les vicissitudes et que quoi que l’on en pense, elle n’a jamais été aussi bien portante qu’aujourd’hui !

Dominique Boulay
Paris-Move & Blues Magazine
Bill Deraime