Musique classique |
Invitée en 2014 au Grand Théâtre de l’Opéra National de Varsovie, Beth Gibbons, l’ex-vocaliste de Portishead, s’y était lancé l’incroyable défi de reprendre dans sa version originale (soit en polonais) le livret de la 3ème symphonie de Górecki, l’une des pièces les plus sombres du répertoire classique contemporain (écrite en 1976). Beth Gibbons et l’Orchestre Symphonique National de la Radio polonaise (dirigé par Krzysztof Penderecki en personne) interprétèrent donc la “Symphonie des Chants Plaintifs”, exercice d’autant moins simple pour la chanteuse qu’elle dut alors s’approprier le texte original dans une langue qui lui était inconnue. Devenue au fil des ans une sorte de fétiche new-wave, cette œuvre fit en effet l’objet de multiples adaptations, dont celle du London Sinfonietta dirigé par David Zinman (avec la soprano américaine Dawn Upshaw) fait aujourd’hui encore figure de référence. Les “Chants Plaintifs” évoquent tour à tour l’amour d’une mère pour son fils (premier mouvement), une prière qu’une jeune fille grava sur le mur d’une prison de la Gestapo dans le sud de la Pologne (second mouvement), et le deuil d’une mère ayant perdu son fils (troisième). Beth Gibbons avait certes toute légitimité à interpréter ces trois voix, et elle a manifestement accompli tous les efforts nécessaires pour en être digne. Comme Penderecki (qui dirige l’ensemble de main de Maître) le confesse lui-même (et bien que l’orchestration majestueuse qu’y apporte l’ensemble symphonique en soit le garant), c’est la voix qui véhicule l’essentiel de la puissance émotionnelle de cette symphonie. Or, aussi sensible et modulée qu’elle ait pu s’avérer avec Portishead, celle de Beth Gibbons n’a jamais bénéficié de l’apprentissage spartiate qu’impose l’art lyrique en pareil contexte. C’est sans doute ce qui en marque les limites, tout en en soulignant la performance.
Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder
PARIS-MOVE, June 5th 2019