BEN DE LA COUR – Shadow Land

Flour Sack Cape Records
Americana
BEN DE LA COUR - Shadow Land

“Il y a les singers-songwriters, et puis il y a les troubadours” énonce d’entrée de jeu le communiqué de presse. “La première catégorie est composée d’âmes sensibles et délicates, qui partagent leur journal intime avec le reste du monde… Tandis que ceux qui appartiennent à la seconde font seulement de leur mieux pour échapper à la prison”. En dépit du fait que ces lignes auraient aussi bien pu être signées de la main d’Ernest Hemingway que de celle de John Steinbeck, on n’a aucune peine à se représenter une short-list de personnalités auxquelles elles s’appliquent comme un gant. Même si l’on ne peut certes dénier à des artistes tels que Hank Williams, Woody Guthrie, Townes Van Zandt, Steve Earle ou Dan Brodie leur incontestable talent de songwriting et d’interprètes, leurs modes d’existence, flirtant à des degrés divers avec une funeste tendance à l’autodestruction, les rangent assurément parmi la classe des renégats. Il en va plus que jamais de même avec Ben De La Cour. Natif de Londres mais élevé à Brooklyn, cet exilé perpétuel, déménageant sans cesse comme s’il avait le diable à ses trousses, hésita un temps entre une carrière de boxeur amateur et celle de guitariste auprès de son frère, au sein de leur formation de doom metal Dead Man’s Root, avec laquelle ils écumèrent l’Europe. De retour aux States, il enregistra  en 2009 et à Los Angeles son premier album solo, “Under A Wasted Moon”, avant de migrer pour New-Orleans, où il publia “Ghost Light” en 2011. Ce n’est qu’en 2016 qu’il récidiva, avec un “Midnight In Havana” capté cette fois à Nashville, et qui lui valut enfin l’attention de la critique americana. “Si l’on m’avait donné un sou pour chaque chanson que j’ai écrite… Eh bien, je serais tout de même encore fauché “, y énonçait-il non sans malice. Il lui aura fallu près de trois ans pour nous offrir le successeur du pertinemment intiulé “The High Cost Of Living Strange”. Comme de coutume oserait-on presque écrire, ce temps de maturation fut entrecoupé d’abus de substances diverses (alternant avec les cures de sevrage concomitantes), ainsi que de concerts plus ou moins intimes dans les lieux les plus disparates et incongrus. Tribulations dont cet observateur acerbe et provocant nourrit, cette fois encore, son art protéiforme. S’ouvrant sur l’enlevé “God’s Only Son” (narration classique de l’errance morbide d’un braqueur de banque mystique, sur fond de sifflements enniomorriconesques), la galerie des curiosités se poursuit avec le funèbre “High Heels Down The Holler”, description quasi-clinique d’une déchéance, à faire passer (avec son crin-crin de violon grinçant) la fameuse “Ditch Trilogy” de Neil Young pour la bande son de Gym-Tonic. Chanté d’un ton sensible sur un délicat picking de guitare, le pétrifiant “The Last Chance Farm” décrit une impossible rencontre sentimentale au sein d’un centre de post-cure (on vous a prévenus, ça ne rigole pas tous les jours chez les De La Cour). L’ombre électrique du Loner traverse l’acrimonieux “In God We Trust… All The Others Pay Cash” (et c’est le fidèle Alex, le propre frère de Ben, qui y fouette les peaux). Le poignant “Amazing Grace (Slight Return)” en remontre aux pourtant réputés indépassables “Nebraska” et “Ghost Of Tom Joad” de Springsteen (“that boy Tucker, he’s a real jerk”), tandis que la plage titulaire et le lugubre “Swan Dive” rappellent l’Anders Osborne de “Which Way To Here”, et que “From Now On” renvoie à la verve agreste des “Comes A Time” et “Harvest Moon” du barde de Winnipeg (il est vrai que cet album y fut enregistré), avec les contrechants façon Emmylou Harris d’Andrina Turenne et le piano et l’accordéon de Jeremy Rusu d’une part, et le violoncelle de Julian Bradford de l’autre. Mené à train d’enfer, le rock n’ roll vengeur “Basin Lounge” emprunte à Jerry Lee Lewis son effréné pounding piano, tandis que Ben y démontre à quel point il peut s’avérer tout aussi pertinent en pareil registre. Sur un magistral picking emprunté à l’immortel Mississippi John Hurt, “Anderson’s Small Ritual” (figurant l’admonestatoire “never trust any man if he don’t have no scars”) scelle la profonde imprégnation de la tradition d’un Ben qui aurait presque pu passer sans cela pour un fieffé iconoclaste. Il n’était que temps, car avec son climat oppressant, “Harmless Indian Medicine Blues” associe le beuglement hâbleur d’un John Kay avec le chain gang tétanos du blues de Tom Waits. Pour parachever la démonstration, “Valley Of The Moon” emprunte sa facture à un Leonard Cohen qui n’en a de toute manière plus réellement l’usage, pour un tableau d’une désolation aussi désespérée que prégnante. Bref, qu’on l’affuble de la mauvaise conscience d’une Amérique actuellement plongée dans la plus poisseuse confusion, ou que ce fils perdu de l’Occident en assume masochistiquement les stigmates, Ben De La Cour n’en arpente pas moins de plain pied la cour des très grands. Dépêchons nous de l’admettre avant qu’un accident ne survienne, car ce funambule évolue manifestement sans filet.

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, March 16th 2021

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BEN DE LA COUR – Shadow Land, un album à commander sur le Bandcamp de BEN DE LA COUR, ICI

Un album à retrouver chez nos amis de Folk Radio UK, sur leur site web, ICI

BEN DE LA COUR – VALLEY OF THE MOON (official video):

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