Wayne Lavallee et Pura Fe – Indian Rezervation Blues and More

Interview préparé et réalisée par Frankie Bluesy Pfeiffer
 
C’est à l’occasion de la sortie du triple album ‘Indian Rezervation Blues and More’ et de celui de Wayne Lavallee, ‘Trail Of Tears’ que j’ai rencontré Pura Fe, accompagnée de Wayne Lavallee et de Guy l’Américain.
 
 
Guy l’Américain: un personnage, une figure, un baroudeur qui s’est pris d’amour pour les grandes étendues américaines, les styles musicaux et les cultures de ce continent. Un beau jour, il appelle Philippe Langlois, le patron du label français Dixiefrog, depuis la réserve indienne Six Nation, située près de l’Ontario. Il a en main plus de 150 CD d’artistes indiens et est convaincu qu’il y a de quoi réaliser un album exceptionnel.
 
Quelques semaines plus tard commence l’énorme boulot de sélection, et ce ne sera pas un CD que le label français sortira, mais un coffret de trois CD, avec livret particulièrement bien documenté. Un ‘box’ que l’on pourrait déjà classer du côté des ‘collector’ tant la qualité est au rendez-vous de ce projet qui semblait presque fou, au départ. Un ‘box’ dans lequel chaque CD est conçu comme un périple, une aventure culturelle et musicale: le premier est conçu autour du thème des éléments et le rapport que les hommes entretiennent avec la nature, le second a un poids plus politique et communique des messages relatifs non seulement au passé mais aussi à l’avenir, tandis que le troisième CD rend en partie hommage au Dieu Kokopelli, celui qui a libéré les hommes de la nuit et leur a fait découvrir la lumière.
 
Collector, le coffret l’est non seulement parce qu’il propose trois superbes albums, mais aussi parce que des titres figurant sur ces opus n’avaient jamais été enregistrés auparavant, et que d’autres n’étaient que des maquettes. Un mélange qui procure à cette suite de trois albums une force, une intensité qu’aucun autre album de musiques indiennes enregistré à ce jour n’a, selon moi, atteint. Une force, une intensité qui vous touchent à l’âme et qui vous procurent une étonnante sensation d’harmonie avec ces indiens dont vous sentirez presque, après l’écoute de ces trois opus, la blessure. Quelque chose d’indéfinissable mais que vous ressentez très nettement, ici et là.
 
 
BM: Que représente ce projet pour toi, Pura Fe?
Pura Fe (PF): Quelque chose de très important, de beaucoup plus important que vous, ici, en France, ne pouvez imaginer. Ces disques ne sont pas que des disques, ce sont plus que des disques, ils sont une reconnaissance que les indiens sont des musiciens, des chanteurs comme tous les autres.
 
BM: Comment as-tu aidé Guy l’Américain pour réaliser ce triple album?
PF: Je l’ai aidé à rencontrer les gens qu’il voulait rencontrer, en le présentant dans les différentes communautés indiennes, car je connais personnellement presque tous les artistes que Guy voulait voir.
 
BM: Est-ce que la musique n’est pas l’arme pacifique que peuvent, ou que doivent utiliser les indiens pour faire entendre leur voix?
PF: Oui, bien sûr, et ils l’utilisent déjà, mais leur problème c’est que cette musique n’est diffusée que sur des radios des réserves et qu’en dehors des réserves personne ne passe ces disques de musiciens indiens.
 
BM: Sans doute parce que les autres américains, tous ceux qui ne sont pas indiens, n’ont pas vraiment envie d’entendre certains de ces messages…
PF: C’est sûr. C’est pourquoi je suis très touchée et très heureuse que Dixiefrog ait non seulement accepté de réaliser ces albums, mais qu’il nous ait laissé la liberté de choisir les artistes qui allaient être retenus. Je te disais tout à l’heure que pour nous c’est un sentiment énorme de fierté que ces albums puissent sortir, la reconnaissance des artistes que nous sommes, et tu sais combien la reconnaissance est importante.
 
BM: Penses-tu que les blancs ont compris que vous avez beaucoup souffert, et que vous souffrez encore?
PF: (silence) Non. Sinon ils ne nous traiteraient pas comme ils nous traitent encore aujourd’hui.
 
BM: Penses-tu que l’élection d’Obama va faire changer des choses?
PF: Le fait qu’un Président des Etats Unis soit noir est déjà une révolution culturelle énorme, qui aurait été impensable il y a dix ans encore. Et j’espère que cette élection va changer beaucoup de choses, comme par exemple dans la manière dont les blancs regardent les gens des autres communautés. Avec Obama, ce sont toutes les communautés qui sont sur un pied d’égalité. Ce ne sont pas les noirs qui sont devenus supérieurs aux blancs, non, ce sont les noirs qui ont la même reconnaissance que les blancs, et ça, c’est déjà énorme dans un pays où il y n’y a pas si longtemps que ça, les noirs étaient des esclaves.
 
BM: En regardant Obama, n’as-tu pas pensé un seul instant ce que cela aurait pu être avec un indien président?
PF : (silence) Non, parce que la différence, pour les indiens, est que nous avons été parqués dans des réserves et que peu de jeunes ont eu la chance de sortir de ces réserves pour faire des études. Il y en a qui ont réussi, heureusement, et ils essayent de faire des choses pour les autres qui sont encore dans les réserves, mais ce n’est pas aussi facile que tu peux l’imaginer, ici, depuis la France.
 
BM: Est-ce que ce n’est pas l’histoire, différente pour les noirs et les indiens, qui en est la cause, parce que vous, les indiens, vous avez lutté et tué pour défendre vos terres, alors que les noirs sont arrivés d’Afrique comme esclaves?
PF: (silence) Je ne sais pas… Peut être, mais cela ne justifie pas la manière dont les indiens ont été traités ensuite. Ce n’est pas parce que tu te bats pour ta terre et tes droits que tu dois ensuite être parqué, et coupé du reste du monde.
 
BM: Wayne, lui, est indien métis. N’est-ce pas ce que préfèreraient les américains, un métissage qui permettrait d’effacer dans le temps la dette qu’ils ont envers vous?
PF: Si c’est ça, je préfère ne pas y penser car cela signifie vouloir l’extinction de la race indienne. Et si c’est cela qu’ils souhaitent, alors pourquoi ne pas faire disparaitre alors toutes ces réserves?
Wayne Lavallee (WL): Je suis ce que l’on appelle un indien métis, originaire du Saint-Laurent, parce que là-bas il y avait des indiens, mais aussi des français, des écossais, et il y a eu un mélange des cultures, même si, dans ma famille, nous sommes restés indiens.
 
BM: Mais ton nom, Lavallee, a quelque chose de français…
WL: Oui, et j’ai sans doute un peu de sang français, mais je suis indien avant tout.
 
BM: Ton album, ‘Trail Of Tears’ sort presque en même temps que ce coffret triple CD, sur lequel tu joues, d’ailleurs.
WL: Oui, et je suis très fier d’avoir été retenu pour participer à ce projet. C’est quelque chose de formidable qui s’est passé entre tous ceux qui ont voulu réussir ce projet, et merci à Dixiefrog et à Philippe Langlois pour avoir osé faire ce qu’il a fait. Aussi bien pour le coffret ‘Indian Rezervation Blues And More’ que pour mon album.
 
BM: Ce n’est pas ton premier album, mais le troisième, je crois…
WL: Exact. J’ai sorti un premier CD en 2000, puis un autre en 2004, mais celui-ci a une importance vraiment particulière pour moi. C’est un peu comme l’album de la reconnaissance de tout ce que j’ai fait depuis des années. Et le sortir en même temps que ce coffret est aussi un signe important pour moi.
 
BM: Un signe?
WL: Oui, un signe, car nous, les indiens, nous faisons attention à beaucoup de choses auxquelles vous ne faites pas attention: la direction du vent, la couleur du ciel, la forme d’un arbre, tout ce que la nature nous montre, nous enseigne et que l’homme a oublié de respecter. Maintenant, dans le monde occidental, on parle d’écologie, de protection de la nature. C’est bien, mais c’est à chaque chose qu’il faut faire attention, et pas seulement une fois que vous avez fait du mal, que vous avez détruit quelque chose. Détruire une forêt prend peu de temps, mais en refaire une, cela prend des dizaines et des dizaines d’années. C’est ce respect de la nature que les blancs ont perdu mais que nous, les indiens, avons toujours eu.
 
BM: Te considères-tu comme un protest singer, Wayne?
WL: Comme un songwriter, oui, mais je ne sais pas si je suis ce que l’on peut appeler un protest singer, même s’il est vrai que dans mes chansons je parle de tout ce qui concerne la vie sociale et politique de ma communauté. Oui, je préfère dire que je suis un songwriter. Ce n’est pas parce que tu es concerné par les choses qui t’entourent, et qui te touchent, que tu es forcément un protest singer. D’ailleurs est-ce qu’il y a vraiment une différence entre les deux… Tout dépend de ce que l’on attribue à l’un comme à l’autre. Moi, je préfère dire que je suis un songwriter.
 
BM: Comme Bob Dylan…
WL: Tout à fait.
 
BM: Mais avec une musique plus blues-rock que folk…
WL: Oui, mais cela vient de toute la musique que j’écoutais lorsque j’étais jeune. Des groupes comme Led Zeppelin, mais aussi des chanteurs comme Bob Marley.
 
BM: Dont tu as repris et adapté ‘Buffalo Soldier’…
WL: Oui. Tout d’abord parce que cette chanson est une très belle chanson, mais aussi parce que Bob Marley est un vrai poète, qui sait dire des choses importantes au travers de ses chansons, et ça c’est formidable. Buffalo Soldier est vraiment une très belle chanson et en enregistrant ce titre, c’était ma manière à moi de rendre hommage à ce grand bonhomme qu’était Bob Marley.
 
BM: En y apportant ta touche personnelle, pour en faire un reggae-blues…
WL: Oui, car c’est comme cela que je sentais cette chanson pour l’inclure dans cet album. Et puis c’est aussi une manière de montrer que les chansons de Bob Marley sont universelles.
 
BM: Vous vous souvenez, tous les deux, d’un groupe des 70’s qui s’appelait Red Bone?
PF: Bien sûr…! Ce fut, je pense, le premier véritable groupe indien dont les albums et les chansons ont dépassé les frontières de nos réserves. Ils ont fait beaucoup, à cette époque, pour tenter de faire comprendre aux américains et au monde dans quelle situation de pauvreté vivaient les indiens, mais à cette époque il y avait d’autres sujets politiques plus importants pour le monde que les conditions de vie des indiens…
WL: C’est vrai qu’ils ont eu des chansons qui sont devenues des hits, comme ‘Maggie’, ‘The Witch Queen of New Orleans’, et puis ‘Message From A Drum’.
 
BM: Un tambour qui est un élément très important pour les indiens, exact ?
WL: Oui, le tambour est signe de vie.
 
BM: Que l’on vous souhaite longue et heureuse, à tous deux, avec beaucoup de succès pour ces albums.
PF: Merci à toi et à tous ceux qui aiment notre musique en France.
WL: Merci du fond du cœur et à très bientôt.
 
 
 
A consulter également:
Chronique de ‘Indian Rezervation Blues And More’ (*) ICI…  
Chronique de ‘Trail of Tears’ ICI…  
ITW de Pura Fe ICI…   
 
(*) Le triple CD ‘Indian Rezervation Blues And More’ (Dixiefrog) a été noté ‘Indispensable’ par Paris-Move et ‘Coup de Cœur’ par Blues Magazine. Il a été ‘Sélection FIP’ et ‘Disque du mois’ sur Sweet Home Chicago, la radio 666 de Marc Loison.
Indian Rezervation Blues And More