TW de Alain Blesing et Claudie Boucau

Rhizome (3)

Interview de Alain Blesing et Claudie Boucau (Trio Rhizome)
Trio Rhizome – album: A.R.C. en Ciel
Interview préparée et réalisée par Thierry Docmac (Bayou Blue News – Bayou Blue Radio – Paris-Move)
July 1st 2021

Thierry: Bonjour à vous deux, oui, deux membres de ce joli trio Rhizome qui nous balance entre rêves et comptines musicales en 11 titres sur cet album A.R.C. en Ciel paru au printemps. Pouvez-vous nous parler de ce trio, de la façon dont il s’est constitué, et de ses membres?

Claudie: Bonjour à vous et merci de vous intéresser à notre musique. Par où commencer? J’ai rencontré Alain en 2014 et la “magie” musicale a opéré… On a fait plusieurs projets ensemble et un certain nombre de tournées en Russie… dont une particulièrement mémorable, tout un été de Moscou à Vladivostok en bus…(13.000 km) puis on s’est installés au Nord-Ouest de l’Auvergne pour “se mettre au vert”. Nous avons rencontré pas mal de musiciens, mais rien de concluant pour l’orientation que nous prenions. Je me suis souvenue d’un musicien un peu “fou”, batteur et percussionniste que j’avais rencontré… 20 ans auparavant, et qui n’avait pas quitté sa, cette terre natale du sud de l’Auvergne. Il allait dans les jardineries où il essayait les pots de terre cuite en tapant dessus avec les doigts, les mains ou un bâton de façon discrète, mais aussi distraite, et il achetait ceux qu’il estimait à son goût… J’avais en effet vécu quelques années dans cette région. J’ai donc proposé à Alain, dont la réputation n’était plus à faire, d’appeler Richard. Or, Richard était dans une période plutôt creuse, musicalement, et il a immédiatement accepté notre proposition. Et l’aventure de ce trio a commencé. À tâtons, il fallait se rencontrer en commençant par improviser ensemble sans plan préétabli, apprendre à s’écouter, jouer avec les oreilles grandes ouvertes, rien n’était acquis. On a beau être musiciens et un peu dans les mêmes registres de l’improvisation, rien n’était gagné. Il fallait s’apprivoiser mutuellement… comme dans le Petit Prince…

Thierry: Peut-on parler d’un travail autour de la flûte et des rythmes? D’ailleurs tout au long de cet album, Claudie nous emporte de mélodies poétiques à un accompagnement rythmique et syncopé, nous laissant croiser des inspirations aussi bien classiques que ethniques… Tout ceci pour essayer de comprendre le travail du groupe…

Claudie: Oui, c’est une recherche permanente du son, jamais finie, choix de celui qui sonnera le plus juste, d’un son ou d’un accent qui soit le plus en accord possible avec celui d’Alain à la guitare et de Richard à la batterie et aux percussions diverses. Dire pour faire entendre, sans trop parler, raconter pour se rencontrer musicalement, se raconter pour se retrouver, se croiser, que la rencontre ait lieu… Le son de la flûte, des flûtes plutôt. En effet, je cherche en soufflant dans mes différentes flûtes traversières en métal, en bambou, en terre cuite… Je suis de plus en plus exigeante et sensible au timbre.

Thierry: Je reste fasciné par le travail d’Alain Blesing, outre les compositions au niveau de l’interprétation, sachant se fondre dans le creux du son des propositions musicales, comme sur le titre Odusseia. Cher Alain, peux-tu nous parler de ta façon de créer? de composer? Cela intéressera certainement pas mal de jeunes musiciens…

Alain: En fait, ma façon de composer est directement calquée sur l’évolution de mon jeu de guitare. Autant entre 1987 et 2005 je recherchais une certaine forme de virtuosité d’écriture et de jeu, autant depuis j’essaye d’épurer au maximum. Ça vient d’une écoute attentive de certains musiciens (Derek Bailey, Fred Frith, Morton Feldman, John Cage, Bill Frisel en particulier) mais aussi de l’avancée des années. Il y a avec le temps une recherche de l’essentiel: moins de notes, moins de facilité dans le jeu (et la guitare est particulièrement propice à ce type de dérapages…), donc peut-être un aspect qui séduit moins a priori, mais qui va à mon sens au cœur même de la musique. Ma première expérience en ce sens à été l’enregistrement en 2005 de mon premier solo, (sorti sur le Petit Label) Just on 6… Juste une guitare acoustique, 3 micros et quelques objets pour “triturer” le son. Ça a été une expérience fondatrice pour moi où la musique a rejoint une certaine forme de spiritualité (cf. la pochette qui reproduit une vue du jardin de pierres du temple japonais du Ryoan Ji).
Il y a eu aussi aux alentours de 2010 la découverte de la poésie du Haïku, forme où le sentiment poétique est exprimé en 17 syllabes. Cette épuration m’a amené à un travail approfondi sur le timbre, les traitements sonores et les modes de jeu alternatif praticables avec mon instrument. Ce travail de recherche s’est concrétisé dans un 2ème solo, électrique cette fois, The Other Side of a Möbius Strip (programme joué à ce jour 3 fois): disponible uniquement en version numérique, bien que je ne désespère pas de le sortir un jour en version physique! Ça, c’est pour la partie instrumentale. Pour l’aspect composition, cette volonté d’épuration a abouti à une conception différente de ce que j’écrivais il y a quelques années: harmoniquement moins chargée et beaucoup plus axée sur la respiration, la lenteur et le silence… excepté sur une plage du disque, je le concède.

Thierry: Dans ce trio, Richard Héry aux percussions et batterie, et plus étonnant, à la clarinette basse, me semble être le lien essentiel de ce groupe, par son travail que je trouve intellectuellement fascinant, et particulièrement remarquable sur le titre Gravityless. Comment se sont déroulées les créations de cet album avec lui?

Alain: Richard est un musicien unique et une personne rare!! En plus d’une curiosité insatiable sur tout ce qui touche au timbre, il est d’une grande précision rythmique et est un perfectionniste absolu, tout ça magnifié par le fait qu’il est poly-instrumentiste. De plus, c’est un créateur d’espace au sens profond du terme. Pour l’album, nous avons répété pendant presque 2 ans dans le studio de Richard et les morceaux se sont construits petit à petit à partir de mes propositions d’écriture. On trouve dans l’album un raccourci de mes recherches de ces 10 dernières années et Claudie et Richard ont immédiatement adhéré à ces propositions. Les arrangements se sont faits collectivement en temps réel lors des répétitions. Pour terminer sur ce point, c’est la première fois depuis des années que je rencontre un musicien avec qui j’ai envie de vivre une histoire musicale longue, à la manière de celle que je vis depuis plus de 20 ans avec le batteur Bruno Tocanne.

Claudie: C’est pour cela que nous avons emprunté cette image du rhizome à Deleuze et Guattari pour qualifier une conception plurielle composite, une mise en réseau des apports de chacun des musiciens. Richard en autodidacte, chercheur de sons et créateur d’instruments inédits comme le “Don Quichotte“ fait de bois, muni d’une seule corde et d’un pavillon en métal, il était le musicien qui nous correspondait le mieux.
Polyphonie Prolifération Ramifications dont chacun des points d’intersection a la même valeur, faite de lignes de fuite, de trajectoires entre nos sonorités qui se croisent, se recoupent, se répondent, s’unissent, tant d’expressions pour qualifier cette musique que l’on veut protéiforme…

Thierry: Allons un peu plus loin… La fusion artistique entre toi, Alain, et Claudie, est particulièrement passionnante, cette forme de dialogue instaurée entre la guitare et la flûte semble naître d’un travail en commun sur deux univers hautement compatibles. Pouvez-vous, l’un et l’autre nous parler de votre vision musicale dans le cadre de cet album?

Alain: Claudie et moi nous sommes rencontrés en 2014 et en plus d’une histoire intime, cette rencontre a inauguré une complicité musicale tout de suite évidente. Le fait de partager sa recherche artistique avec la personne qui vit avec vous est la plus belle des expériences, même si parfois des désaccords apparaissent sur les directions à prendre. Claudie et moi avions déjà pas mal joué en duo (surtout en Russie où nous travaillons avec un fantastique producteur) avant de rencontrer Richard et ce début de parcours commun nous a fait gagner du temps lorsque nous l’avons rencontré.

Claudie: Merci à vous d’entendre notre complicité… Lors de la 2ème répétition avec Richard, qui est quelqu’un de pudique dans ses propos, il nous a dit, comme vous, qu’il appréciait ce socle que nous formions musicalement, Alain et moi… et nous avons souvent eu des moments lors des tournées russes, où la fusion et l’énergie qui en résultait nous transportait et offrait des instants de musique inédits aux publics, qui venaient nous trouver à la fin de ces concerts, les yeux remplis de larmes ou de reconnaissance car ils avaient participé à cette communion.

Thierry: Revenons sur le titre du groupe Trio Rhizome. Définition: “Le rhizome est la tige souterraine et parfois subaquatique remplie de réserve alimentaire”. Est-ce à dire que le but du trio est de proposer une expérience, une immersion dans votre univers?

Claudie: J’aime bien votre définition du rhizome et le fait qu’elle soit gorgée, remplie d’énergie, en définitive. C’est ce qui a alimenté et animé toutes nos répétitions depuis le début de notre rencontre avec Richard Héry. Lorsque j’ai proposé à Alain et Richard le nom de rhizome, j’avais en tête plutôt la définition suivante: le rhizome est la racine multiple d’une plante qui s’étend à la rencontre d’autres racines, sans commencement ni fin, a-centré, non hiérarchique, sans Général, uniquement défini par une circulation d’états… et c’est vraiment la conception que j’ai de la musique que je veux faire, et des relations entre les membres d’un groupe. Que les timbres des instruments de chacun soient mélangés au point où ça n’a plus aucune importance de savoir qui joue, de dire ou de ne pas dire je….

Thierry: Oui il y a un lien avec le jazz, mais aussi avec la musique contemporaine, parfois même la world music, ce qui fait de A.R.C en Ciel un album insaisissable, profond qui transforme l’auditeur en spectateur d’un spectacle ou en grand voyageur, et on touche là un point essentiel, car là où nombre d’albums conceptuels nous laissent sur notre faim, ici, le plaisir reste entier du début à la fin. Avez-vous cette forme de conscience que les metteurs en scène ont de proposer une lecture de l’œuvre qui tienne le spectateur/ auditeur en éveil, en alerte, jusqu’à la fin de l’album?

Alain: Ce qui m’a toujours attiré chez certains musiciens et/ou compositeurs est leur capacité à créer des univers qui leur sont propres, reconnaissables entre tous. Quand je parle d’univers, j’entends une manière d’emmener l’auditeur au sein de paysages inconnus et de leur raconter une grande histoire, ou une suite de petites histoires. Pour citer certains de ceux qui m’ont passionnés et me passionnent toujours: Bela Bartok, John Coltrane, John Cage, Derek Bailey, Georges Crumb, Eric Dolphy, Charlie Mingus, Dai Fujikura, Bill Frisel… la liste serait trop longue!! Alors (sans savoir si j’y parviens toujours!), j’essaye modestement de faire de même…

Claudie: Merci pour votre appréciation et effectivement, nous sommes nourris par une multitude de choses: nos voyages respectifs, l’écoute de nombreux univers musicaux d’artistes engagés, enragés de l’Europe, aux Etats-Unis aux musiques extra-européennes. Difficile de citer des noms de peur d’en oublier d’autres. Alain a vécu très longtemps entre France et Turquie et je sais aussi que Richard a beaucoup voyagé, enfant, avec ses parents au Maghreb et en Turquie. Dans une vie antérieure, j’ai vécu en Afrique de l’Ouest entre Dakar et Saint-Louis du Sénégal et voyagé au Mali, Burkina et quelques 25 ans plus tard le souvenir des sonorités que j’y ai rencontrées me reviennent plus clairement, de façon plus vives… Je ne sais pas si j’ai bien saisi la profondeur de votre question, mais ce que j’aime dans ce trio, c’est la polysémie car je pense et j’espère que la musique du trio est multiforme et remplie d’énergie… comme un rhizome!

Thierry: Une dernière question à Claudie, car ayant fait mes recherches je n’ai pas trouvé grand-chose sur toi, et je pense que toute personne qui entendra cet album aimerait connaître ton parcours, tes univers. Si tu pouvais avoir la gentillesse de nous dire quelques mots sur ces sujets?

Claudie: C’est tout récemment, il y a 5 ans seulement, que j’ai décidé de quitter un métier qui me faisait bien vivre mais qui ne me nourrissait plus intérieurement pour épouser une vie de musicienne à part entière, avec ce qu’elle offre de beau dans sa dimension spirituelle, émotionnelle et dans sa précarité… La musique me hantait auparavant et je n’avais pas assez de temps pour m’y consacrer chaque jour, le silence me manquait également. Il faut du temps et aussi de l’espace, pour la musique. La dimension temporelle de la musique est bien reconnue, celle de l’espace l’est moins, un espace intérieur indispensable…

Thierry: Comme les concerts commencent à reprendre peu à peu, avez vous quelques rendez-vous à proposer au public dans les mois à venir?

Alain: En plus des ateliers d’orchestre que nous animons en Juillet, nous avons deux concerts en Août, ce qui est déjà inestimable au regard de la disette que nous venons de vivre (nous ne sommes pas partis en Russie depuis 2019…). Nous espérons que la sortie de l’album déclenchera des choses… Avis aux programmateurs!

Claudie: Oui, enfin!! Des dates cet été dans de jolis cadres… façon “sieste musicale“…

Thierry: Question purement pratique, où peut-on se procurer l’album?

Alain: Sur le site du label Instant Music Records mais aussi aux Allumés du Jazz à partir de cet été. L’album est aussi distribué par Musea Records et on pourra le trouver chez certains disquaires… Hé oui, car heureusement il en existe encore…
Pour la distribution numérique, le disque est déjà sur notre Bandcamp et il sera sur les principales plateformes à dater de la rentrée.

Claudie: Une dernière chose que je souhaite vous dévoiler… le choix du titre de notre album A.R.C. en Ciel, pour la beauté qui encercle et ouvre l’espace loin devant, la multitude de couleurs qui se fondent les unes dans les autres sans rupture ni prévalence, l’impossible saisie du fait de son illusion même, pour son universalité, l’émerveillement qu’il procure à tous, son côté éphémère, impermanent, fragile, mais aussi vivifiant par ses multiples couleurs… enfin, le petit clin d’oeil “ARC” pour l’humour… parce qu’il y a bien des humains derrière ça… Alain, Richard et Claudie!

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Le site du label Instant Music Records

Le site de Musea Records