La soul de Jesse Dee et son CD Bittersweet Batch

ITW préparée et réalisée par Frankie Bluesy Pfeiffer
Photos : Frankie Bluesy Pfeiffer
 
La couv du digipack, déjà, avec ce mixeur broyant de la pellicule, me fit tout d’abord penser que l’album était la réédition d’un vieux LP dont la pochette avait été réalisée par un graphiste des 70’s. L’album, quant à lui, sonnait comme un vieux vinyl retrouvé au fond d’une étagère sur laquelle se trouvent religieusement classés dans la catégorie ‘soul & funk music’ les opus de Otis Redding, James Brown et Al Green, entre autres. Mais le plus surprenant dans tout ça est que non seulement le CD est une production toute récente, mais que la tronche du chanteur-auteur-compositeur proposée au verso du digipack est celle d’un jeune blanc au sourire timide et à la chevelure bien fournie: Jesse Dee. L’écart entre cette photo et le son du CD, rétro à mort, m’incitait déjà à en savoir plus sur le profil du jeune homme, mais le fait qu’un blanc-bec puisse composer et interpréter une musique soul-funk sur laquelle on pensait que seuls les noirs pouvaient nous faire passer le grand frisson me décida à chercher à comprendre le pourquoi du comment. Here comes Jesseeeeeeeeeee Deeeeeeeeeeee…. !
 
 
FBP: Fallait oser, non? Sortir un album de soul alors que cette musique n’est plus à la mode depuis des lustres. Tu ne t’es pas dit que tu risquais de te planter grave si le feeling ne passait pas ?
JD: Non, pas du tout (large sourire). En faisant cet album je n’ai pas imaginé un instant que le CD puisse être un échec,…ou un succès, car ça, c’est le public qui te l’offre, si je peux dire. Tu peux proposer ce que tu veux comme musique, mais c’est le public qui fait qu’un album est ensuite une réussite ou un échec. Ce n’est pas l’artiste qui décide. Moi, ce que j’ai voulu proposer, c’est un album qui corresponde à la musique que j’aime, et qui me corresponde. Et l’essentiel pour moi est là, dans le fait que ce que je donne au public vienne de moi, et que ce soit la musique que j’aime faire.

 
Tu dis que cette musique te correspond. Mais tu es très jeune, alors que ta musique sonne comme la soul des années 60 et 70. T’es si vieux que ça, au fond de toi?
(rire) Non, pas du tout. Je suis jeune et je me sens jeune,…et je pense que cette musique des années 60 est toujours aussi jeune. Elle n’a pas vieilli et je trouve même qu’elle a rajeuni, tu ne trouves pas? (rire)
 
Oui, mais alors pourquoi avoir enregistré cet album de manière ‘rétro’, en analogique? Ce n’est pas une preuve de jeunesse, ça…
Pour moi, si. Je pense qu’avec la technologie moderne d’enregistrement, les sons ont perdu de cette chaleur que tu ressentais auparavant. Avec le numérique on est arrivé à enregistrer et à reproduire un son tellement parfait, tellement propre, qu’il en est devenu froid. C’est peut être aussi ce qui provoque la désaffection du CD, tu sais, parce qu’en écoutant un CD tu n’as plus cette relation que tu pouvais avoir avec la musique enregistrée en analogique et que le vinyl arrivait à retransmettre. Et puis un vinyl c’est aussi un bel objet à tenir entre les mains, et qui est moins froid, même visuellement, que le CD.
 
Pour l’enregistrement de Bittersweet Batch tu as également travaillé à l’ancienne, de manière spontanée, avec peu de prises, exact?
Oui, tout à fait, car cela correspond à ma manière de vivre la musique. Pour qu’elle soit vivante, chaude et non pas froide. C’est pour ça que l’on n’a quasi jamais fait plus de deux prises, et c’est aussi l’avantage, pour moi, de bosser avec de l’analogique. Quand tu enregistres en analogique, tu ne peux pas passer des heures à essayer de jouer ceci de telle ou telle manière, tu dois te lancer et te décider. Et quand c’est parti, c’est parti, et tu ne peux plus reculer. Tu dois assumer ton choix et t’y tenir. C’est plus excitant, et plus passionnant que de pouvoir faire vingt prises ou plus, grâce au numérique.
 
Et tu as déjà regretté certains de tes choix ?
(sans même prendre le temps de réfléchir) Non, non. Tu sais, une fois que tu as fait tes choix et que tu les as assumés, que tu as choisi la prise et que la chanson est enregistrée, y’a plus de place aux regrets, ou alors tu reviens au numérique et tu passes un temps fou à faire des dizaines de prises, et ça, très franchement, c’est pas mon truc. Et puis une chanson, c’est quoi? De belles paroles, sur une belle mélodie. Et pour enregistrer ça, tel que tu le ressens, y’a pas besoin de dizaines de prises. Je dirais même qu’une seule devrait suffire (large sourire).

 
De belles paroles sur de belles mélodies, dis-tu. Est-ce que tu penses sincèrement que tes chansons collent à la génération des jeunes des années 2000 ou bien ne penses-tu pas que l’on va te coller une étiquette ‘rétro’, si ce n’est ‘ringard’? Parce que tu sonnes comme Otis Redding, par exemple.
(large sourire) Tu sais, si des gens me disent que mes chansons sont de l’âge, ou de l’époque de Otis Redding, alors je le prendrai comme un compliment, parce qu’être comparé à Otis Redding ne peut être qu’un honneur. Par rapport à ce que tu dis, je pense que mes chansons collent bien à mon époque et qu’elles sont pour les gens de ces années 2000 car j’écris des chansons, j’espère, du moins (sourire),…qui ont quelque chose à dire, qui font passer des émotions, des images. Je suis très sensible à l’écriture des paroles de mes chansons et à ce qu’elles vont refléter de moi. Je ne voudrais surtout pas qu’on imagine que j’écrive des chansons comme cela, vite fait. Ce qui me plait c’est de raconter quelque chose comme tu racontes ce que tu vois en regardant une peinture. Une chanson, c’est comme une peinture. Elle doit plaire, avoir une belle mélodie, comme un tableau a une belle lumière.
 
Parmi tous les noms que je vais te citer, lesquels ont eu de l’influence sur toi: Sam Cooke, Otis Redding, Etta James, Ray Charles, James Brown, Marvin Gaye, Jackie Wilson, Arthur Conley, Bobby Bland, James Carr, Bill Withers, Tom Waits, Little Stevie Wonder, Smokey Robinson, Dan Penn, Ike & Tina Turner, Little Willie John, Solomon Burke et Al Green?
(rires)  Tous… Tous. Et il en manque, comme Bob Dylan, Al Jackson Jr et John Lennon, par exemple, mais il est vrai que la soul m’a toujours touché plus que toutes les autres musiques. C’est une musique qui m’a pénétré comme aucune autre et qui provoque en moi des sensations, des émotions très fortes, et plus fortes que n’importe quelle autre musique.
 
As-tu abandonné ton travail de graphiste?
Non, pas encore (rire). D’ailleurs je chante toujours lorsque je peins.
 
Tu es diplômé du MassArt, exact? (NDR: Massachusetts College of Art and Design)
Oui, c’est exact.
 
En fait, jusqu’à aujourd’hui tu as beaucoup plus été dans les arts plastiques que dans la musique…
Oui, tout à fait. J’ai passé pour le moment une grande partie de ma vie dans les arts plastiques et peu dans la musique, mais ce que j’espère c’est de pouvoir me consacrer totalement à la musique maintenant.

 
Mais la musique te titillait déjà pendant tes études, avec ce premier groupe auquel tu aurais participé. Ce n’était pas un certain Decifunk?
(large sourire) Oui, c’était bien Decifunk, un groupe où on était dix. On tournait pas mal et on a même enregistré en 2001 chez Squeeze Box, avant de fusionner avec The Dirty Whites, avec lesquels on a sorti un EP en 2006. Un disque avec 5 titres. Ce fut une excellente expérience et qui m’incita à monter mon propre groupe, sous mon nom, avec Matthew Joy à la guitare, Jim Larkin à la basse et Matt ‘Pie’ Beaulieu à la batterie.
 
Tu as joué en première partie de Al Green, exact? Cela t’a fait quoi d’ouvrir pour un bonhomme comme Al Green? Tu n’as pas été trop impressionné?
Si, bien sûr, surtout que je jouais seul, sans mon groupe, mais en même temps c’est un tel honneur de partager la scène avec un chanteur comme Al Green que tu te dois de donner le meilleur de toi-même,…et tu n’as pas le temps de penser à plein de choses. C’est après, une fois que tu as fait le truc que tu te dis ‘Woaaaa, c’était super de chanter avant Al Green’.
 
Finalement, pourrait-on dire que tu es plus soul que funk?
Oui, tout à fait. Sans doute parce que je suis d’abord très concerné par le chant, par les voix, et que la soul est la musique où elles peuvent s’exprimer de manière plus large, plus étendue que dans la funk music.
 
Tout comme James Brown et Stevie Wonder ont fait évoluer leur musique, comment vois-tu évoluer la tienne?
Sincèrement, je ne sais pas, mais c’est sûr qu’elle évoluera. En musique, c’est comme en peinture: plus tu travailles, plus tu réalises de choses, et plus tu évolues. Les grands peintres et les grands graphistes come Picasso et Warhol ont vu leur style évoluer, et s’enrichir, mais sans jamais perdre leur âme. Et lorsque ma musique évoluera, jamais elle ne perdra ce que j’y mets de moi, ce qui m’est propre.
 
Tu ne serais pas du style productif-compulsif?
Non,…ou peut être que oui (large sourire). Je ne sais pas. Peut être qu’un psy pourrait le dire, et encore. Non, ce que je veux dire c’est que j’ai vraiment changé de cap créatif et que je me consacre totalement à la musique, et comme les chansons viennent en moi de manière naturelle, alors je les écris et les chante pour faire la place à d’autres (sourire).
 
Sincèrement, ne regrettes-tu pas d’avoir laissé tomber ton activité de graphiste et de peintre?
Non, car sinon je n’aurais pas ainsi pu tout dédier à ma musique. Tu sais, je suis très heureux comme je suis, et très heureux de pouvoir me consacrer à la musique que j’aime.
 
 
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