Juju Child : un louisianais à Paris

Interview préparée et réalisée par Frankie Bluesy Pfeiffer
Photos : Frankie Bluesy Pfeiffer
Novembre 2005

Né à la Nouvelle Orléans et ayant vécu toute son enfance dans l’état du Mississippi, R. Jamil Williams, plus connu sous le surnom de Juju Child est un authentique bluesman dont le style combine un savant mélange de musique roots africaine, de soul, de jazz, de funk et de Blues du Mississippi. Un cocktail bluesy explosif mâtiné de groove hypnotique qui subjugue le public à chacune de ses apparitions.

Issu d’une famille renommée pour ses musiciens et chanteurs de gospels et de blues, Juju sings the Blues et commence à jouer de la guitare à 10 ans. Pour échapper à la vie particulièrement modeste que connaissent les gens du Sud, il va entrer à la Alcorn University. C’est là qu’il y monte son premier groupe. Sa route est tracée : il sera guitariste-chanteur de Blues.

BM : Première question, celle que se posent tous ceux qui te découvrent pour la première fois : pourquoi ce surnom, Juju Child ?
Juju :
Pour garder à travers ma musique un lien avec mes racines africaines, celles des esclaves que l’on avait arrachés à leur terre. Juju, c’est africain et c’est un mot qui a quelque chose de spirituel, de magique,…et c’est aussi cela que je veux transmettre au travers de ma musique.

BM : Tu as formé ton premier groupe quand tu étais à la Alcorn University…
Juju :
Oui, je l’avais appelé Black Cotton – Coton noir –, parce que je voulais un nom qui traduise le concept de contraire,….l’inverse de ce qui est : coton noir parce que le coton n’est pas noir. Et c’est avec ce groupe que j’ai commencé à jouer dans des clubs et des universités.

BM : C’est à cette époque que tu as commencé à composer ?
Juju :
Oui, c’est à cette période que j’ai commencé à écrire mes premières chansons. C’étaient mes débuts de compositeur….(large sourire)…Je n’ai rien oublié, mais ce ne sont pas des titres que je joue sur scène actuellement. Peut-être un jour….Il faut être indulgent en réécoutant cela, tu comprends… ? (large sourire)

BM : Tu as également étudié le jazz à la Southern University, sous la tutelle du grand Alvin Batiste. Pourquoi le jazz ?
Juju :
Parce que le Jazz m’attirait également, et que quelque part Blues et Jazz sont très proches l’un de l’autre, et ont des racines communes. Tous les deux viennent de là où je suis né, dans la Nouvelle Orléans, et je pense que pour les musiciens de Blues, comme pour ceux qui jouent du jazz, il est très important d’apprendre et de savoir jouer ce que jouent les autres. Tu sais, connaître ses racines et en être fier, c’est très important pour le cœur,…et pour l’esprit.

BM : Tu aurais joué là-bas avec Billy Cobham. C’est exact ?
Juju :
Tout à fait. Billy, comme Clarck Terry d’ailleurs, venait souvent à notre Université. Il organisait ce que l’on appelle maintenant des Master Class, et moi j’y allais chaque fois que je pouvais. C’était très excitant de jouer avec un grand musicien comme Billy.

BM : Quelles sont les sensations les plus fortes que tu gardes de toute cette époque où tu as appris à être un musicien professionnel ?
Juju :
(songeur…) La sensation la plus forte ? La découverte des rythmes et des sons d’Afrique. C’était comme retrouver mes racines, et ce fut tellement important pour moi que j’ai intégré ces sons et ces rythmes dans ma musique. Comme je te l’ai dit, connaître ses racines et en être fier, c’est ça qui est important !

BM : Tu es ensuite parti pour Chicago où tu as composé pour des spots publicitaires et des défilés de mode. C’était pour le plaisir, ou pour….
Juju :
Pour l’argent, tout simplement. Pour gagner ma vie, faire vivre ma famille. J’ai composé pour des défilés de mode, pour d’autres événements aussi,…et j’ai écrit des articles. C’était une bonne expérience, tu sais, une bonne expérience…!

Quelques années plus tard, en 1990, j’ai quitté Chicago pour retourner dans le Sud. J’ai joué du Blues, du Zydeco, du Reggae, du Chicago Blues, plein de choses… J’étais très souvent en tournée, avec des gens aussi différents que les Wailers, Lionel Hampton, Herbie Hancock, les Temptations, Sade, et les Neville Brothers. Après quelques années à tourner comme ça, je me suis décidé à quitter les USA et à venir en France. Cela fait maintenant cinq ans que je suis ici… ! (large sourire)

BM : Pourquoi avoir choisi la France ?
Juju :
J’avais visité Paris et….pour moi c’était un challenge. Je ne parlais pas la langue, mais j’étais amoureux de Paris. Je voulais m’offrir un challenge, tout simplement. Et voir comment le public, ici, allait réagir à ma musique.

BM : Alors, justement, comment définis-tu le blues que tu joues ?
Juju :
C’est…du Blues….vivant. Vivant, parce que je le fais sans cesse évoluer. C’est un « Blues-experience ». Tout ce qui vit est une expérience, et le blues est une expérience… !

BM : Lorsque tu a joué au Petit Journal, ton set était très différent de celui de ce soir, ici, à Blues en VO.
Juju :
Oui, c’était très différent. Au petit Journal c’était beaucoup moins funky et plus jazzy. Ce n’était pas le même groove… Et c’est cela qui est intéressant aussi avec toutes ces expériences passées et ces influences qui font partie de ma musique. Je peux adapter et proposer un set différent en fonction des endroits où je joue et du public qui est là pour m’écouter. 

BM : Tu préfères la scène au studio… ?
Juju :
Non, j’aime les deux. La scène c’est très spécial : tu es là et tu vois les gens, tu sens ce qu’ils aiment, ou ce qu’ils n’aiment pas. Un concert c’est un échange d’énergie, c’est quelque chose de très fort. Toi tu donnes de ton énergie, et le public te donne de l’énergie en retour. C’est magique… ! En studio c’est différent, c’est un travail qui demande beaucoup d’attention,…et c’est là que tu dois être créatif. Et c’est tout ce travail de création qui te permet ensuite de jouer sur scène. Pour être bon sur scène il faut aussi être bon en studio. C’est pour cela que j’aime autant travailler en studio que jouer sur scène.

BM : Par rapport à ce Blues-experience que tu joues, quelle relation as-tu avec les autres musiciens ?
Juju :
J’ai une formule très simple et qui me convient très bien : en fonction de la musique que je joue, je choisis tel ou tel musicien. J’en connais beaucoup et ils font partie d’une sorte de groupe, très large, dans lequel je choisis untel ou untel en fonction de ce que je veux jouer. Et puis cela dépend aussi si je dois jouer en studio ou sur scène. Mon groupe est comme ma musique : une expérience.

BM : Je ne vais pas te poser la question rituelle pour un guitariste, savoir quels sont les guitaristes de Blues qui t’ont influencé, ou marqué,…mais plutôt : quelle autre personne t’a influencé ?
Juju :
(avec un large sourire) Sly Stone, pour ses arrangements. Il donne un volume, une dimension, une richesse musicale incroyable à tous ses titres avec ses arrangements, et c’est formidable. C’est vraiment du « soul ».

BM : Justement, ton dernier CD s’intitule "Roots & Soul".
Juju :
Oui, et ce titre traduit bien ce que j’ai voulu faire : rendre hommage à mes racines, et donner ce que j’ai de plus fort en moi, avec de nombreux arrangements. C’est pour cela aussi que parmi les 13 morceaux de ce CD, certains sont assez différents les uns des autres.

BM : Et sur cet album je pense qu’il y a un morceau auquel tu es plus particulièrement attaché…
Juju :
C’est « Juju Meditation Blues ». C’est une chanson qui vient de là, du cœur,…et de l’esprit. J’y suis profondément attaché.

BM : Et c’est aussi une chanson que tu proposes de télécharger gratuitement, et intégralement, depuis ton site internet.
Juju :
Oui, c’est exact. Et les gens peuvent aussi télécharger 4 autres titres de cet album (*), et en intégralité !

BM : Pourquoi offrir ainsi 5 titres à télécharger, gratuitement et dans leur intégralité ? Que penses-tu de ce que l’on appelle le piratage sur Internet… ? N’est-ce pas un danger pour les musiciens ?
Juju :
J’ai décidé d’offrir 5 titres à télécharger parce que quelqu’un qui veut copier ton disque ou plusieurs titres, il le fera de toute façon. Alors que s’il peut écouter ce que tu proposes et qu’il aime ce que tu fais, tu as des chances qu’il achète ton disque,…et qu’il en parle à d’autres personnes, qui vont aussi t’écouter en allant sur ton site Internet,…et ensuite ils viennent te voir en concert, et ça aussi c’est important pour un musicien que les gens qui t’écoutent en CD viennent à tes concerts. Et moi je veux qu’ils viennent à mes concerts pour écouter ce que je joue et vivre cette expérience !

BM : Que dis-tu à ceux qui disent que Internet met en péril le marché du disque et donc celui des artistes ?
Juju :
Que Internet peut au contraire donner du poids à un artiste. Il ne faut pas toujours voir les choses sous un aspect négatif. En mettant des titres à télécharger sur Internet je montre ce que je fais, et je fais confiance à ceux qui vont écouter ce que je joue, et qui achèteront mon CD s’ils aiment ma musique. Tu le sais,..il y a beaucoup de musiciens de Blues, et Internet est un bon moyen de voir réellement qui joue quoi, et comment. Moi je n’ai pas peur à cause d’Internet ; au contraire, j’ai confiance !

BM : Comment sera le prochain album ?
Juju :
Il y aura des choses différentes, bien sûr, dans les arrangements par exemple, mais il sera de la même source d’inspiration : un mélange de mes racines et de ce que j’ai dans le cœur. Il pourrait très bien comporter des morceaux plus funky, ou plus jazzy, mais….ce sera toujours du Juju Child.

BM : La scène étant pour toi aussi importante que le studio, à quand donc un album live ?
Juju :
Pour bientôt peut être… J’y pense…, on me le demande, mais sincèrement, je préfère que les gens écoutent mes albums studio et viennent ensuite vivre cette expérience en concert. Est-ce qu’il retrouveront dans un album live tout ce qui se passe dans un concert… ? Je ne pense pas…

BM : Tu es l’un des artistes fédérateurs et mobilisateurs de ce concert du 9 octobre organisé par Mayday Music en faveur des musiciens sinistrés de Louisiane. Est-ce que…
Juju :
Tu sais, ce qui est arrivé là-bas est dramatique pour les musiciens, qui ont tout perdu,…dont leurs instruments, c'est-à-dire non seulement l’objet qui leur permettait d’exprimer leur passion pour la musique, mais aussi ce qui leur permettait de jouer, de gagner leur vie et de faire vivre leur famille. C’est une catastrophe,…une vraie catastrophe, et j’ai immédiatement dit oui pour participer à ce concert car nous devons tous aider nos frères musiciens, et la meilleure manière de les aider est de pouvoir leur acheter de nouveaux instruments de musique. Voilà pourquoi je vais jouer avec de nombreux amis musiciens, dimanche 9 octobre : pour récolter le maximum d’argent pour aider tous les musiciens que nous pourront aider en leur achetant des instruments de musique. J’espère que tu seras avec nous, dimanche soir… !

BM : Compte sur nous, et sur Blues Magazine, pour vous soutenir dans cette action !
Juju :
Merci pour eux.

(*) Juju Child propose 5 titres de son album “Roots & Soul” à télécharger depuis son site web www.jujuchild.com 

 

Juju Child