Le blues et l’armée, le blues et les guerres

                                                Le blues et l’armée, le blues et les guerres


Crosse en l'air! Rompons les rangs!!!


En septembre 2008, Ruf Records a la bonne idée de sortir une compilation judicieusement intitulée ‘Rich Man's War, New Blues & Roots Songs Of Peace And Protest’ regroupant une dizaine de blues contemporains dénonçant les guerres dans lesquelles sont actuellement engagés les États-Unis. Si cette heureuse initiative n'est pas exhaustive, elle s'inscrit néanmoins dans une longue tradition où le blues et l'armée entretiennent des relations plus ou moins étroites selon les circonstances. Comment pourrait-il en être autrement d'ailleurs, puisque de tout temps, les auteur(e)s ont composé à partir des (més)aventures de leur existence…, et leur engagement (volontaire ou forcé) dans l'armée américaine fait partie de celles-là.

Ainsi, la vie des soldats a inspiré de nombreuses chansons et le Révérend Gary Davis pourrait ouvrir la marche avec son instrumental ‘United States March aka Soldier's’ de 1964, puis viendraient, pèle-mêle, Clara Young et son ‘Soldier's Plea’ probablement enregistré au pénitencier d'Angola en 1959, ‘Little soldier boy’ de Doctor Ross (1951), ‘Swing, soldier, swing’ de Sonny Terry & Brownie McGhee (titre paru sur une compilation qui couvre la décennie 38-48), sans oublier les ‘Soldier's blues’ de Michael Hill's Blues Mob (chanson sortie en juillet 1994 et dans laquelle l'auteur fustige la guerre en évoquant les cauchemars des vétérans) et celui de Killborn Alley Blues Band (juillet 2006), mais aussi ‘Soldier’ de Monte Montgomery (2001), qui est d'ailleurs le titre d'un instrumental des North Mississippi Allstars sorti en 2008.

La vie des casernes est également à l'honneur dans les titres de Ma Rainey, ‘Army Camp Harmony Blues’ probablement gravé dans la cire entre 1923 et 1928, ‘In The Army Now’ de Big Bill Broonzy (qui date de 1941 et n’a rien à voir avec la chanson portant le même titre et écrite par Status Quo) et ‘The Army Blues’ de David 'Honeyboy' Edwards (1942).
Mais la guerre, c'est aussi le repos du guerrier et la tristesse des femmes privées des hommes avec ‘My man o' war’, de Lizzie Miles, qui paraît en 1930.
Plus ironiquement, Bukka White, en 1963, dans ‘Army Blues’, raconte qu'il se cache au moment de la mobilisation pour s'occuper des femmes de ceux qui sont partis au front. On retrouve les mêmes propos irrévérencieux envers le patriotisme dans un morceau où Brownie Mc Ghee termine par:
Eh bien quand tu seras parti pour le camp, ne t'inquiètes pas pour ta maison (bis)
Tu peux compter sur moi pour porter ton charbon et m'occuper de tes affaires…

Puis viennent les temps de guerre, en général, chantés par Blind Lemon Jefferson dans ‘Wartime Blues’ que reprend David Evans en 1968, puis Blind Willie Johnson avec ‘When The War Was On’, Mississippi Joe Callicott avec ‘War Time Blues’ (1969, sans doute une adaptation de Yack Taylor’s ’Those Draftin’ Blues’ dont les paroles sont très proches mais qui datent de la 1ère guerre mondiale) tandis que Willie Dixon écrit en 1969 ‘Study war no more’ où il rappelle le coût social de la guerre:
The money spent on bombs alone can build poor people a happy home
And some good we can do, you treat me like I treat you

et nous livre dans la foulée son ‘It Don't Make Sense (You Can't Make Peace)’, repris en 2003 par Neal Black & The Healers, rappelant ainsi que ce n'est pas en préparant la guerre qu'on peut espérer la paix. Un titre qui sera repris par Kenny Neal, Robben Ford (sur Blues Moon), David Gogo et bien d’autres encore…
Notons à ce propos que W. Dixon ne fait pas que chanter contre l'armée puisque, tout comme Magic Sam en 1957, il ira jusqu'à déserter au moment de la mobilisation de 1940.

Viennent alors, de façon plus spécifique, les conflits du XXème siècle auxquels ont participé les USA avec la seconde guerre mondiale, pour commencer. Si Paul Oliver relève les belliqueuses paroles du Dr Clayton dans ‘Le Monde du Blues’ (Paul Oliver, ‘Le Monde du Blues’, 1962), à propos de l'événement qui a déclenché l'entrée en guerre des USA :
Le 7/12/1941(bis)
Les japonais ont survolé Pearl Harbour et ont lâché des tonnes de bombes
Le japonais est si ingrat, tout comme un chien perdu dans la rue (bis)
Oui, il mord la main qui l'a nourri dès qu'il a mangé à sa faim

Tout le monde ne partage pas cet avis haineux. Pourquoi se battre pour un pays encore ouvertement ségrégationniste? Les gens de couleur n'avaient, en effet, pas oublié que pendant la première guerre mondiale, une communication remise officiellement au haut-commandement français avait exigé le strict maintient de la ségrégation dans les services armés, et que les actes de bravoure ou les conduites héroïques, telles celles du 369ème régiment de cavalerie composé (uniquement!) d'hommes de couleur, soient systématiquement passés sous silence!
Et par dessus tout, comment tolérer encore le lynchage des hommes à peine revenu du front…? Pourtant, l'armée US semblait vouloir faire des efforts pour effacer cette sale image de la ‘Mère Patrie’ et si elle avait effectivement augmenté le nombre d'hommes de couleur pour servir ailleurs que dans les bars des mess, les unités noires étaient formées dans des camps spéciaux et toujours commandées par des blancs. On ne comptait que deux officiers de couleur en 1940!
La ségrégation perdura jusque dans les camps de la Croix-Rouge, hé oui, qui exigeait que dans les réserves de plasma, on séparât strictement le sang des donneurs blancs et noirs…!

Ensuite vint la guerre de Corée, de 1950 à 1953, qui inspira immédiatement J.B. Lenoir avec ‘Korea Blues’, puis Ligntnin' Hopkins et son ‘Sad News from Korea’ sorti en 1952.
Signalons aussi cet album de John Mayall, ’Memories’ (1971) où figurent deux titres sur cette guerre où il perdit son grand-père: ‘Circumstances make it so’ et ‘Back from Korea’.

Puis vint la guerre du Vietnam, de 1960 à 1973, et l'armée n'avait toujours pas réussi à se départir de son image raciste. Rappelons-nous cette scène du film ‘Hair’ illustrant les grands rassemblements pacifistes et marquée par cette phrase: ‘Après avoir exterminé le peuple rouge, le peuple blanc envoie aujourd'hui le peuple noir combattre le peuple jaune!
En effet, pour beaucoup d'afro-américain(e)s, la guerre du Vietnam est encore perçue comme ‘une guerre de blanc’, alors on ne s'étonnera pas que les artistes de blues manifestent si peu d'entrain à servir les intérêt d'une société qui les rejette. A commencer par le titre très explicite que JB Lenoir enregistre en 1966, ‘Vietnam blues’:
Vietnam Vietnam, everybody cryin' about Vietnam
The law all the days (?) killing me down in Mississippi, nobody seems to give a damn

et repris plus tard par Cassandra Wilson dans une superbe version filmée par Wim Wenders dans son film ‘The Soul Of A Man’. Mais il existe également un autre blues de JB Lenoir gravé un an plus tôt et intitulé plus sombrement ‘Vietnam’, chanson dans laquelle il appelle à la disparition de toutes les guerres. Citons aussi l'ambiguë ‘Vietcong blues’ de Junior Wells & The Chicago Blues Band, ‘So cold in Vietnam’ de Johnny Shines, sorti en 1966, sans oublier le politiquement incorrect – et par conséquent trop méconnu! – ‘I don't wanna go to Vietnam’ de John Lee Hooker, titre qui date de 1968. Le même John Lee Hooker se réjouira de la fin des combats dans ‘War Is Over (goodbye California)’ enregistré en septembre 1948 pour Bernie Besman aux United Sound Studios mais non publié avant 1971, de même que Lightnin' Hopkins regrette leur éternel reprise dans ‘War Is Starting Again’ dans une compilation d'enregistrements s'étalant de 1955 à 1968.

Plus près de nous, la paix est célébrée, entre autre, par Eric Bibb, en 1999, lorsqu'il entonne son magnifique ‘World War Blues’, et Monster Mike Welch le suit 5 ans plus tard avec ‘Masters Of War’, puis Barry Mc Cabe avec le titre même de son album ‘The Peace Within’, sorti en 2005, ainsi que Candye Kane avec ‘Let there be peace on earth’, la même année.

D'autres chansons ne figurant pas sur cette excellente compilation méritent aussi d'être relevées, comme ce ‘Different kind of war’ du Joanna Connor Band (2002) qui revient sur les nouvelles technologies expérimentées actuellement au cours des opérations militaires. En 2006, John Trudell, très folk, balance ‘Bombs over Bagdad’ et Big Shanty nous propose son ‘Killing fields’. En 2007, c'est la grande mobilisation du blues contre les guerres en Irak et en Afghanistan avec ‘Blues Over Baghdad’ de Fruteland Jackson, ‘War’ de JJ Grey & Mofro, ainsi que le ‘Patriot Act Mix’ d'Howard Glazer (paru dans le 3 titres ‘Impeach Bush/Cheney’), le ‘Bagdad Blues’ de Beverly Guitar Watkins et, pour finir, David Evans qui milite ouvertement pour le retrait total des troupes dans ‘Bring the Boys Back Home’. Et puis il y a ‘Dad's Gonna Kill Me’ sur lequel Richard Thompson joue sur le double sens de ce titre, ‘Dad’ étant aussi la contraction de Bagdad (extrait de son album ‘Sweet Warrior’, en 2008).
Citons également ‘Talkin' Iraq Blues’, de Faris, et le ‘Funk Meditation For Peace’ des Philadelphia Blues Messengers que je n'ai pas réussi à dater.

La Bibliothèque du Congrès américain a édité dans les années soixante ‘Songs Of War & History’ et Saga a eu une idée similaire, plus récemment, mais impossible d'en retrouver la trace.
Signalons enfin que ‘New Blues & Roots Songs Of Peace And Protest’ embrasse aussi des chansons dénonçant les raisons économiques de ‘nos’ guerres contemporaines, mais ça, c'est une autre histoire…!

‘Oncle Eustache’

NDLR: Cette liste d’artistes et de chansons n'est sûrement pas exhaustive, et si vous souhaitez la compléter, en discuter ou simplement faire partager vos réactions, vous pouvez me contacter à l'adresse suivante: comboquilombo@free.fr