Article et photos : Frankie Bluesy Pfeiffer
A l’instar de son pote Richard Cousins, bassiste de Philipp Fankhauser, Zach Prather est de la race de ces félins, de ces fauves qui bondissent sur scène et ne lâchent plus leur public, signant en live des moments intenses, volcaniques. Grand, élancé, Zach est un personnage : un visage aux faux airs de Jimi Hendrix, discret en coulisses, explosif sur scène, batteur et guitariste, il a également quitté les States pour s’installer…en Suisse. Le pays des Helvètes serait-il devenu le pôle attractif des Bluesmen américains ? C’est dans l’arrière-salle d’un bar tout proche de Radio Aligre que l’homme nous a donné quelques clés pour mieux comprendre son parcours étonnant.
Premier coup de pouce du destin, en ce 29 février 1952 : Zachary ‘Zach’ Prather voit le jour dans la Mecque du Blues, Chicago ; mais dans la famille, personne n’est musicien, à part la sœur qui joue un peu de violon. Zach découvre Ray Charles, puis les Beatles, supplie sa mère de lui acheter une guitare et commence à 11 ans à gratter sa Silvertone comme un fou. Travailleur acharné, il apprend également la batterie, joue dans les rues de Chicago, puis dans quelques clubs, se voyant même attribuer l’étiquette de ‘New Bad Boy of the Blues’.
A seize ans, Zach donne un concert à la Northwest University of Chicago, où un certain Curtis Mayfield le remarque. "Il m’a proposé d’enregistrer un album sur son label, Curtown Records,…un album qui n’est jamais sorti, malheureusement."
A cette époque, Zach navigue entre le Rock et le Rhythm’n’Blues. "J’écoutais et je jouais du Johnny Winter, Mountain, les Small Faces, et tous ces groupes de la West Coast"…qui finissent par lui faire quitter Chicago pour les rives du Pacifique. C’est là bas qu’il fera deux rencontres clefs qui le feront totalement basculer dans le Blues : Cash McCall, un créateur de Chess (et qui avait composé pour Elmore James), et Willy Dixon. Le jeune Zach est conquis par tout ce que lui propose de faire Willy, notamment lui produire son premier album, mais hélas, celui-ci mourra avant qu’ils n’aient pu concrétiser ce projet. Moment d’émotion intense et hommage du jeune bluesman à son mentor : Zach jouera aux funérailles de Willy, en Californie, devant les intimes. "Willy était comme un père pour moi. Pendant les trois années où nous avons travaillé ensemble, j’ai énormément appris de lui et nous avons été très proches l’un de l’autre."
Zach va alors traverser une étrange et étonnante période : il va tout d’abord délaisser la musique pour se plonger dans la peau d’un acteur. Il joue Jimi Hendrix (même aujourd’hui, dans ce bar parisien, je ne peux m’empêcher de me dire qu’il a indéniablement quelque chose de Jimi en lui), puis troque ses tenues de scène pour le costume d’inspecteur de police, adjoint du fameux Rick Hunter – hé oui, c’est bien lui, Zach, qui joue le grand black qui bosse dans l’équipe de Rick –, feuilleton phare des débuts d’après-midi du samedi des années 80.
Mais la fibre musicale est la plus forte. Zach quitte le monde des acteurs et délaisse au passage sa guitare pour reprendre les baguettes, les bons batteurs étant très recherchés à cette époque ; il accompagne Screamin’ Jay Hawkins pendant trois ans, puis Luther Allison pendant plus de trois ans.
Il s’installe ensuite à Paris, en 1990, avant de partir, trois ans plus tard, rejoindre sa femme en Suisse,…une femme rencontrée lors de son dernier concert avec Luther Allison. Nouveau virage à 180 degrés : il dépose les baguettes, quitte les fûts pour reprendre la guitare et se plonger dans le Blues.
Never My Love est le premier CD qu’il enregistre en Europe, en 1999, puis il monte son propre groupe, le Zach Prather’s Blues Express, avec notamment Michel Carras aux claviers, un compagnon de route qu'il rencontra au sein du groupe de Luther Allison.
Le premier album du groupe, Nothing But The Blues, sort en novembre 2002, sur le label Taxi Records, suivi en 2005 par l’excellent The Tools of The Trade (chroniqué dans le n° 40 de Blues Magazine).
En Suisse, Zach croise également la route de Richard Cousins et de Philipp Fankhauser, qui l’invite à les rejoindre en guest star, en juillet 2005, à Lucerne. En janvier 2006 c’est la mythique salle parisienne du New Morning qui accueille le Zach Prather’s Blues Express pour un concert bourré d’énergie et de blues électrique, un blues flamboyant forgé à coups de tempos fougueux, lents et funky, un blues moderne et coloré, voluptueux, vivifiant.
Je vous le dis, Zach est de ces musiciens qu’il faut suivre et ne pas rater, en CD et en live, car c’est à l’évidence l’un des piliers les plus solides du blues électrique, celui de l’âme, et dont chaque note vous fait vibrer.
Un charisme naturel, un jeu de guitare d’une intensité indiscutable, une force tranquille inébranlable pour le Blues, une fidélité à lui-même et en souvenir de toutes ses rencontres passées, tel est Zach Prather : un félin racé qui inspire le respect.
Le mot de la fin, je le laisse à un grand, un très grand bonhomme du Blues, Screamin’ Jay Hawkins, que Zach accompagna en tournée pendant trois ans, et qui a écrit dans les notes de Never My Love : "Ce mec a du talent. Il a du talent pour chanter, du talent pour jouer de la guitare et de la batterie, mais ce qu’il a aussi, c’est le talent d’être un auteur et un compositeur."
Frankie Bluesy Pfeiffer
Blues Magazine – Paris On The Move
Janvier 2006