Ben Thomas – The Hat With The Grin And The Chuckle (FR review)

Origin Records – Street date : August 18, 2025
World Jazz
Ben Thomas - The Hat With The Grin And The Chuckle

Ben Thomas et l’avenir du bandonéon : un mirage culturel en mouvement.

Astor Piazzolla n’a pas seulement maîtrisé le bandonéon, il en a redéfini les contours. Par le son, la forme, l’art de l’accompagnement et du phrasé, il a inscrit dans l’histoire une sorte de charte invisible, mais indélébile, dictant ce que l’instrument devait être et pouvait devenir. Pendant des décennies, ces règles tacites sont restées intactes, respectées presque religieusement. Il aura fallu l’arrivée d’une nouvelle génération d’artistes, plus ouverts, plus cosmopolites, pour oser en repousser les limites. Une génération audacieuse, nourrie de croisements esthétiques et de curiosité.

Parmi eux, la Française Louise Jallu s’impose en figure de proue, déconstruisant le tango avec une maîtrise rare. Mais outre-Atlantique, dans les terres fertiles du jazz nord-américain et des musiques expérimentales, un autre nom s’impose: celui de Ben Thomas.

Compositeur, bandonéoniste, vibraphoniste et percussionniste, Ben Thomas appartient à cette catégorie rare de musiciens dont l’intelligence musicale transparaît immédiatement dans l’écriture, une écriture presque cinématographique, narrative, d’une richesse imagée saisissante. Chez lui, le tango n’est plus un genre figé mais une sorte de mirage culturel, un point de départ plus qu’une destination. Là où Piazzolla créait la tension dramatique par l’harmonie, Thomas superpose les polyrythmies avec une élégance surprenante. Là où d’autres restent fidèles aux racines dansées du tango, lui préfère la liberté de l’improvisation, l’ouverture du contrepoint, et une forme de légèreté onirique.

Ce langage unique n’est pas le fruit du hasard. Sa maîtrise de plusieurs instruments l’amène à composer autour du bandonéon, mais aussi à écrire pour d’autres instruments avec une finesse remarquable. Vibraphone, cordes, vents: tout dans son orchestration révèle une écoute rare, une attention à l’équilibre, au souffle, à la transparence. Ce n’est pas une simple écriture, c’est un sortilège. Comme si Merlin l’Enchanteur avait troqué sa baguette pour une partition.

Le résultat est une œuvre qui échappe à toute étiquette. S’il faut absolument classer sa musique, appelons-la jazz-fusion – mais alors dans son acception la plus noble et la plus ouverte. Car ce que Ben Thomas propose n’est pas un simple métissage opportuniste, mais une vraie synthèse des traditions. Du tango au jazz, de la musique de chambre à la bande originale, il passe d’un monde à l’autre avec une aisance déconcertante, sans jamais trahir l’essence de chaque univers.

Passionné de tango et de danse, Thomas découvre le bandonéon en 2006. Son chemin le conduit en Argentine, puis vers des collaborations avec des musiciens de tango venus du monde entier. En 2018, il est invité comme soliste au bandonéon pour Maria de Buenos Aires de Piazzolla, à l’Opéra d’Eugene. Il tourne depuis régulièrement avec l’Atlas Tango Project, dont le dernier album, Estaciones y Sueños, mérite toute l’attention.

Mais Thomas n’est pas seulement un interprète. Il est aussi un compositeur prolifique, ayant écrit pour des ensembles de chambre, des big bands, des formations de jazz, de danse ou de théâtre. Aujourd’hui, il dirige le département de musique du Highline College, où il enseigne la théorie, la composition et l’interprétation, formant à son tour les musiciens de demain.

Sa carrière l’a mené sur de nombreuses scènes, du Stowe Tango Music Festival au Detroit-Montreux Jazz Festival, en passant par Bumbershoot, Earshot ou encore le Juneau Jazz and Classics Festival. Partout, il s’impose par sa polyvalence, son raffinement, et cette manière singulière de faire entendre une voix personnelle sans jamais écraser les traditions qu’il traverse.

À l’écoute de son œuvre, on perçoit des échos de Piazzolla, bien sûr, mais aussi d’Érik Satie, de John Williams, peut-être même de Bill Frisell ou de Gil Evans. Pourtant, tout cela reste profondément personnel. Sa musique touche à la fois les néophytes et les mélomanes, les amoureux du tango et ceux qui le découvrent à peine. Car Ben Thomas n’est pas l’homme d’une seule culture: il est l’homme d’une fusion, d’un dialogue permanent entre les mondes.

C’est là, sans doute, son plus grand mérite: rendre au bandonéon sa capacité d’émerveillement, son pouvoir évocateur. Sa musique n’est pas seulement virtuose ou savante, elle est habitée, lumineuse, vibrante.

Il inspirera sans nul doute d’autres musiciens. Et ce sera justice. Car nous avons là non seulement une œuvre respectable, mais véritablement novatrice. Comme l’aurait dit un certain personnage: «complexe, fugace et synthétique».

Un nouveau chapitre du bandonéon s’écrit. Et c’est Ben Thomas qui en tient la plume, une phrase, une couche, un miracle à la fois.

Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News

PARIS-MOVE, July 29th 2025

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Website

Musicians:
Ben Thomas – bandoneon, vibraphone, percussion
Eric Likkel – clarinet
Steve Schermer – bass
Laura Coronel – violin
Elizabeth Phelps – violin
Gabe Hall-Rodrigues – piano

Track Listing:

1  The Promise of Morning  3:56
2  Sonia’s Mask  5:08
3  The Hat with the Grin and the Chuckle  4:14
4  Eric’s Vals  4:47
5  Other Afternoons  5:22
6  An Unapologetic Shift of Perspective  5:00
7  Valley Shroud  4:31
8  The Second Brick  3:58

All compositions by Ben Thomas (Malletman Music, ASCAP)

Production Info:
Produced by Ben Thomas
Recorded & mixed by Ben Thomas at Concinnity Studios, Seattle, WA
Mastered by Ed Brooks at Resonant Mastering, Seattle, WA
Cover art by Sylvia Kurin / Group photo by Jamie Maschler
Cover design & layout by John Bishop