Blues |
Bouclez vos ceintures, car ça risque de secouer… Quand les irresponsables qui gèrent mon bureau de poste daignèrent enfin me remettre le stock de courrier qu’ils avaient malencontreusement logé trois semaines durant dans une boîte postale erronée, je ne m’attendais pas à y trouver pareille bombe à retardement. La découverte du premier album de ce jeune harmoniciste de Richmond en Virginie produit en effet celui d’un glissement de terrain. Intégralement mixé en mono, on n’a pas ouï enregistrement plus ancré dans le blues des années 40 à 60 depuis… oh, sans doute depuis ce “Blues Of Little Walter” que nous offrit Mo Al Jaz voici trois ans déjà (un “indispensable” dont vous pouvez retrouver la chronique ICI), voire le “Alone With The Blues” de Keith Dunn en 98 – ce genre d’ovni, oui. Épaulé par de remarquables parrains tels que le guitariste Big Jon Atkinson et le pianiste Carl Sonny Leyland, Andrew Alli (qui n’avait jusqu’alors enregistré que deux titres, parus l’an dernier sur un album-hommage à Walter Horton) effectue pour sa première sortie discographique un véritable coup de maître. Rythmique souple et feutrée, chant aussi puissant qu’assuré, expressivité à fleur de peau et profonde imprégnation de l’idiome (depuis ses racines agraires jusqu’à ses extensions plus sophistiquées): ces douze plages rappellent à bon escient les ferments qui suscitèrent la diffusion du blues urbain au demi-siècle dernier. Démarquée du “Done Somebody Wrong” de Rice Miller, la plage titulaire vous embarque immédiatement dans un trip parmi les bouges enfumés de la Windy City, au temps où nulle incursion dans le West-Side n’était exempte de menace pour votre intégrité physique. D’emblée, tout s’y trouve préservé: le son, le phrasé et les maniérismes de grands anciens tels que Big Walter Horton, Junior Wells, les deux Sonny Boys et bien entendu, Walter Jacobs aussi. Les instrumentaux “AA Boogie” et “Walkin’ Down” s’avèrent à ce titre d’impressionnantes synthèses des jeux respectifs de ces derniers, et la reprise sensible du “One More Chance” de Little Walter constitue l’une des pépites de cette galette, qui ne compte que deux autres adaptations. L’une d’entre elles, l’instrumental “Walters Sun” de Horton, témoigne de la saisissante assimilation de son art par ce jeune disciple, et quand Andrew Alli embouche le chromatique pour sa cover du “Good Things” de George Smith (ou le bien intitulé instrumental “Chrom-A-Thick”), sa maîtrise se révèle tout aussi convaincante que l’économie de son jeu. Alors que tant d’émules de ces Maîtres éreintent leur auditoire en de vaines acrobaties, l’étude approfondie de leurs particularismes a plutôt conduit Alli à une forme d’épure, de “less is more”, ô combien plus expressive que toute démonstration superfétatoire. En ce registre, il se révèle plus proche de William Clarke et Johnny Woods que des escaladeurs de gammes, et l’authenticité de son souffle gagne en puissance et en évocation ce qu’elle s’épargne de dispersion. L’original “Going Down South” (une rumba) évoque ainsi le truculent “Chitlins Con Carne” qui émaillait le fameux “Hoodoo Man Blues” de Junior Wells. Un album d’exception, et un artiste majeur avec lequel il faudra désormais compter!
Patrick Dallongeville
Paris-Move, Blues Magazine, Illico & BluesBoarder
PARIS-MOVE, May 29th 2020
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ANDREW ALLI – Hard Workin’ Man: à commander d’urgence sur le site internet de Andrew Alli, ICI