Paul Personne


Il fallait oser, il fallait être culotté ou n’en avoir vraiment rien à cirer des convenances et des rituels du show-biz pour choisir
"Personne" comme nom d’artiste. Ou plutôt si : il fallait oser, persuadé que Personne deviendrait quelqu’un, malgré les inévitables galères et une étiquette de Bluesman qui ne facilite en rien les passages radio ou télé. Vingt cinq années de carrière et 4.322.111 kilomètres plus tard, le résultat est là, indiscutable : Paulo est bien l’un des incontournables de la scène musicale française.

De son vrai nom René-Paul Roux, Paul Personne est né dans la région parisienne, à Argenteuil, le 27 décembre 1949. Il passe la première partie de son enfance à Houilles tout en poursuivant sa scolarité au collège du Prieuré, à Maisons-Laffitte. Fils d’ouvrier, il découvre la musique au travers de son père, qui joue de l’harmonica, et des artistes qu’il découvre à la radio (Aznavour et Piaf), avant de craquer pour Eddy Mitchell et Johnny Hallyday. Contrairement à beaucoup d’autres lycéens qui gratouillent sans relâche leur première guitare, René-Paul se passionne pour la batterie. Ses parents lui achètent un accordéon à un boulanger voisin mais le gamin n’est pas attiré par l’instrument et ce son si caractéristique des bals populaires. Il refile l’accordéon à sa sœur et se bricole une batterie à partir de fûts et de bidons, et s’éclate sur son instrument fétiche à la manière de Mitch Mitchell (batteur de Hendrix). Fou de batterie, il découvre également le son et l’univers de Jimi Hendrix et se met également à jouer de la guitare, mais à l’instar de Phil Collins, c’est à la batterie qu’il se sent le plus à l’aise.

René-Paul a quatorze ans quand son père part s’installer aux Mureaux pour s'occuper d'une station-service. Au lycée Jean Macé, René-Paul, plus connu sous le surnom de "Doudou", fait la connaissance de Gégé, Gérard Benassayag.

Comme de nombreux collégiens de l’époque il fonde avec Gégé son premier groupe : ce sera tout d’abord "Les Douglas", puis "Les Mirages". La chance lui sourit lorsqu’il apprend qu’un dénommé Fifi vend sa batterie, une vraie, complète. Doudou rencontre Fif et le courant passe entre eux : ils lancent leur groupe, "Les Murbeats", pour le renommer ensuite "Les Taciturnes"..

 

Des premiers 45 tours à Barjoland

 

C’est avec le groupe "L’Origine" que Paul va enregistrer son premier 45 tours sur le label Pathé Marconi, mais le groupe va rapidement se séparer et l’aventure s’arrête. Fougueux mais sensé, titulaire d’un CAP de mécanique générale, Paul a compris que la musique et un succès d’estime ne font pas vivre leur bonhomme et il commence à travailler dans une entreprise d’agroalimentaire tout en continuant à jouer de la batterie. Mais le démon de la musique le ronge et c’est d’une rencontre avec une troupe de théâtre, le "Liquid Theater", que va se produire le déclic : sous la houlette de Bobby Bruno, rencontré en jouant de la batterie au Club Med, il fonde "La Folle Entreprise", groupe d’une quinzaine de musiciens qui va tourner dans le circuit "classique" de ces années 70, les MJC. Avec ce groupe, Paul enregistre même en 1973 un premier 45 tours (et son second 45 tours perso) : Pas des Anges, chez Vamp Records. Mais les tournées dans les MJC ne nourrissent pas leur homme et "La Folle Entreprise" ferme ses portes, faute de moyens financiers.

Paul se décide alors à changer d’air et il part pour Toulouse avec sa femme et sa fille. Il en profite pour travailler son jeu de guitare. C’est là, en solitaire, qu’il va commencer à se forger un style, un son, un jeu qui lui seront ensuite reconnaissables entre tous. "Qui ne tente rien n’a rien", se dit-il, et alors que le monde musical est submergé par le raz-de-marée punk il monte un nouveau groupe, le "Bracos Band", avec lequel il enregistre un premier titre en 1977. Le passage du groupe à "Chorus", l’émission culte de la music rock animée par Antoine De Caunes, leur ouvre les portes de nombreux festivals, mais des tiraillements entre les membres du groupe annonce la fin de l’aventure : le groupe est dissout.

Beaucoup d’autres y auraient vu un signe indien ou le tiercé du perdant (avec trois groupes qui splitent après l’enregistrement de leur premier titre), mais pas Paul Personne. Lui, il est quelqu’un, et quelqu’un qui s’accroche. Il forme un nouveau groupe, "Backstage", un trio basse-batterie-guitare dont lui, Paul, assure la guitare. Est-ce la formule du trio, à l’instar des trios magiques (Cream, Jimi Hendrix Experience,…) qui provoque le déclic ? Le fait est que "Backstage" signe chez Vogue et enregistre deux albums, dont le second sera chroniqué dans le fameux magazine britannique Melody Maker.

Mais les relations entre le groupe et la maison de disques se dégradent rapidement et c’est le groupe qui en paye les pots cassés : le groupe est dissout. Une galère de plus dans laquelle Paul va puiser de nouvelles forces, une nouvelle motivation : il remet tout en question et commence à écrire plusieurs titres en français, les propose à CBS, qui le signe et lui permet de sortir en octobre 1982 son premier album signé "Paul Personne". Succès d’estime, à nouveau, mais pas suffisant pour motiver CBS à sortir un second album.

Ce sera l’une des chanteuses françaises vedettes de ce début des années 80, Nicoletta, qui le fera monter de Toulouse pour jouer dans une émission de télé. Pour ceux qui le pensent, "le hasard n’existe pas". Hasard ou pas, plusieurs directeurs artistiques assistent à cette émission et s’intéressent à ce chanteur-guitariste au son si personnel et si différent des autres à la fois. Mais les galères passées ont rendu Paul Personne méfiant et attentif à tout ce qui peut influer sur sa carrière. Il signera finalement chez Phonogram et sortira en 1983 l’album "Exclusif" dans lequel figurent des incontournables, comme "Ca va rouler" et "Comme un étranger", puis en 1984 "Barjoland", LE titre qui collera à la peau de Paul Personne pendant plus de 20 ans.

 

Y’a pas à dire : Faut que j’me laisse aller !

 

Mais il était écrit que Paul ne vivrait pas que des galères musicales. En août 1984, un drame familial le fera douter de tout : un accident mortel va frapper sa fille. Paul est secoué, terrassé par le chagrin, mais va puiser dans cette galère personnelle de quoi repartir dans la vie. Prémonitoire ( ?), le titre "Faut que j’me laisse aller" figure sur le nouvel album que Paul sort un an plus tard, en 1985 : ‘24/24’. Faut que Paul se laisser aller, et il laisse les choses se faire : il enchaîne les tournées et passe à l’Olympia, la mythique salle parisienne. Le public répond présent, mais Paul est comme boudé par les médias. Sa notoriété croît, mais surtout par le bouche à oreille ; et comme pour tout artiste qui se bat hors des autoroutes médiatiques, le succès tarde. Paul change de route une nouvelle fois et s’installe dans le Perche avec sa compagne, Gloria, et Jeremy, son fils né en 1976.

Mais une bonne étoile veille sur Paul Personne et en 1987 il est invité au Québec où le public lui réserve un accueil insensé. Paul en sort regonflé à bloc et se lance dans l’écriture d’un prochain album : ce sera "La Chance", sur lequel Boris Bergman, parolier de Bashung, apporte sa patte pour cosigner deux chansons.
Paul Personne en veut et se bat une fois de plus ; il enchaîne les concerts et les festivals, drainant derrière lui un public de fans de plus en plus nombreux, et fidèles. Car ce qui caractérise le mieux le lien que tisse Paul Personne avec son public, c’est la fidélité ; une fidélité qui voit des aficionados faire des centaines de kilomètres pour assister à un concert de Paul Personne au Bataclan, à la Fête de l’Huma ou à l’Olympia, pour y fêter la sortie de son album live "La Route de la chance".

Les esprits chagrins diront que les galères s’acharnent sur Paul Personne ; les plus positifs diront qu’à chaque fois Paul franchit ces obstacles pour en ressortir renforcé : sa maison de disques doit fermer ? Il reçoit en 1991 le Bus d’Acier, Grand Prix du Rock Français. 

Pour le bluesman, c’est une consécration, une première reconnaissance officielle. Plusieurs maisons de disques le démarchent, tentent de le faire signer. C’est avec Polydor que Paul Personne va s’engager et à qui il présentera la maquette d’un possible prochain album. Polydor est emballé et ce qui n’était qu’une maquette deviendra en fait "Comme à la maison", un bijou fait maison sur lequel Paul Personne joue tous les instruments et auquel ont collaboré le musicien Jacno, Boris Bergman, le copain parolier, et le comédien Gérard Lanvin (qui signe les paroles de "Vagabondage").

L’album qui sonne façon enregistrements "live" en studio connaît un gros succès, devient Disque d’Or et pousse Paul Personne à se lancer à nouveau sur les routes, en 1993, avant de retourner en studio pour participer à l’enregistrement de l’album "Rio Grande" de Eddy Mitchell.

Une bonne étoile semble encore veiller sur la carrière de Paulo qui est invité en guest star par Johnny Halliday pour son fameux concert-anniversaire de ses 50 ans au Parc des Princes, avant de se voir consacrer une soirée spéciale "Paul Personne" aux Francofolies de La Rochelle.

 

Mon nom est Personne

 

Paul est-il désormais sur "La route de la chance" ? Celle du bluesman français croise celle de Ian Taylor (producteur de Gary Moore, Bob Dylan,…) et en collaboration avec son parolier fétiche, Boris Bergman, ils sortent "Rêve sidéral d’un naïf idéal", nouvel album phare sur lequel figurent des titres devenus des incontournables : "Loco Loco" ou "Celia", et qui sera sacré lui aussi Disque d’Or.

Et comme à chaque fois, le "cycle" Paul Personne redémarre, embrayant sur une tournée qui le fait traverser la France de part en part.  Le public répond présent, plus nombreux encore que sur les tournées précédentes, alors que les médias continuent à le bouder. Est-ce cette incompréhension et cet écart criant entre son imposant succès populaire et sa quasi mise à l’écart des médias traditionnels qui redonnera à Paul Personne cette force, cette rage de composer ?

En 1996, inspiré par la lecture d'un livre de nouvelles de Sam Shepard, il sort un nouvel album, "Instantanés", également produit par Ian Taylor et sur lequel on retrouve non seulement le pote et parolier Boris Bergman, mais aussi Jean-Louis Aubert, Christian Dupont et Richard Bohringer. L’album porte la griffe, la patte Paul Personne et devient Disque d’Or,…comme les deux précédents ! Recommence un nouveau "cycle" Paul Personne : il repart en tournée et aligne les concerts, comme un incontournable et éternel remerciement à ses fans avec lesquels il se sent en harmonie, dans de petites salles de province comme sur de grandes scènes parisiennes. Paul n’a que faire des médias et se consacre uniquement à ceux qui lui sont fidèles, à son public. C’est ainsi qu’il leur concocte et leur offre un live de toute beauté, "Route 97", enregistré à l’Olympia.

De retour dans le Perche, Paul se plonge dans l’écriture de son prochain album. Perfectionniste mais aussi sensible à ce succès populaire qui fait de lui l’un des artistes les plus attendus et les plus appréciés en concert, Paul compose sans relâche. Hubert-Félix Thiéfaine, lui aussi boudé par les médias traditionnels mais au succès populaire incontestable, est dans le coup pour deux titres de ce prochain opus ("Exit of Eden" et le somptueux "La beauté du blues"), tout comme Boris Bergman. Paul écrira près de 50 chansons et n’en gardera "que" 14, dans un son et un esprit plus rock que les albums précédents. Sous la houlette de Ian Taylor, Paul sera secondé par des musiciens dont le line-up aurait fait fantasmer plus d’un grand guitariste : Magnus Persson, batteur de Eagle-Eye Cherry, Larry Mullins, ancien batteur d'Iggy Pop, Dane Clark, batteur de John Mellemcamp, et même un "scratcheur", DJ Sya, sans oublier le trio des fidèles : Christophe Garreau à la basse, Olivier Lanneluc à la batterie, et Michel Billez au saxo. L’album est forgé dans l’acier blues-rock le plus trempé et est siglé "Patchwork Electrique" ; il sera le point de départ d’un nouveau "cycle" Paul Personne qui verra le bluesman français aligner concert sur concert, dont celui au Zénith de Paris avec en première partie un jeune artiste prometteur du nom de Manu Lanvin,….le fils de celui-là même qui avait écrit pour Paul sur l’album "Comme à la maison".

Est-ce un besoin de poser les valises après une telle débauche d’énergie ? De calme après la tempête ? De se replonger dans ses propres racines et les titres de ses débuts ? Paul Personne ne sort son prochain album qu’en 2003 : "Demain il f’ra beau" est beaucoup plus acoustique, nous ramenant des années en arrière, dans un son très "Barjoland". L’album est apprécié par les fidèles, déstabilise quelque part les fans les plus récents et qui attendent ce son très blues-rock que l’on retrouve dans les concerts,…et qu’ils retrouvent dans un second album, "Coup de Blues" (Volume 2), sorti quelques mois plus tard et sur lequel Paul propose notamment une superbe version blues-électrique de la chanson "Le diable en hiver" proposée en version acoustique sur "Demain il f’ra beau". Comme à son habitude, Paul Personne a surpris son monde en décalant de peu de temps la sortie de ces deux albums, et le public a répondu présent, s’arrachant les deux albums, devenus très rapidement des incontournables, des indispensables.

Un nouveau "cycle" Paul Personne recommence, avec ses tournées et concerts, dont celui au festival des Vieilles Charrues. Le concert sera filmé et le premier DVD consacré à Paul Personne sort enfin, au plus grand bonheur de son fidèle public : "24 juillet 2004", un concert mémorable complété d’ailleurs par un long documentaire sur l’artiste et l’homme qu’est Paul Personne.

Pendant ce "cycle" on voit également apparaître sur scène un talentueux jeune guitariste aux cheveux blonds, du nom de Jeremy, et qui s’impose en second guitar-hero du line-up qui accompagne Paul Personne. Jeremy… ? Hé oui, le fils de Paul, en personne, et dont la présence sur scène aux côtés de son père résume et renforce ce que Paulo représente pour des millions de personnes : non seulement un musicien hors-pair mais surtout un homme attachant, proche de vous et de moi. Tout simplement, parce que "Toute la musique que j’aime, elle vient de là, elle vient du Blues".

Frankie Bluesy Pfeiffer
Blues Magazine – Paris On The Move
Decembre 2006