AFTON WOLFE – Kings For Sale

Grandiflora Records
Americana, Blues
AFTON WOLFE - Kings For Sale

Entre Ben Sidran et le Band, Afton Wolfe allie des lyrics d’une acerbité sardonique (dignes de Steely Dan et d’Elvis Costello) à des arrangements évoquant souvent les premiers Randy Newman. “Chacun sait que chaque bon petit gars fait des progrès s’il pratique ses gammes chaque jour” (“Paper Piano”) ou encore “le Christ sait que je suis capable du pire, alors je ne vois pas en quoi cela pourrait le surprendre” (sur l’irrésistible country-tango des Appalaches “Carpenter”, avec steel guitar et fiddle à l’appui), pour y conclure sur: “je n’ai pas grand chose d’un charpentier, alors je ne me vois pas en sauveur non plus”. On a rarement dégusté ironie plus mordante et désabusée! En tant que late bloomer, Wolfe se pose un peu là: il vit le jour à McComb, Mississippi, et grandit à Meridian (bled natal de Jimmie Rodgers), puis à Greenville et Hattiesburg. C’est dans ce dernier trou paumé qu’il forma son premier groupe, Velvet Couch (un album à la clé), puis Dollar Book Floyd (“Red And White” en 2002), et enfin “The Relief Effort” (“Don’t Panic” en 2004 et “At Your Mercy” en 2005), avant d’enregistrer en 2008 un premier E.P. sous son nom, “Petronius’ Last Meal” (qu’il mit une décennie à publier, au terme d’un congé sabbatique dont il ne relate quasiment rien). Ce “Kings For Sale” s’avère donc de fait son véritable premier album solo, et le moins que l’on puisse en dire, c’est que ce disque ne manquera pas de titiller quelques cordes sensibles chez le mâle occidental en plein marasme existentiel (écoutez donc l’accablant “Fault Lines”, pétri de remords irréversibles sur fond de piano et de steel-guitar à se pendre). Capable de convoquer les fantômes convergents de Son House, Howlin’ Wolf et Don Van Vliet, il n’hésite pas à mitonner au fond du même creuset slide guitar, harmonica, piano, balais et section de cuivres façon street corner pour ce “Dirty Girl” réminiscent des lointaines whorehouses de Storyville. Comme l’indique son titre, “About My Falling” ressemble à du Leonard Cohen dépressif (pléonasme s’il en fut), et pour bien enfoncer le clou, le pianiste s’y dénomme Ben Babylon (tu déconnes?). Capable d’alterner le quasi grunge “Cemetery Blues” avec le klezmer ragtime “Mrs Ernst’s Piano”, pour conclure sur le sépulcral (et choral) “O’ Magnolia” (gospel en forme de gueule de bois carabinée, et sorte de croisement fourbu entre “Wild Horses” et “Idiot Wind”, transposés en marche funèbre), Afton Wolfe s’avère assurément l’un des plus fidèles émules de Tom Waits (cf. “Steel Wires” aussi). C’est simple: si Charles Bukowski avait enregistré un disque, il aurait sans doute ressemblé à celui-ci…

Patrick Dallongeville
Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder

PARIS-MOVE, May 16th 2021