Alex Ventling – Wavemakers (FR review)

NCB – Street date : December 11, 2025
Jazz
Alex Ventling – Wavemakers

Musicien, cinéaste, poète du son et de l’image, Alex Ventling est à l’image de son parcours: insaisissable et multiple. Suisse par la naissance, néo-zélandais par l’héritage, il incarne cette identité nomade qui traverse les continents et les cultures sans jamais s’y fixer. Son nouvel album s’écoute comme un film invisible, chaque morceau semblant raconter une histoire, avec une rigueur de composition et une liberté d’expression qui se conjuguent à merveille.

Ventling a déjà évoqué le terme de «jazz de chambre» pour qualifier sa musique. L’expression lui va bien, certes, mais elle ne dit pas tout. Ce que l’on entend ici tient plutôt de la bande originale d’un film intérieur, d’une œuvre imaginaire que l’on pourrait associer, par exemple, au roman de Paul Auster «The Book of Illusions». Et pour mesurer la justesse de cette analogie, il suffit de se souvenir du point de départ du livre:

>Un homme, obsédé par la vie mystérieuse d’une star du cinéma muet, s’enfonce dans un monde d’illusions, de mensonges et d’amour inattendu. Après la mort de sa femme et de ses deux jeunes fils dans un accident d’avion, David Zimmer, professeur dans le Vermont, se réfugie dans le chagrin. Jusqu’à ce qu’un soir, devant la télévision, il tombe sur un film oublié du comédien Hector Mann, et retrouve le goût du rire. Mann, génie du burlesque vêtu d’un costume blanc et d’une fine moustache noire, disparaît un matin de 1929 sans laisser de trace. L’obsession de Zimmer le pousse à écrire un livre sur lui, avant de recevoir une lettre, cachetée au Nouveau-Mexique, signée de la main de la femme de Mann, l’invitant à rencontrer le grand homme lui-même.

La musique d’Alex Ventling aurait pu accompagner ce récit: méditation sur la perte, l’illusion et la réapparition du sens. Ses compositions s’enracinent dans l’introspection sans jamais sombrer dans l’abstraction. Chaque pièce, d’une précision quasi cinématographique, plonge l’auditeur dans un territoire où le son devient mémoire, où la mélodie se fait réminiscence.

Prenons «Omaha», le deuxième titre de l’album. Son tempo souple et la voix planante de la chanteuse évoquent la douceur discrète de cette ville du Nebraska, une cité que j’ai appris à connaître au fil de quelques haltes artistiques et gustatives. J’y revois une galerie d’art contemporain tenue par un vieil homme et son chien, deux présences bienveillantes dans un espace lumineux. Omaha, c’est cela: une ville qui ne cherche pas à séduire, mais qui se révèle à ceux qui savent flâner, regarder, écouter. Les Européens ne s’y sentiront pas dépaysés; peut-être parce que cette ville, derrière sa façade américaine, porte une mélancolie familière, une profondeur ancienne.

L’œuvre d’Alex Ventling appelle cette forme de contemplation. Sa musique est intellectuelle sans être cérébrale, existentielle sans pathos. Chaque morceau parle au subconscient de celui qui écoute, qu’il le veuille ou non, et l’effet est inévitable.

Formé à Bâle, Berlin, Copenhague et Trondheim, Ventling a su bâtir une carrière internationale fondée sur une solide culture musicale et une curiosité constante. Il s’est imposé sur les scènes norvégienne et européenne grâce à des projets tels que «The View» (avec Phelan Burgoyne) ou *In Orbit* (avec Hein Westgaard). Son jeu pianistique, à la fois poétique et organique, porte la marque du jazz classique et contemporain, mais aussi de la méditation Vipassana, qu’il pratique assidûment et qui nourrit son langage improvisé.

Au-delà du piano, Ventling est également cinéaste et commissaire de la série «DUO Trondheim», qui explore la rencontre intime entre deux artistes. Parmi ses maîtres figurent des figures majeures du jazz contemporain: Mark Turner, Jorge Rossy, Larry Grenadier, Guillermo Klein… À l’automne 2020, il a intégré le programme «European Jazz Master», un cursus itinérant d’interprétation musicale passant par Copenhague, Berlin et Trondheim.

À mon sens, Alex Ventling est un artiste à suivre de très près, tout comme les musiciens qui l’accompagnent. Ensemble, ils évoluent dans une autre dimension, exigeante, consciente, d’une richesse rare. Leur musique mérite qu’on s’y attarde, qu’on l’écoute et la réécoute, en laissant dériver l’esprit au fil des souvenirs. Car chez Ventling, le jazz devient image, le son devient pensée, et chaque note ouvre un passage vers un ailleurs aussi clair qu’indéfinissable.

Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News

PARIS-MOVE, October 27th 2025

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Website

Musicians :
Alex Ventling | Piano, Synth
Tuva Halse | Violin
Amund Stenøien | Vibraphone
August Glännestrand | Drums, Drum Machine
Sissel Vera Pettersen | Voice (Track 2)

Track Listing :
Omaha (feat. Sissel Vera Pettersen)
Trondheim I
Trondheim II
Traces
Trondheim III
January
Spiral
Four Refractions