L’Arabicana de No Blues

                                    L’Arabicana de No Blues

Interview préparée et réalisée par Dominique Boulay
Le 8 mars 2011, à Paris
Traduction par Josée Wingert
Photos : © No Blues

C’est à l’occasion de leur passage à Paris au New Morning, le 8 mars 2011, que nous avons rencontré les musiciens arabo-hollandais de cette formation au goût musical épicé, NoBlues, venus promouvoir leur nouvel opus ‘Hela Hela’ et c’est le bassiste-chanteur de la formation, Anne-Maarten Van Heuvelen, qui a répondu à nos questions, car le lascar a des choses à dire, beaucoup de choses à dire.

BM: Pourquoi vous êtes-vous appelés No Blues? Par négation du Blues?
No Blues:
On pourrait dire que le groupe joue du blues, mais ce n'est pas vraiment du blues, parce qu'il y a tellement d'influences arabes dans notre musique. En fait, No Blues tient son nom de la maison de production ON. Rob Kramer, qui en est le directeur artistique, a eu l'idée de mettre deux mondes côte à côte, des mondes musicaux qui sont différents: l’un, américain, et l’autre, arabe, et c’est lui qui a suggéré d’appeler cette musique NO blues. Voilà d’où vient le nom du groupe.

BM: Où vivez-vous tous, en Hollande?
NB:
Oui, nous vivons tous aux Pays-Bas. Dans l'est, dans le sud et dans l'ouest. Haytham vient d'Israël, Osama est soudanais, Ad et moi, Anne-Maarten, sommes néerlandais, mais moi j'ai vécu aux États-Unis un moment.

BM: Pouvez-vous nous décrire votre parcours musical?
NB:
J'ai commencé à chanter et jouer dans un groupe de blues à l’âge de quinze ans. Je venais tout juste d'acheter une guitare basse et j'ai monté un groupe. J'ai toujours aimé le blues, parce que c’est une musique avec des racines et qui est remplie d’émotion. Dans le blues, il y a comme un feu qui brûle, il y a une âme et un esprit combatif. C'est le genre de musique qui dit ‘Je ne vais pas me laisser déprimer par ce monde’, et cela me convenait bien quand j'étais jeune. A dix-neuf ans, j'ai acheté une contrebasse, parce que j’aime le son de cet instrument et que je voulais jouer du jazz. Et pour le jazz, il faut une contrebasse, ou du moins c'est ce que j'ai pensé à l'époque. Tout comme je l'avais fait avant, j'ai appris à jouer de la contrebasse par moi-même et j’ai trouvé des groupes avec qui jouer. A cette époque, je jouais du blues des années cinquante, du punk-rock, du reggae roots, du ska et du jazz. J’'ai fait une tournée en Europe avec le American Blues Acts. J’écris des chansons depuis que j'ai dix-sept ans et j'ai fait mon premier album solo à 27 ans. En plus de jouer en solo comme Hills et de jouer avec NO blues je joue aussi dans un trio blues-rock appelé Black Top qui va sortir son deuxième album en avril.

BM: On raconte que, comme pour les Rolling Stones à leurs débuts, vous vous êtes enfermés jusqu’à ce que vous arriviez à produire quelque chose ensemble, et que c’est ainsi qu’est né le fameux Arabicana dont nous parlons aujourd’hui.
NB:
Quand nous avons commencé avec NO blues, trois d'entre nous, Van Meurs, Safia et moi-même, nous avons eu trois jours pour écrire des chansons pour un show d'une heure. L'idée était de combiner blues, folk américain et musique arabe. C’est ainsi que pendant ces trois jours nous avons réalisé notre premier album intitulé ‘Farewell Shalabiye’. Mais l’écriture d'un album avec NO blues, cela n’arrive pas tout seul. Cela demande beaucoup de travail, d’écrire des chansons qui ont ce son!

BM: Pourquoi et comment avoir éprouvé un tel besoin de jouer et rester ensemble?
NB:
‘Farewell’ fut le début de NO blues. Notre maison de production, ON, nous avait demandé de combiner musique arabe et folk blues. En trois jours, nous avons écrit dix chansons et juste après, nous avons fait un spectacle. Quelques mois plus tard, on nous a demandé de poursuivre le projet et nous avons enregistré notre premier album avec les chansons que nous avions écrites auparavant. Ces premières idées venaient vraiment des ‘tripes’ de ce que nous pensions et ressentions de ce que devait être la musique. En raison du peu de temps alloué, nous avons travaillé vite, et grâce à cela notre musique fut très innovante. Ce premier album a très bien marché aux Pays-Bas et en France. On nous a beaucoup entendus sur les ondes et l’on a commencé à faire attention à nous. C’était le début de NO blues. Mais comme nous n'avions que dix chansons et que nous avions à nous produire en concert, et donc au minimum pour une heure, nous avons immédiatement commencé à écrire d’autres chansons. Et comme le premier album a bien marché, il nous est devenu évident que nous allions faire un second album. Alors nous sommes retournés en studio et nous avons écrit de nouvelles chansons. Cette fois, nous avions une vision un peu plus claire de ce que nous faisions, même si nous n'étions pas encore tout à fait sûrs de nous. Nous en étions encore à nous demander: ‘Comment fait-on pour composer? Qu’est-ce qui va? Qu’est-ce qui ne va pas?’.
Cet album a pris un peu plus de temps pour être réalisé et il est sas doute un peu plus dynamique que le précédent album. Avec ‘Lumen’, nous sommes allés encore plus loin dans notre recherche des limites de ce nouveau style qu’est l’Arabicana. C'est moins bluesy que ‘Farewell’, mais je crois que c’est un album plus cohérent que ‘Ya Dunya’. C’est en tous cas mon avis. ‘Lumen’ a pris plus de temps à être réalisé que ‘Ya Dunya’ et ‘Farewell’ additionnés. Mais nous avions peaufiné notre conception de ce que devait être l’Arabicana. Je trouve que les chansons sur cet album sont très habilement mises en place, et c'est là que le groupe est devenu ‘un’, même si là encore, le processus d'écriture n'a pas été facile. Il y a d’ailleurs une piste cachée sur ce disque qui explique comment fonctionne NO blues. J’espère que les gens auront la patience et la curiosité d’aller la chercher, cette piste cachée…! Je pense vraiment que ‘Lumen’ a été un grand pas en avant.
Avec ‘Hela Hela’ nous avons vraiment essayé de revenir à des formes plus simples de chansons. Moins élaborées que dans ‘Lumen’. Pourtant il a été l’album le plus difficile à réaliser. Nous sommes trois hommes très têtus et lorsque nous nous réunissons pour écrire des chansons, ça fuse de de partout et ça fait parfois des étincelles. Lorsqu’on entend une musique, on doit avoir l’impression qu’elle a toujours existé, qu’elle est naturelle, on ne doit surtout pas se rendre compte qu’il a fallu beaucoup de travail pour la composer. Mais pour y parvenir, nous avons dû beaucoup travailler et trouver des terrains d’entente. Les problèmes que nous avions n’étaient pas de nature culturelle, mais de nature personnelle. C'est aussi pourquoi nous avons décidé de ne pas retourner en studio de si tôt, parce que ce fut plus difficile que prévu de sortir cet album qui convienne à tous. Mais nous envisageons d’enregistrer un album ‘live’, parce que quand les chansons sont écrites, on n’a plus qu’à monter sur scène et profiter de la musique avec notre public.

BM: Comment définiriez-vous votre musique, hors étiquette Arabicana?
NB:
À cause du mélange des genres, je dirais que c'est de la World Music. Mais nous faisons aussi beaucoup d’apparitions sur les scènes-folk, mais pas en blues. Peut-être sommes-nous trop World Music pour les amateurs de blues? Encore que…mais qu’ils viennent donc nous écouter, ils se feront ainsi leur propre avis. Je pense qu'il est juste de dire que nous aimons tous, au sein de NO blues, notre style musical. Nous avons la liberté de faire le genre de musique que nous voulons, et c’est cela qui nous rend heureux d’être ensemble. Ensuite, les compagnies et les journalistes nous mettent dans une sorte de boîte, afin d’attirer un public, nous collant une étiquette sur le dos, mais la musique elle-même ne change pas. Dans notre cas, nous avons nous-mêmes fabriqué notre propre boîte et nous l'avons étiqueté Arabicana. Nous espérons qu'il deviendra un genre à part entière et que d’autres groupes qui font fusionner aussi ces deux genres, l’Américain et l’Arabe, nous rejoindront.

BM: Qui a pensé un jour appeler cette musique de l’Arabicana?
NB:
La plupart des chansons sont écrites par Van Meurs à la guitare, Safia à l’oud et moi à la contrebasse. Tous trois, nous chantons aussi. En général, pour composer un morceau, l'un de nous arrive avec une idée de base, et les deux autres la décortiquent. Être un musicien de No Blues n'est pas une sinécure, il faut être fort car nous discutons beaucoup sur les chansons. Si vous n'êtes pas prêt à voir votre chanson être triturée, modelée et remodelée, alors mieux vaut ne pas l’amener en studio.
Sur l’album ‘Hela Hela’, notre percussionniste Osama Maleegi a également aidé à écrire les chansons et il est venu avec des idées de son cru. Il joue de l’oud et chante sur deux morceaux. Mais il a compris ce que cela voulait dire que de faire partie de cette étrange combinaison de musiciens qui composent No Blues. Ce n'est pas toujours facile, mais quand nous sommes d'accord sur la façon dont une chanson fonctionne le mieux, alors il semble que celle-ci a toujours existé. La musique est fluide et parfois d'une simplicité trompeuse. Mais il nous aura fallu beaucoup d'efforts et de travail pour y arriver. Et ça en vaut la peine, parce qu’au bout, il y a une musique magnifique.

BM: Alors qui compose?
NB:
En général, Ad, Haytham et moi-même composons les chansons. Pour ce dernier album, Osama a également écrit deux chansons. Pour composer, nous travaillons d’abord sur l'idée de base, parfois les paroles sont déjà écrites et d’autres fois on travaille d’abord la musique, et les paroles viennent plus tard.

BM: Cette fusion totale entre les deux cultures musicales, a-t-elle son équivalence au niveau des textes?
NB:
Sur ce disque, nous avons porté beaucoup d’attention aux paroles et à la manière dont elles s’imbriquaient. Dans ‘Do Good, Be Good’, Hytham chante par exemple sur le thème ‘le bien que l’on éprouve à faire de bonnes choses dans la vie’, et moi je lui réponds que ‘même si vous faites de bonnes choses, ce n’est parfois pas suffisant et que cela est simplement fonction de qui vous êtes et d’où vous venez’.

BM: Ne seriez-vous pas alors des songwriters?
NB:
Le concept du mélange de la musique américaine et de la musique arabe est en soi-même un engagement. Tout ce que nous avons à faire c’est que cela fonctionne. Nous faisons en sorte que les gens découvrent cette possibilité. La musique leur parle d’elle-même, je pense, et nous n’avons pas besoin de nous engager politiquement plus que ça.

BM: Qu’est-ce que vous voulez prouver…
NB:
Nous essayons de démontrer que si vous le voulez vraiment, vous pouvez faire fonctionner ensemble des choses qui, à première vue, semblent incompatibles. Que cela demande quand même pas mal de travail, mais que la volonté est ce qu’il y a de plus fort.

BM: Vous êtes des ambassadeurs de la Fraternité entre les peuples…
NB:
Tout un chacun peut être un ambassadeur de la fraternité entre les nations. Si on veut changer le monde, il faut commencer par changer soi-même. Nous, nous faisons de la musique et l'auditeur est en droit d'entendre ou de ressentir ce qu'il veut. Nous ne sommes pas des héros ou des ambassadeurs par choix. Nous sommes des musiciens qui voulons faire de la musique qui ‘parle’ aux gens.

BM: Dans quels pays votre musique est-elle appréciée plus particulièrement?
NB:
Partout où nous jouons, les gens trouvent presque toujours dans notre musique quelque chose qu'ils aiment. Probablement parce qu'il y a des personnalités tellement différentes dans notre groupe qu’elles parviennent à toucher de nombreuses sensibilités différentes.

BM: Quid des Etats-Unis et du Moyen Orient?
NB:
Nous avons été contactés pour aller jouer dans des pays arabes, mais jusqu'à présent cela ne s’est pas fait. Quant aux États-Unis, je sais qu’on nous écoute, là-bas, et qu’on nous apprécie.

No Blues