Le Helvético Blues des Hell’s Kitchen
Interview préparée et réalisée par Anne Marie Calendini et Dominique Boulay
Photos: Anne Marie Calendini
C’est à l’occasion de leur passage par Radio-Aligre, rue de Charenton, que nous sommes allés à la rencontre des trois mousquetaires du blues déjanté du pays de Jean Jacques Rousseau, un helvético blues matérialisé par la sortie de leur nouvel opus chez Dixiefrog, ‘Dess To Dig’.
PM : Ma première question tourne autour du nom de la formation, Hell’s Kitchen, une référence au quartier londonien ou bien new-yorkais?
Hell’s Kitchen: A celui de New York. J’y ai séjourné il y a une quinzaine d’années et l’ambiance générale de ce quartier était fortement chauffée à blanc, un vrai chaudron, ça collait parfaitement avec notre musique!
PM : Comment vous êtes-vous rencontrés et comment est apparue cette synergie manifeste entre vos trois personnalités?
HK : On a été présentés l’un à l’autre par des amis communs qui ont forcé la rencontre, puis la sauce s’est épaissie au fil des années, chacun essayant d’imposer son identité propre tout en pensant d’abord à la musique, pour faire en sorte que les instruments soient au service du groupe et pas de l’instrumentiste.
PM : Trois instrumentistes qui vont se présenter en deux mots à nos lecteurs…
Monney B.: Deux…? Guitariste et chanteur ayant officié dans une multitude de groupe plus ou moins mauvais allant du hard rock au blues.
Taillefert C.: Percuteur ayant été formé à la musique dans une fanfare, et puis j’ai aussi fait du jazz et du rock.
Ryser C.: Contrebassiste ayant joué de la musique classique et du punk rock. J’avais déjà la banane à l’âge de 17 ans!
PM : On a l’habitude de qualifier votre musique d’industrielle, ou post’ industrielle…
HK : Ce côté industriel vient des percussions utilisées qui sont en effet des bouts de métal, de plastique ou de verre. Une manière de rendre le blues contemporain et de lui rendre sa vocation originelle, c'est-à-dire une musique faite avec peu de chose, de la récupération et des objets qui ne sont pas, à priori, utilisés pour faire des sons! C’est ce que faisaient les premiers bluesmen qui, eux aussi, utilisaient des instruments rudimentaires. Leurs guitares étaient très souvent faites de bric et de broc.
PM : D’où viennent ces influences métallico-industrielle?
HK : C’est issu d’un courant musical dont se réclament des gens comme Young Gods, Einsturzende Neubauten ou Tom Waits. Une manière aussi de traduire notre volonté d’allier tradition et modernité dans le blues car le blues ne s’est pas éteint! Il est ‘Still Alive’!
PM : Vous considérez-vous d’ailleurs comme un groupe de blues?
HK : Nous n’avons pas de crise d’identité, alors groupe de blues, pourquoi pas?
PM : Comment composez-vous vos morceaux?
HK : Souvent à partir d’un son incongru, comme un couvercle métallique qui tombe par terre, mais aussi de manière plus conventionnelle, à partir d’accords de guitare, de riffs de basse ou une voix, également. Bref, tout ce qui peut servir à la trame d’un morceau. Et puis on compose n’importe où, et la nuit comme le jour, n’importe quand. On écrit la musique en premier puis ce sont les rondeurs des textes qui arrivent et qui tentent d’accompagner des morceaux pleins d’aspérités, de rebondissements.
PM : Pourquoi en arrivez-vous à intégrer ces bruits d’ustensiles et de machines?
HK : Parce que c’est rigolo! Ils contribuent à créer l’atmosphère dans laquelle nous souhaitons immerger nos auditeurs.
PM : Ces vestiges de l’ère industrielle sont également photographiés en fond de pochette…
HK : Oui, il y a corrélation entre les chansons d’Hell’s Kitchen et cette ambiance graphique qui suggère les mêmes atmosphères. Notre démarche est cohérente. Sifflements et cris remplissent la même fonction dans notre musique. Les drôles de bruits perçus, les cris, par exemple, font partie de la vie urbaine au quotidien et ils nous semblent indissociables d’une musique comme le blues, lui-même témoin direct de son époque. Ce genre de musique là se doit de parler du quotidien et de l’expérience de chacun, parfois dure, parfois douce…
PM : Pourquoi commencer votre album par ‘A Good End’ et le terminer par ‘From The Start’?
HK : Par sens de l’humour et par soif de dérision, tout simplement (rires). D’ailleurs sur scène, on se voit mal pleurer sur nos instruments devant le public et on aime bien rigoler, l’ultime objectif étant d’associer les spectateurs à ce que nous jouons pour eux.
PM : Vous pouvez nous décrire d’ailleurs votre batterie, si on peut l’appeler ainsi…?
HK : Il s’agit d’une batterie montée de toutes pièces, et que l’on appelle plutôt une percuterie. Elle se compose d’une pelle à poussière, d’un tambour de machine à laver et d’une poubelle, entre autres…
PM : Malgré cet aspect très contemporain, votre musique dégage pourtant quelque chose de très primitif.
HK : Exactement…! Encore une fois, et au risque de me répéter, le blues est devenu trop démonstratif. Bien souvent, on a l’impression que les musiciens cherchent à tirer la couverture à eux, au détriment de la cohésion de l’ensemble. Si cela devait nous arriver, alors on aurait perdu ce côté si proche du punk d’où l’on vient, pour une partie d’entre nous. Imagine, que seraient Bukka White ou Charley Patton sans leurs côtés primitifs? Du blues approximatif, peut-être…, ennuyeux, même.
PM : Sur cet album vous avez collaboré avec Rodolphe Burger. Comment cela s’est fait?
HK : A Genève, après l’un de ses concerts, il est venu nous voir, car il connaissait notre musique, et on a passé une bonne soirée ensemble, rigolote, pleine de références et de houblon. Et le lendemain on s’est dit que l’on devait faire quelque chose avec lui… D’ailleurs tout s’est ensuite très bien passé, la musique ayant créé immédiatement le lien entre nous. Il est même venu comme ‘guest’ à notre concert aux Trois Baudets.
PM : Sur scène vous déployez une énergie rageuse et jubilatoire. Vous accordez-vous une part d’improvisation?
HK : Ho que oui, car sans cela on deviendrait des petits fonctionnaires de la musique (rires).
PM : Avez-vous déjà joué aux Etats-Unis?
HK : Non. On a eu des propositions, notamment de l’excellent Deep Blues Festival, mais le calendrier ne s’y prêtait pas. Cela devrait se faire, si tout va bien!
PM : Vous venez de vous produire aux Trois Baudets avec Rodolphe Burger, mais aussi Tété. On comprend la participation de Rodolphe, mais pourriez-vous nous en dire davantage sur cette relation avec Tété?
HK : En fait, on avait rencontré Tété à Londres lors de l’un de nos concerts, puis il est venu souvent nous voir à Paris. Mais c’est quand il est venu jouer à Genève qu’on a vraiment discuté, et ça a donné lieu à une collaboration pour le festival de la Bâtie dans lequel on jouait ses morceaux à notre sauce, et réciproquement. C’était vraiment cool…!
PM : Qu’est-ce que vous nous préparez comme tournée ou concerts?
HK : Nous avons déjà bien joué en France en mai et en juin, mais hélas, le disque et nous-mêmes sommes arrivés trop tard pour pouvoir être sur les festivals de cet été. Ce sera donc pour l’année prochaine.
PM : C’est votre deuxième album et vous figurez déjà dans le catalogue Dixiefrog. C’est bien une forme de reconnaissance de votre talent, non?
HK : Hou la-la…, ça, je ne sais pas! Nous sommes trop modestes pour pouvoir dire ça (rires). En tout cas, c’est un très bon label, très engagé et très impliqué pour faire connaître les jeunes talents, et nous en sommes très satisfaits.
PM : Et vos projets immédiats, puisque vous ne serez pas dans les festivals de cet été 2011?
HK : Boire une bière (rires)….!!!