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“New Outlook” d’Eric Jacobson: le dialogue d’un trompettiste entre passé et présent.
Quand le jeu d’un trompettiste me touche vraiment, il déclenche en moi un réflexe bien précis. Je mets fin à l’écoute de l’album et je me replonge dans quelques enregistrements des débuts de Miles Davis. Ce n’est pas un rituel sacré, plutôt une nécessité instinctive: vérifier si, au-delà des notes, le souffle porte la même urgence, ce besoin viscéral de faire vivre l’instrument. Si c’est le cas, alors reprendre l’écoute de l’album devient non pas une formalité, mais une révélation. Et c’est exactement ce qui se produit à l’écoute d’Eric Jacobson.
Trompettiste installé à Milwaukee, dont la réputation grandit régulièrement, Jacobson vient de publier New Outlook un disque qui érige des passerelles avec une rare élégance. L’album ne se limite pas à une sélection de neuf morceaux, six classiques et trois compositions originales, il se présente comme un dialogue avec l’histoire même du jazz. On y trouve une pièce de sa plume, une autre signée de la pianiste Pamela York, une du contrebassiste Clay Schaub, et même un clin d’œil à l’immense Oscar Peterson. Dès les premières notes, le projet affirme son intention: se placer à la croisée des traditions et de l’innovation, montrer que la langue du passé peut encore s’exprimer avec une pleine actualité.
Une telle entreprise n’a rien d’anodin. Le jazz est un territoire saturé de références, où chaque standard a déjà été repris, réinventé par des générations de maîtres. Le risque de redite est immense. Sauf quand, comme Jacobson, on possède la capacité rare de redonner vie à des morceaux familiers, de les rénover sans les trahir, de les remodeler tout en restant fidèle à leur esprit. Son jeu, à la fois lyrique et brut, mélodique mais traversé d’une énergie à vif, évoque l’image d’une soirée d’hiver: un feu de cheminée, un verre de bourbon à portée de main, et une musique qui provoque des frissons non par son volume, mais par sa vérité. L’album ne se donne pas comme une démonstration de virtuosité. Il se reçoit comme une méditation sur ce que signifie écouter, dialoguer, rendre la musique à nouveau vivante.
Cette approche s’est forgée au fil du temps. Pendant quatre années, Jacobson a tenu une résidence hebdomadaire au mythique Mason Street Grill de Milwaukee, en compagnie de York et de Schaub. Les trois musiciens y ont bâti une complicité si naturelle qu’elle semble frôler la télépathie. Leur choix d’enregistrer en trio sans batteur est audacieux, une sorte d’équilibrisme acoustique, mais il offre une clarté incomparable. L’absence de percussion ne crée pas de vide, elle aiguise au contraire l’interaction, impose une précision extrême et favorise une intimité rare. Dans ce format, le trio révèle l’ossature des morceaux: leur architecture, leur pulsation, leurs dialogues cachés.
Le piano de York apporte à la fois grâce et intensité, ses arrangements traversant l’album avec une subtilité remarquable. La contrebasse de Schaub, souple et chaleureuse, ancre l’ensemble tout en ouvrant d’autres espaces mélodiques grâce à sa propre composition. Ensemble, les trois musiciens créent un son à la fois raffiné et accessible, ciselé mais profondément vivant. À l’écoute attentive, on perçoit non seulement la virtuosité, mais aussi la camaraderie: trois artistes qui se font suffisamment confiance pour prendre des risques, suspendre le temps, laisser le silence peser autant que la note.
Le résultat rappelle les grands enregistrements, non par imitation, mais par atmosphère. La prise de son est si intime qu’elle place l’auditeur au cœur du trio. Fermez les yeux: on croirait assister à un concert privé, de ceux qui s’impriment durablement dans la mémoire. Par moments, l’expérience évoque les vénérables disques Milestone, oui, encore Miles, inévitablement. Mais la comparaison se justifie. Comme Davis et ses petits ensembles, Jacobson et son trio transmettent la passion dans sa forme la plus directe: cette détermination à affirmer que la musique compte.
Jacobson, d’ailleurs, dépasse le cadre régional. Sa carrière l’a conduit à collaborer avec des ensembles réputés et à partager la scène avec nombre de figures du jazz. Sa réputation ne repose pas uniquement sur sa maîtrise technique, mais sur son expressivité : une trompette qui chante autant qu’elle proclame, capable de murmurer et d’éclater au sein d’une même phrase. Il appartient à une génération de musiciens qui refusent de voir tradition et modernité comme deux pôles opposés. Pour lui, ce sont des fils d’une même étoffe, à tresser, détisser, puis tresser encore.
En ce sens, New Outlook est autant un titre qu’un manifeste. Il proclame la nécessité de réinventer, de rappeler que même les matériaux les plus connus peuvent être ressuscités, à condition d’être abordés avec sincérité et exigence. C’est aussi, plus discrètement, une déclaration d’humilité. Jacobson ne joue pas pour dominer. Il joue pour relier, au passé, à ses partenaires, à l’auditeur. Et cette connexion donne à l’album sa résonance singulière.
Écouter New Outlook rappelle que le jazz, dans ce qu’il a de meilleur, n’est ni affaire de nostalgie ni de nouveauté forcée. C’est une conversation: à travers le temps, entre les styles, dans l’espace invisible qui unit le musicien et son public. Eric Jacobson nous offre un disque qui saisit cette conversation dans toute son intimité et son intensité. Et ce faisant, il confirme ce que l’oreille attentive devinera déjà: il est très probablement l’un des plus grands trompettistes de sa génération.
Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News
PARIS-MOVE, September 22nd 2025
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Musicians :
Eric Jacobson – trumpet
Pamela York – piano
Clay Schaub – bass
Track Listing:
1 Onward 4:39
2 On the Sunny Side of the Street 6:18
3 New Outlook 5:38
4 Bittersweet 6:04
5 Hymn to Freedom/A Child Is Born 5:01
6 To Wisdom, The Prize 6:03
7 Lover 3:08
8 Shadow Catcher 6:38
9 Una Mas 4:01
Music by:
(1) Jacobson; (2) McHugh/Fields (arr. York); (3) York;
(4) S. Jones; (5) O. Peterson/T. Jones/R. Hanna/A. Wilder;
(6) L. Willis; (7) Rodgers/Hart (arr. York); (8) Schaub;
(9) K. Dorham
Production Info:
Produced by Eric Jacobson, Pamela York, & Clay Schaub
Recorded, mixed & mastered by Vijay Tellis-Nayak at Transient Sound, Chicago, Illinois
Recorded on November 19, 2024 & May 5, 2025
Liner notes by Brian Lynch
Trio photograph by Ryan Bennet
Cover painting by Laurin Rinder
Cover design & layout by John Bishop
On Tour:
Sat, September 27, 2025 @ 6:00 pm
Mason Street Grill Milwaukee, WI
Fri, October 24, 2025 @ 7:30 pm
The Estate Milwaukee, WI
Fri, October 31, 2025 @ 7:30 pm
Berlin – Minneapolis Minneapolis, MN