Afrobeat, Funk, Jazz |

Pour son neuvième album en près de 19 ans de carrière discographique, le poète jazz-beat anglo-trinidadien complète sa bibliographie de huit ouvrages (entamée en 1994) par cette uchronie concluant une trilogie sonore débutée il y a cinq ans, avec “People Of The Sun”, puis “The Rich Are Only Defeated When Running For Their Lives”. Fondé sur l’hypothèse d’une origine africaine des OVNI, cet audio-serial prolonge en effet son exploration des multiples ramifications de la diaspora afro-caraïbéenne pour en projeter les extensions vers un futur où dub, hard-hop, funk, afrobeat, calypso et blues accoucheraient d’une fusion à la fois hybride et universelle. Avec l’appui du musicien et producteur Dave Okumu, Anthony Joseph embarque son orchestre d’une dizaine de membres dans une quête archaïque aux sources de ces courants, pour y “remonter la rivière afin de récupérer nos véritables noms” (on sait en effet que les déportés africains réduits en esclavage “héritèrent”, pour tribut de leur arrachement, de l’état-civil de leurs bourreaux). Disponible sous la forme d’un double-LP, ce concept-album rejoint dans sa tonalité les œuvres respectives de George Clinton, Curtis Mayfield, Sly Stone, Band Of Gypsies et Kamasi Washington, selon un vertigineux carrousel kaléidoscopique. Avec le cameo de la chanteuse anglo-zimbabwéenne Eska Mtungwazi, le “Satellite” introductif débouche sur le “Black History” qui faillit donner son titre à l’album. Entre Fela Anikulapo Kuti et Maceo Parker, cette plage constitue la matrice de ce recueil ambitieux, tandis que le spoken word d’Anthony y ravive le flow et la verve du regretté Gil Scott-Heron en un long poème narratif digne de James Balwin, égrenant plusieurs figures fictionnelles afro-américaines ainsi que leur environnement et leur quotidien. Plus ouvertement afrobeat encore, “Tony” s’avère un hommage appuyé au master-drummer de l’Africa 70, Tony Allen. Toutes les spécificités de cet héritier surdoué du highlife y sont rassemblées: chœurs hypnotiques, basse élastique, cuivres syncopés, et bien entendu ce flux polyrythmique et habité qui caractérisait son jeu. “A Juba For Janet” est un long spoken dub à la manière de Linton Kwesi Johnson, ponctué de lambeaux de skank mêlés aux échos de cuivres jazz et de guitare wah-wah. Le genre de plage à ne pas écouter sans un sérieux cocktail de weed et de rhum arrangé à portée de main, de même que “Churches Of Sound (The Benitez Rojo)”, où sur un hard-bop swing piano façon Horace Silver et de majestueux arrangements de cordes synthétiques, Anthony livre une nouvelle lecture en biais des musiques afro-descendantes, depuis les origines du jazz à New-Orleans via Buddy Bolden et Sydney Bechet (ainsi que de Benny Moten migrant vers New-York pour y rencontrer Willie “The Lion” Smith), jusqu’à l’incidence londonienne du chanteur de calypso Lord Kitchener et l’avènement de Miles Davis et de son révolutionnaire “So What”. Comme l’indique son titre, “An Afrofuturist Poem” traite d’hérédité prospective, avant que “Milwaukee & Ashland” ne ferme le ban sur un prêche déclamatoire au beat lancinant. Moins festive qu’à ses débuts, l’expression d’Anthony Joseph n’en atteint pas moins une nouvelle dimension, alliant profondeur du propos à l’expansion œcuménique de ses formes. Black art matters too!
Patrick DALLONGEVILLE
Paris-Move, Illico & BluesBoarder, Blues & Co
PARIS-MOVE, January 25th 2025
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