ITW de Tyo Bazz


                                                  ITW de Tyo Bazz

Préparée et réalisée par Frankie Bluesy Pfeiffer
Réalisée le 21 mars 2010
Photos : © Tyo Bazz

Jean-Marc Sauret, aka Tyo Bazz, n’est pas seulement un musicien et un auteur-compositeur, c’est aussi, et peut être surtout, un poète, «…un poète authentique de la trempe de ces seigneurs de l’écriture aujourd'hui disparus. Avec philosophie, ce troubadour des temps modernes conjugue le verbe sans détour et nous touche au plus profond de nous-mêmes avec des titres comme ‘Ma petite femme fixe’, ‘Car ta mort m'a donné du sens’, ‘L’absence’ et ’La vie m'a pris bien des amis’.» (Alain Betton).

Tyo Bazz, c’est un One Man Blues Band qui s’est scotché l’étiquette Froggie et se qualifie de ‘One Man Froggie’s Blues Band’, histoire de souligner qu’il chante en français. C’est ce personnage, musicien, poète, artiste que nous avons rencontré pour vous et que nous vous invitons à découvrir, au travers de l’histoire de son opus, ‘Imparfait’, comme au travers de son histoire personnelle et de celle de tous ceux qu’il a côtoyés et dont certains traversent, à leur manière, cet album.

FP : Tyo Bazz, pourquoi et comment ce surnom?
TB : C'est une histoire simple, car j'ai toujours eu des surnoms. Tout petit, mes parents m'appelaient ‘Quinquin’ et il y a encore des amis qui m'appellent comme ça. Arrivé à Paris, mes copains me trouvaient un air de titi parisien et ils m'ont appelé comme ça, ‘Titi’. Il y a quelques années, une collègue de boulot, surprise par une intervention que je venais de faire, m’a lancé ‘Regarde-moi ce ‘tio bazar. L'air de rien, il envoie…!’. Ce qu’elle voulait dire par ce 'tio bazar, m'a-t-elle dit ensuite, c’est ‘ce gars qui a l'air de rien’: tio pour gamin et bazar pour un peu n'importe quoi. Ce surnom a fait sourire tout le monde et du coup il m’est resté. J'avais ensuite amené un de mes collègues dans une association que j'avais créée, à Issy-les-Moulineaux, le Crossroad, pour promouvoir la culture blues et la faire partager. Après un peu plus d'un an et demi d'existence, il m'est apparu intéressant de créer un groupe, un Little Big Band de Blues avec les quelques amateurs que je connaissais. Il n’y avait pas de bassiste et comme aucun guitariste n’avait envie de s’y coller, et que, de par ma fonction de président de l’assoce, il me revenait que le groupe marche, je m’y suis collé, mais il manquait aussi un batteur. J'ai alors amené un de mes collègues, qui a amené avec lui mon surnom. Il l'avait entre temps américanisé en ‘Tyo Bazz’ et ce surnom m’est resté.

FP : Le surnom, n’est-ce pas aussi un moyen de se protéger? Dans le sens où ce n’est pas ‘toi’ qui chante et qui est face au public, mais ‘un autre’, le personnage Tyo Bazz…
TB : Pour moi, pas tout à fait. Il se trouve que ce surnom m'est pratique car, entre ma vie professionnelle et ma vie passionnelle, je ne souhaitais pas mélanger les deux domaines. Dans mon milieu professionnel, les gens qui découvrent cette autre partie de moi s'étonnent d’ailleurs que je fasse du blues et non pas du jazz, dont l’approche est plus intellectuelle, selon eux. Mais pour revenir à ta question, oui, c'est bien moi qui chante devant les gens et je ne peux pas, ni ne veux me cacher, car sinon tu ne donnes pas le meilleur de toi même. Paradoxalement, je suis un ancien timide et cette timidité est toujours là, au font de moi. Pour être franc, parler aujourd'hui de moi ne m'est pas très agréable ni très facile. C’est un exercice qui n’est pas évident, mais que j’accepte tout comme j’accepte le regard du public sur le musicien que je suis. Ce que je fais, ce que je joue, oui, ça, ça vaut le coup qu'on le regarde, qu'on en parle, qu'on le partage. C'est selon moi ce qui est intéressant, pas l'artiste.

 

FP : Mais si le public vient à un concert c’est aussi pour te voir, pour connaître l’artiste…
TY : Oui, c’est vrai, et face au public, c'est bien moi qui m’engage et me mets au travail. Ceci dit, je ne fais pas des chansons pour être vu ou écouté mais pour ce que ‘sont’ ces chansons.

FP : Tu es multi-instrumentiste. Quelle est ta formation musicale?
La seule formation que j'ai eue est le chant choral en milieu scolaire. Nous faisions de la lecture musicale et du chant classique plusieurs fois par semaine. J'ai fait ça pendant quatre ans et c'est là toute ma formation. J'ai appris tous les instruments tout seul et je continue à bûcher seul mais la première chose que j'ai travaillée n'est pas la musique, mais l'écriture. A douze ans, j'étais féru de mythologie grecque et de poésie ancienne. J’écrivais également des nouvelles, que je lisais à ma mère. A quatorze ans, avec un de mes frères, nous avons décidé d'apprendre à jouer de la guitare. Il en emprunta deux à des copains, mais malheureusement j'apprenais plus vite que mon frère qui, plus âgé, ne tarda pas à m'interdire d'y toucher, me disant que je pourrais les abîmer. Fallait bien qu’il trouve une excuse pour m’interdire de jouer. Un de mes copains d'école avait une guitare impossible à jouer, du genre vieille poêle, avec les cordes très loin du manche et qui te coupaient les doigts. Le son était aigre et fortement métallique, genre guitare avec résonateur. Je m'enfermais dans un parloir durant toutes les récréations et même pendant les études, quand j'en trouvais l'occasion. En quelques jours, j’ai appris tous les accords de bouts de manche que j'avais recopiés sur une méthode de guitare dont j'ai oublié le nom… Après, je suis retourné voir mon frère et lui ai demandé l'autorisation d'utiliser une de ses deux guitares, lui demandant de rester avec moi pour qu'il puisse s'assurer que je ne l'abîmerai pas. J’ai pris la guitare et j’ai passé en revue tous les accords que j'avais appris, seul, dans mon coin, avec une rythmique approximative. Dans la foulée, j’ai commencé à chanter ‘J'ai une poupée qui fait non, non, non, non, non…’, le tube de l'époque, et mon frère est allé rendre les deux guitares à ses copains. Et c’est comme ça qu’il a arrêté la musique (rire).

Chez mes parents, il y avait aussi un piano, celui du grand-père. Toutes mes sœurs en jouaient et l’une d’elle, plaidant ma cause auprès de mon père, lui expliqua que c’était à moi qu’il devait faire prendre des cours mais il refusa, tout comme il refusa que je prenne des cours de violon au conservatoire municipal, estimant l’instrument trop ingrat à jouer. C’est lors d'un voyage en Espagne et sur l’insistance de l’un de mes frères que mon père m’acheta ma première guitare, une guitare flamenca. C’est sur cette guitare que j’ai composé mes premières chansons et c’est aussi en souvenir de cette guitare que j'ai, aujourd’hui, une ‘ovation country artist’.

FP : Qu’écoutais-tu, comme chanteurs?
FP : Je suis de cette génération qui écoutait les Rolling Stones mais chantait aussi Brassens. Ceci étant, mon modèle personnel était alors Bob Dylan. Je ne comprenais rien à ce qu'il chantait mais sa façon de faire me fascinait: une gratte, un harmo et en avant. Et puis il écrivait toutes ses chansons et ne chantait que les siennes. Ce truc là aussi me fascinait. Du coup, la posture qui devenait primordiale à mes yeux était celle d'auteur-compositeur-interprète. C’est comme cela que j’ai écrit mes premières chansons, à 14 ans.

FP : Tu te souviens de ces chansons?

TB : Oui, et d’autant mieux qu’en vidant la maison de ma mère après le décès de mes parents, j'ai retrouvé dans un carton mes carnets où je consignais ce chansons. Je les ai toujours avec moi.

FP : Et ensuite, après ce trip songwriter, à 14 ans, qu’as-tu fait?
TB : Ensuite, à quinze ans, avec deux copains, nous avons tenté notre première expérience de groupe rock. J'avais ma fameuse guitare espagnole, un autre avait une batterie et le troisième avait un accordéon. Mais nous avons abandonné après quelques répétitions. L’accordéoniste, René, s'est mis alors à la basse, et moi, j'ai tanné mon père pour avoir une gratte électrique mais rien n'y fit et les copains on continué de leur côté. Moi, je suis retourné à mon style Bob Dylan de quartier avec gratte sèche, écumant les radios crochets locaux. Quelques temps plus tard, je me suis payé une basse demi caisse type 335 avec deux hambuckers et je jouais sur le vieux poste à lampes de mon grand père. Je me suis aussi acheté un saxo Dolnet d'occasion et je suis monté à Paris créer une troupe de théâtre avec un copain.

FP : Tu avais quel âge?
TB : J'avais vingt deux ans et un passé d'ouvrier agricole. Quelque mois après que la troupe de théâtre soit partie en jus de boudin, j'ai fait un court passage à l'école d'Alan Sylva. Il s'agissait de développer des impros collectives avec juste un schéma musical comme trame. Je jouais essentiellement à l'oreille.

FP : Et le chant, c’est venu, ou revenu comment?
TB : J'avais arrêté de chanter en arrivant à Paris, où ce n'est pas la culture, car chez mes parents comme dans le quartier, on chantait toujours, à deux, à trois, à quatre voix. J'ai donc du réapprendre à chanter il y a quelques années. J'avais perdu l'habitude… Par contre, la chance que j’ai eue, quand j'avais seize ans, c’est d’avoir rencontré Hugues Panassié, qui s'était installé à Montauban et dont la secrétaire était la sœur d'une copine. Je suis allé passer tous mes jeudis soirs chez lui. Il m'a fait découvrir tous ces vieux bluesmen dont j'ignorais tout: Skip James, Jimmy Reed, Big Bill Bronzie,… Avec son fils, il avait fait venir John Lee Hooker qui, seul avec sa gratte, sur la longue scène du cinéma ‘Le Paris’, tapait du pied sur une planche en guise de batterie. Je peux te dire que ce moment là a laissé des traces dans la culture musicale montalbanaise.

 

FP : Quand et comment as-tu appris à jouer des autres instruments?

TB : Le piano, j'ai commencé par le tabasser à l'âge de cinq ou six ans, comme ça, pour me raconter des histoires. J'ai le souvenir d'y avoir passé des heures…(rires). J'ai commencé la guitare à quatorze ans et la basse vers vingt ans, puis le saxo vers vingt deux.

FP : Tu as commencé par jouer où, à Paris?

TB : J'ai joué en cabaret en arrivant à Paris. J'avais un sax ténor, un soprano, une flûte traversière et j'accompagnais, dans un groupe de 5 musiciens, un chanteur du nom de Daniel Clark. Je traînais aussi avec des musiciens d'afro-jazz, qui m'ont beaucoup appris. C'est une période où je me suis mis à bûcher comme un fou l'harmonie jazz, notamment. Bref, une chose qui ne me sert à rien du tout maintenant. Mais ce que j'ai appris, avec ces musicos afros, c’est l'art de jouer ensemble ce que l'on a dans la tête à partir de ce que l'on entend autour de soi. Je retrouvais avec eux cette culture polyphonique de mon enfance, ce chant à plusieurs voix, et ça m'allait bien, car pour moi, le seul juge de paix reste l’oreille.

FP : Et les percus, c’est venu comment?

TB : Je jouais des percussions comme lorsque tu tapes sur tes cuisses ou du pied en écoutant un concert. Pendant quelques années, avec Pierrot, un copain, nous avons écumé les clubs de jazz parisiens et de la banlieue sud pour le plaisir des impros qui s'y montaient. Il m'est arrivé de prendre un bongo ou d’autre percus et d’y aller. Et ça va peut être t’étonner, mais je ne me suis jamais fait jeter (rires).


FP : Et après cette période impros en clubs?

TB : Hé bien j'ai laissé tomber la musique,…de 87 à 99. Après pléthore de petits groupes de rock qui atterrissaient inéluctablement dans le bac à sable, et moi-même pris par d'autres centres d'intérêt comme la boxe et des études en sciences humaines, j'ais mis la pratique musicale sous le boisseau. Je continuais à écrire, mais des articles et des bouquins sur la socio ou le management des organisations. Du Bob Dylan d’un autre genre, si on peut dire. Et puis, de manière lancinante, l'envie de rejouer s’est mise à me titiller. C'est alors qu'un copain, Délenco, est ressorti du passé. Il m’a contacté en me demandant si cela me branchait de remonter quelque chose. C’est comme cela que nous sommes repartis à jouer ensemble du blues des rues. Je me suis remis à la basse et c'est revenu. Mais l'envie de passer à la guitare était trop forte et j'ai du tout ré-inventer.

FP : Cela signifie bosser et bosser encore. Comment vis-tu cela?
TB : Très bien, car je me suis également bien organisé. Depuis des années maintenant, je me lève tôt et je bûche une heure avant d'aller bosser. Quand je rentre, si le temps me le permet, je me fais un mini concert de mes chansons. C’est vrai qu’il y a des périodes où je n'ai pas trop le temps mais dès que je peux, je remets ça.

FP : Tu bosses la nuit, le matin, le week-end. Tu as un rapport conflictuel avec le temps, non?

TB : J’ai un rapport d’urgence au temps, la perpétuelle impression que je n’aurai pas le temps de finir, ce que Dominique Boulay, de Blues Magazine, a pigé tout de suite à l’écoute du CD. Là, il m’a scotché.

FP : Et ce concept de One man Froggie’s Blues Band, c’est pourquoi?

TB : J'ai développé ce concept de One Man Blues Band que j'appelle One Man Froggie's Blues Band à cause de mon immanquable chant en français, quoi que j'ai une chanson avec un refrain en anglais, clin d'œil à un de mes frères qui vit aux States. Et pour que ce concept soit total, je me suis mis à l'harmonica. Comme d'hab', j'ai acheté une boite d'harmos à bon prix sur le net et en fouillant sur la toile, j'ai rapidement trouvé tout ce dont j'avais besoin pour jouer. Ensuite, il y a les instruments que j'ai construits, comme cette sorte de Cajon pour les pieds, que j'appelle TyoBassBoard. Y’en a eu plusieurs versions. L'avancée s’est faite à tâtons, au fils des mois. Puis j’ai conçu ce pédalier pour basse électrique, que j'appelle TyoBazzBass, et pour lequel tout est allé plus vite car, en automne, victime d'un accident de moto, j'ai eu tout mon temps pour chercher, réfléchir et couper du bois.

FP : Une manière de revenir à ce que tu faisais étant jeune, à la manière de Dylan. Mais, ado, pourquoi et comment n’as-tu pas été happé par le rock?

TB : Ado, je connaissais pratiquement tous les musiciens de Montauban dont l’activité principale était de faire des baloches. C’était l’esprit blues-rock qui prévalait, avec ses bœufs, ses impros qui n’en finissaient pas. On se retrouvait à plusieurs dans une ferme et on passait du temps à jouer ou à regarder les autres répéter. On s’échangeait des plans alors que d’autres se cachaient pour pas que les copains ne leur piquent leurs plans. Moi, très souvent, dès que j’avais une gratte dans les mains, je chantais du Brassens. Copier de l'anglo-saxon me paraissait idiot, à l’époque. Et puis je ne me souviens pas avoir joué grand chose de quelqu'un d'autre. Sorti de ‘Love In Vain’, ‘Crossroad’, ‘Little Wing’ ou ‘Knockin' on Heaven's Door’, je n'ai jamais joué grand chose de quelqu'un d'autre. J’aimais faire mes propres trucs. Pour moi, Bob Dylan était une sorte de chemin.


FP : Pourquoi le blues, alors?

TB : Parce que c’est quelque chose du retour à l'essentiel… Dans le blues, j’aime plusieurs aspects: tout d’abord le côté improvisation en fonction du moment, de ce qui se passe là. C’est la première chose qui m’attire dans cette démarche. Du coup, j’ai adopté l’aspect facilitant des structures simples. Ensuite, si j’affectionne particulièrement jouer avec des sons clairs, j’aime tout autant les harmonies distordues comme jouer mineur sur majeur, utiliser les accords de septième de dominante. J’aime aller plus loin et j’aime bien les dissonances. A l’inverse du hard rock qui joue avec un son plus que ‘sale’ des harmonies justes, j’aime jouer des sons clairs et jouer d’harmonies torturées. Le blues l’introduit et quand j’écoute Sun House avec son harmonie parfois ‘injuste’, je trouve qu’il saisit là un moyen opportun pour introduire plus d’émotion, plus de sensibilité. Pour moi, l’harmonie trop juste ne reflète pas la complexité de la vie. Et puis il y a ce battement ternaire qui n’est pas propre au blues mais qui lui colle à la peau. Ce balancement m’occupe totalement. Bob Brozmann disait un jour que les musiques binaires étaient l’expression de peuples conquérants ou guerriers alors que les musiques ternaires seraient davantage l’apanage des cultures paisibles ou pacifiques. Il est musicologue et il a certainement de bonnes raisons de le dire. Et moi, cela me va très bien.

FP : Une musique qui colle donc bien à la manière dont tu ressens la réalité, imparfaite, pour reprendre le titre de ton album?

TB : Oui, car il y a dans le blues cette imperfection qui renvoie à la réalité humaine. La vie est imparfaite, le monde est imparfait et la perfection est comme l’horizon: plus j’avance et plus elle recule. Par contre, sans horizon, le progrès, l’évolution ne nous sont pas permis. On a besoin de ce point de mire pour avancer, pour ‘avoir quelque part où aller’, mais tout en sachant que l’atteinte est illusoire. Cela nous renvoie à cette pensée orientale qui souligne que la sagesse est dans le chemin, pas dans la fin. Pour moi, le blues offre tout cela: du pratique en terme de structure et d’harmonie, de l’ouverture vers l’improvisation, la rencontre immédiate, la co-création dans l’instant et cet imparfait qui nous habite. Et puis revenons au basic du blues: c’est le mode d’expression des bleus de l’âme tout en offrant les moyens d’une catharsis. Le blues n’est ni gai, ni joyeux, ni badin. Il est par essence profond dans les bleus de l’âme. On peut alors le trouver triste ou moqueur, mais jamais léger. C’est de cette part de légèreté adolescente, de cette insouciance infantile que s’est emparé le Rock, musique binaire par ailleurs. Même si je sais que tu as joué du rock, Frankie, je dois te dire que le Rock m’apparaît comme une agitation et le blues comme une sensation. Mais ce n’est là que mon approche à moi, et tu ne la partages sans doute pas…, et si tu me le permets, je vais aller plus loin encore.

FP : Permission accordée, car tu es bien l’un des premiers musiciens français que je connaisse à dévoiler autant son analyse…

TB : Ce que je veux rajouter, vois-tu, c’est qu’il y a une spécificité du blues, et qui a fait l'objet du premier article sur mon blog: le blues vit un instant tandis que la variété reproduit un morceau, ou l'exécute. Dans les deux sens du terme ‘exécuter’, peut être même. Dans le blues, les morceaux sont des prétextes à la création de l'instant, à la réalisation d'un moment magique, voire d'un partage et au moins d'un don d'émotion. D’ailleurs, pourquoi ne pas alors tout improviser sur le moment, paroles et musique sur une grille convenue? C’est d’ailleurs ce que j’aime faire, aussi. Il m’arrive d’improviser un texte sur le moment, le faisant rimer, tentant de respecter le nombre de pieds, même de manière un peu bancale. Ce sont alors des choses humoristiques qui me viennent, des histoires incongrues, et on rit bien.


FP : Et pour t’accompagner sur ces impros, quelle guitare choisis-tu? D’ailleurs sur quelles guitares joues-tu?

TB : Je n'ai pas de guitare spécifique et le choix de l'une ou de l'autre n'est jamais définitif. J'en ai eu plus, mais aujourd'hui j'ai neufs grattes dont deux basses plus un violon, celui de mon père, quelques harmonicas, quelques modestes percussions, un dulcimer pour jouer du blues aux doigts, donc monté à l'envers, et que j'avais fabriqué à dix huit ans. Je dois dire que j'attrape la gratte qui me fait envie sur le moment et j’ai alors la tendance de tout faire avec la même. Pour répondre à ta question, j'ai une ‘ovation country artist’ avec des cordes nylon, une guitare que j'ai depuis une trentaine d'années et dont je me sers peu. Pourtant j'adore le son de cette gratte. J'ai aussi une Ibanez Blazer, une copie de Strato avec des doubles bobinages en forme de simples et dont les phases sont inversables, avec un son d'enfer, puissant et en bulle comme un son de simples. J'ai aussi  une Ibanez F100 qui est sur le dessin de la pochette du CD. J'aime beaucoup cette gratte jazz et je ne saurais pas trop dire pourquoi. Il y a des jours où le son de ses notes fluctuantes m'agace et d'autres où ça me plait bien. J'ai une Strato mexicaine que Délenco m'avait ramené des US et sur laquelle j’ai mis des micros simples seymour duncan 70. Le son est vraiment très en bulle, très blues clair, style Double Trouble dans ‘Just One Night’ de Clapton ou ‘Little Wing’ de SRV. J'ai une Telecaster sans marque, achetée 84 euro sur le net, une ‘planche’ que j’avais acquise pour la bricoler et puis finalement j'ai gardé son électronique archaïque qui sonne très bien et je l'ai re-luthée en l'attaquant à la scie, la râpe et la lime pour la rendre plus jouable. C'est avec elle que j'ai fait pratiquement tout le CD. C'est elle que j'ai en main sur la photo au dos du CD. Cette gratte est une ‘chance’, si je peux le dire ainsi. J'ai ensuite une douze cordes Crafter que j'ai rachetée à Alexandra Cherrington lors de mes enregistrements du CD avec Tony Ballester, chez eux. Branchée, c'est une cathédrale. J'ai ensuite mon actuelle préférée, une Lag Parlor. Cette guitare est envoûtante. C'est vraiment le type d'acoustique que j'adore avec un son très médium, fabuleux pour mon jeu à deux doigts et à deux ou trois notes maximum à la fois. La difficulté c'est de la jouer sans prendre aucun appui de manière à bien laisser sonner la table et les autres cordes en harmoniques. Le son est alors plein. Je suis entrain de bûcher du finger picking pour élargir un peu mon jeu dans certains passages que je trouve un peu pauvres en volume. Et cette gratte est parfaite pour ça. Ceci dit, j'adore le son clair du micro manche des Telecasters. Ce son clair me convient parfaitement. Ensuite, c'est le son acoustique ou électro-acoustique qui me dirige. J'adore ce que font par exemple Malcolm Holcombe ou Steve White en la matière.

FP : Côté ‘son’, t’es aussi déterminé que pour tes grattes?

TB : A vrai dire, je n'ai pas de choix de sons absolument déterminés. Je suis comme en errance à travers le son, à la recherche de celui qui va m'aller, celui que j'ai dans la tête à un moment précis et qui doit remplir le morceau que je joue. Alors, un jour j’attrape l’Ibanez F100, un autre jour c’est la Parlor, un autre encore, je reviens à la Telecaster. Des fois, j’entends davantage ce que je veux jouer que ce que je joue. Je me piège tout seul, en fait. Tu vois, il y a les sons que j’aime entendre et ceux que j’aime utiliser. Autant un son crunch me plait bien quand j’écoute les bluesmen, autant je n’aime pas l’utiliser car je me sens bien dans la ‘clarté’. Du coup, il y a plein de place pour les distorsions harmoniques et j’aime bien ça.

FP : Et côté guitares basses, tu joues de quoi?

TB : Pour mes basses, j’ai une Guild B302, un engin lourd à souhait avec deux micros type P90. Elle a un son blues d’enfer et je l’utilise en TyoBazzBass. J’ai aussi une Cort Artisan fretless. J’adore ce son fretless avec ses notes en bulle. Ca permet de jouer ‘ténor’ avec un son bien distinct des grattes, et qui ne se mélange pas.

FP : Pourquoi écrire et chanter en français?

TB : Parce que je serais incapable de produire un texte aussi travaillé en anglais. Je ne sais pas jouer aussi bien sur les sons et le sens des mots en langue anglaise. J'ai vraiment besoin d'aller au fond de mes textes, de leur faire créer une certaine ambiance. D'ailleurs, je ne me suis jamais posé la question d'écrire autrement qu'en français.

FP : OK, mais ta démarche commerciale, dans tout ça?

TB : Cela va te surprendre, mais je n'ai pas de démarche consumériste ou commerciale. La musique, le blues est pour moi un outil humaniste de lien social. Jouer ouvre le dialogue avec l'autre au delà de la langue. Je ne connais pas d'autres modes de partage qui offrent autant d'opportunités.

FP : Pour établir ce lien social, comment écris-tu tes chansons? Quel est ton processus de composition? Où puises-tu ton inspiration?

TB : J'ai écrit une chanson la dessus. J'y fais référence à ce que Rimbaud disait : ‘Parce que je est un autre’. Cette sensation que la musique, les mots, l'art te traversent, que ce n'est pas toi qui l’écris vraiment, que tu t'écoutes et te regardes créer. Clapton disait: ‘Le musicien est traversé par la musique. Le musicien est un passeur’. Je suis dans cette sensation là. Cela me vient et je le travaille.


FP : Cela signifie que tu commences par la musique ou par les paroles?

TB : Techniquement, je ne peux pas dire que je commence par le texte ou la musique. Chaque chanson a son histoire, sa raison d'être et sa généalogie. Parfois ce sont des bouts de textes qui m’arrivent et je me mets à les chanter, comme ça, comme le texte me l'inspire. Et dans ces cas, c'est souvent la musique définitive que je joue, ou à peu de choses près. Seulement voilà, je retravaille énormément mes textes. Je suis dans l'incapacité de les livrer brut tant que leur équilibre ne me va pas totalement.


FP : Il y a, comme cela, des chansons qui te prennent un temps dingue pour les finaliser?

TB : Souvent, plusieurs années après, je refais entièrement une chanson. C'est le cas de ‘Paul et Adrien’ dont j'ai écrit et composé la première version quand j'étais ouvrier agricole. Je l'ai ensuite entièrement refaite il y a quelques années et tu la trouves maintenant sur mon CD. Il m'arrive aussi qu'en chantant l'une d'elles, je change un mot, une expression. Et côté musique, le chant évolue également avec le temps. Je ne chante jamais vraiment mes chansons de la même manière. Cela bouge en permanence.

FP : Mais où puises-tu ton inspiration?

TB : Tout simplement. Je croise une personne dans la rue et cela me rappelle quelque chose ou quelqu'un, puis un mot ou une expression me vient. Si elle me plait, c'est parti. Parfois, je note ça sur un post-it, un bout de journal, au dos d’un ticket de carte bleue et arrivé chez moi, je couche ça sur papier.

FP : Sur papier? T’es allergique à l’ordi?

TB : Non, mais il faut lire sur papier et non pas à l’écran, pour bien faire. Un éditeur me disait un jour que les corrections à l’écran nous échappent, qu’on ne voit bien les erreurs que sur papier. Je me suis aperçu que le bougre avait bien raison. Depuis, j’imprime tout avant de retravailler.

FP : Et tu retravailles beaucoup?

TB : Il m’arrive, bien sûr, d’écrire d’un trait tout le texte d’une chanson et d'autres fois, j’y reviens dessus plusieurs mois après. Parfois c’est la musique qui me prend la tête et je cherche alors des mots. Mais généralement, cela ne donne rien. Quelqu’un me disait qu’il choisissait d’abord les rimes et qu’il rédigeait entre, ensuite. Au vu de ce qu’il écrit, je pense sincèrement que c’est une erreur, car chez lui la forme l’emporte sur le fond. D’ailleurs, trop souvent, lorsqu’un texte est très équilibré, il ne dit plus rien. Il est vide de sens ou plein de contresens. Gainsbourg et Bobby Lapointe étaient des peintres du mot. La difficulté est de faire ça au service du sens et les bougres y arrivaient très bien. Sans le sens, la chanson n’en a pas. Pour revenir à ta question: dans le CD, il n'y a que des histoires vraies, comme ‘Car ta mort m'a donné du sens’, chanson sur la mort de mon frère qui s'est envolé avec son delta plane et qui n'est pas tout à fait arrivé comme il l'avait prévu. J'ai mis dix ans à l'écrire. Je pensais à cet arrachement que sa mort m'avait produite et je me disais aussi que sa mort ne m'appartenait pas, qu'elle appartenait à tous ceux et toutes celles qui en avait souffert, sa femme, ses filles, mes six autres frères et sœurs,… Je voulais l’écrire, mais sans pouvoir le faire. Et puis, à force de digérer trop lentement l'événement, s'est imposée à moi cette phrase à triple sens, ‘Car ta mort m'a donné du sens’ et j'ai écrit le texte en quelques jours, autour des trois sens du mot ‘sens’: la sensation insupportable, le sens de sa mort qui m'échappait et vers où tout ça pouvait bien le mener, nous mener. Pour la musique, le chant s'est imposé de lui-même, mais pour l'accompagnement, j'ai tricoté pendant un bon moment. Je voulais absolument rendre cette sensation de grand vent tranquille, de tourbillon fort et paisible, alors j'ai laissé venir jusqu'à ce que je m'en contente. Mais plus le temps passe et plus je la joue dans ‘le grand vent paisible’.


FP : Ne penses-tu pas que tu es trop focalisé sur les paroles, au détriment de la musique?

TB : Je n'en sais rien, car pour moi les deux marchent ensemble. Pour moi, une chanson est un tout. Des fois, je me laisse emporter par la musique et il faut que le texte suive, et c'est une gymnastique pas simple qui s'engage. Quand je joue, c'est la musique qui occupe toute mon attention. C'est l'instant qui se crée, là. Le texte, lui, il est fini, ficelé. Pas l'instant de la chanson! Cet instant, c'est la raison d'être de jouer. Tout est à faire et y être dedans à fond est une exigence. C'est pour cela que je garde toujours un œil sur le texte posé devant moi.

FP : Si tout ce CD ne contient que des histoires vraies, n’as-tu pas la sensation, ou la peur, de trop te dévoiler au travers de tes chansons?

TB : Je ne donne jamais que ce que je veux bien donner à voir. N’oublie pas que je suis un ancien timide. Même dans ces chansons intimes, il y a des choses dont je ne parle pas. Dans ‘Alzheimer’, qui raconte la fin de vie d'un ami et cousin, je ne dis, de sa situation, que ce dont je me sens en droit de parler. Il y a bien des champs dans cette maladie qu'il serait impudique de dévoiler et dont je ne suis pas légitime pour l’aborder. Comment parler du rapport identitaire de son épouse? Comment elle s'en arrange? Ce que ça déconstruit et ouvre comme nouveaux espaces de sa vie personnelle? Cela ne m'appartient pas et donc je n'en dévoile pas trop, juste ce que je m'autorise à en dire. Mais en fait, vois-tu, je ne donne que des choses bien ordinaires, des temps de vie que d'autres aussi ont vécu et qu'ils retrouvent d'une certaine manière au travers de mes chansons. La chose, parait-il, la plus importante dans un groupe de travail ou de réflexion, c'est que les gens se rendent compte qu'ils ne sont pas les seuls à connaître telle ou telle problématique, telle ou telle situation. Cette sensation de partage les rend plus forts dans leur métier, dans leur vie. Dans le blues ou la poésie, c'est un peut pareil. Les gens retrouvent là une tranche de leur vie et c'est cela qui les intéresse et capte leur attention. Ce n'est plus ce que tu chantes qu'ils entendent mais ce que cela leur rappelle, ce qu'ils ont vécu. Ils le revivent avec toi et ils sont moins seuls, et toi aussi.

FP : N’est-ce pas une sorte de thérapie personnelle ?

TB : Oui, peut être, mais il y a la question de savoir pourquoi j’écris tout ça. Je ne sais pas bien répondre à ça. Ce n'est certes pas une psychanalyse, car ce n'est pas du même ordre. Et puis rien ne s'analyse dans une production comme ça, ce n'est que du dépôt. Lacan disait que les choses n'existent et ne bougent que quand on en parle. parler permet d'en faire quelque chose et si, de toutes ces choses, j'en fais quelque chose, le statut de ces choses là change. La mort de mon frère devient une réflexion sur mon sens de la vie, l'histoire de l'Alzheimer de Claude devient une compassion, une main pudique tendue à tous ceux qui en pâtissent. Surtout vers ceux qui en sont atteint, leur dire qu'on les aime encore, toujours. Le blues a cette fonction sociale cathartique d'exhumer la douleur pour qu’elle sèche au soleil, se dégrade sous la pluie, s’efface sous la vie. Je crois que tout l'art est pris aussi en partie dans ce type de processus. Il y a un peintre qui refusait de faire une psychanalyse par peur de perdre son art. C'est cela le diable du blues, ce mal qui te ronge et dont tu fais une œuvre. Tous ceux qui souffrent vont au carrefour, mais tous ne trouvent pas le blues…


FP : Au lieu d’être classifié ‘blues’, ne serais-tu pas mieux sous l’étiquette ‘chanson française’, à la manière d’un Léo Ferré, d’un Brassens ou d’un Jean Ferrat?

TB : Oui, pourquoi pas, mais cette classification ne m'appartient pas. Ce sont les gens qui te disent ce que tu fais, parce que c'est par là qu'ils vont t'entendre. Les références à Ferré et Brassens ne peuvent que me toucher agréablement. A une époque, je disais que je faisais du ‘Franco-Blues’ et Marino, un copain qui travaille dans la culture et l'événementiel, m'a dit un jour: ‘Fais ce que tu as à faire et laisse les gens te dire ce que c'est!’. Je crois qu'il a raison.

FP : Quels sont tes chanteurs français préférés?

TB : Indéniablement, ce sont Brassens, Ferré, Gainsbourg, Aznavour, Pierre Perret dans ses chansons tendres, Henri Salvador ou encore Georges Moustaki. Et que dire de Barbara et Gréco…? Mais il y a aussi des gens comme Graeme Allwright, et un gars comme Frédérik Mey, connu sous le nom de Reinhard Mey en Allemagne. Gamin, j’adorais Hugues Aufray, parce qu’il a rendu Dylan accessible au petit franchouillard que j’étais. Regarde, un gars comme Nino Ferrer a écrit ‘Le sud’ et ‘La maison prés de la fontaine’, qui sont des trucs admirables. Regarde ce que faisait Claude Nougaro et ce que fait William Sheller. En fait, pour répondre à ta question, je ne peux pas vraiment dire que j’ai des chanteurs préférés, mais plutôt des œuvres, des courants.

FP : Comment définirais-tu alors ce qui t’occupes?

TB : Le mariage du blues et de la chanson française est vraiment ce qui m’occupe. C’est un mariage d’émotions que j’ai du mal à retrouver ailleurs. D’excellents musicos me paraissent négliger leurs textes, s’accommoder d’un minima, comme si la culture blues pouvait se suffire de ça. Moi, je n’ai malheureusement pas le talent d’instrumentiste de nombre d’entre eux, alors peut être faudrait-il qu’on partage…?

FP : Imparfait est constitué de chansons aux histoires vraies et il est très mélancolique, pour ne pas dire triste, même. C’est ton état d’âme actuel que tu traduis?

TB : Malheureusement, oui. En quelques années j’ai perdu une dizaine d’amis très proches à cause d’accidents, de suicide ou de crabes. On n’y peut rien, je le sais, mais il fallait peut être que j’exorcise tout ça. J’ai plein d’autres chansons que j’aurais pu mettre dans l’album. J’ai de quoi faire encore trois CD d’affilée, mais j’ai choisi les chansons pour celui-ci à la volée, au moment de les enregistrer. Ceci étant, j’ai déjà en tête la liste de treize chansons qui pourraient faire l’objet d’un album ‘live’. Ce sont treize chansons d’amour et de tendresse. L’amour, l’amitié, la tendresse, c’est ça qui sauve de tout ce qui ne va pas.

FP : Mais la tristesse, est-ce que ce n’est pas parce que le blues doit être chanté ainsi?

TB : Non, je ne pense pas. Il me semble plutôt que le blues ouvre les possibilités d'une émotion partagée, libérée, cathartique. C'est plus le blues qui t'y amène que la tentation de se conformer à un moule, à un modèle. Faire ça, d'ailleurs, ne m'intéresse pas, m'agace même.
Comme tous les rebelles, j'aurais plutôt tendance à faire péter les carcans. Ce qui compte, c'est de faire, de donner, de vivre, de créer, pas de ressembler!

FP : Pourquoi ce titre, ‘Imparfait’?

TB : D'abord parce que j'ai conscience des limites de mon art et que je tenais d'abord à m'excuser. Ensuite parce que ce monde sur lequel je jette mon regard est totalement imparfait. C'est de lui que je parle. Et puis il y a aussi que ce temps là est le plus approprié à l'exercice. Lorsque l’on parle de ce qui est passé, fini, regardé et digéré, on ne peut en parler qu'à l'imparfait. C'est bien le temps qui correspond à l'exercice. Et puis, je me répète, l'imperfection c'est l'humanité profonde. Et heureusement que les choses sont ainsi. La perfection, ce point attractif à l'horizon, serait en réalité insupportable!


FP : Comment sera le prochain CD? Y’en aura-t-il un ? Sera-t-il plus enjoué, plus enthousiaste?

TB : Pour la suite, j'ai trois thèmes qui m'occupent et que je souhaiterais jouer en live, en prise unique, à chaud. Le premier thème serait l'amour et j'ai quelques chansons là dessus, des chansons très tendres. Le second thème pourrait être la réflexion politique et j'ai déjà quelques textes sarcastiques et critiques sur ce thème. J’ai d’ailleurs eu quelques engagements politiques et syndicaux dans le passé et sincèrement, je suis convaincu que les chansons de Jean Ferrat ont fait davantage pour le socialisme que bien des discours d’hommes politiques. Selon moi, les chansons ont une vraie puissance dans l’évolution des consciences et des idées. Le troisième thème est une approche plus philosophique sur l'art, la création, le réel, le temps, le multiculturel ou le lien social. Et là aussi, il y a beaucoup à dire et j'ai déjà quelques chansons là dessus.

FP : Penses-tu y convier ou inviter d’autres musiciens?

TB : Il y a en France quelques pointures que j'ai, comme toi, croisées de près, et partager un bout de route avec eux serait une belle aventure. Je pense à Migel M, à Fred Chapellier, deux mecs supers gentils qui sont venu au Crossroad, les fabuleux et adorables Dom Bruno et Pat' Sib', de Coup D'Blues, qui sont un peu mes parrains dans mon nouveau départ musical, mais je pense aussi à Greg Zlap, à Lionel Riss et bien d'autres, comme les musicos toulousains d'Awek, à Peter Nathanson avec qui j'avais échangé quelques mots au sortir d'un de ses concerts, à Auvers sur Oise. Un gars vraiment charmant, à la voix chaude et au jeu d'une grande fluidité et d'une belle inventivité. Y’a aussi Mauro Serri, Tony Ballester et sa compagne Alexandra Cherrington,… Après, il y a une flopée de ricains et de canadiens avec qui je croiserais bien le manche, mais je pense que ce sera d’abord une aventure humaine, pas le rassemblement de pointures pour réaliser une galette. Il faut laisser le temps au temps. C’est la relation humaine qui fait l’œuvre. Je suis d’une culture rugbystique où c’est l’équipe qui fait le résultat, chacun étant au service des autres.

FP : Mais t’es seul…

TB : Oui, c’est vrai, et c’est pour cela que j’ai aussi un truc qui me trotte dans la tête: monter un festival, une académie des One Man Blues Band. Quelque chose dans l'esprit de la démarche de Dave Harris à Victoria, sur l'île de Vancouver. Tu vois, je suis un One Man Band et je rêve de travailler en équipe…


FP : Pourquoi n’y a-t-il pas de batterie ou de percussions sur ton album?

TB : C’est une option prise avec Tony, un choix de couleur pour ce CD. Dans ma tête, les percussions sont omniprésentes. Je tape toujours du pied quand je joue et j'ai développé un jeu de percussions sur le mode des claquettes, avec talons-pointes. Je joue comme ça de ma TyoBazzBoard, mon ‘Feetcajon’.

FP : Faire un album tout seul, comme cet ‘Imparfait’, n’est-ce pas un problème d’ego un peu surdimensionné?

TB : Non, c'est une raison pratique: il faut parfois faire le choix de faire seul, pour que ce soit fait. Beaucoup de One Man Band le sont devenus par dépit, pas par vocation, te disant ‘à force de voir les groupes se défaire’. Survivre, dans la musique, passe des fois par là. Pour aller au bout de ton action, tu as besoin de faire des rencontres mais aussi de faire par toi même. Après, c'est la vie qui fait le dosage.

FP : Tu ne serais pas plutôt du genre loup solitaire?

TB : Non, je ne suis pas un loup solitaire. J’ai passé une grande partie de ma vie à créer et animer des associations comme le Crossroad, à Issy-les-Moulineaux. C’était la troisième association que je créais et la quatrième que j’animais et présidais dans cette ville. Je suis plutôt vu comme un dynamiseur, un animateur. Quand je m’occupe de ça, ce n’est pas moi que je sers, mais le projet. Ma préoccupation est de donner à chacun une place où il puisse se révéler, prendre du plaisir. Ce n’est pas évident que les gens te le rendent et j’ai même essuyé des revers pas très sympas, mais les gens sont libres de faire ce qu’ils ont besoin ou envie de faire.

FP : Mais tu gardes toujours cette tendance à faire confiance, d’entrée, aux gens…?
TB : Oui, car de par ma posture professionnelle j’ai plutôt une tendance à l’anglo-saxonne à faire confiance à priori: l’autre est ce qu’il se déclare, il est bon à priori et digne de confiance. Et puis, il y a aussi ce que j’aime bien faire, bricoler, toucher de près, réaliser. Quand j’étais gamin, nous avions très peu de jouets car mes parents n’avaient pas trop de sous et nous étions une douzaine à vivre sur le salaire de mon père. Donc, rapidement, un peu dans la tradition des anciens, nous fabriquions ce dont nous avions besoin, ou envie. Mon père fabriquait ses outils pour le jardin net nous, les enfants, nous fabriquions les jouets dont nous rêvions, des cabanes, des chariots, des pistolets, des arcs et des flèches, des costumes, tout. J’ai toujours gardé l’habitude et le plaisir de faire de mes mains. Et puis, sur cet album, il y avait l’intention de concrétiser la démarche d’un One Man Blues Band. Donc, à priori, j’arrivais pour enregistrer tout seul, mais dans la pratique, ça s’est avéré un petit peu différent.

FP : Comment s’est passé l’enregistrement, puis la sortie de cet album?
TB : Petit retour en arrière, tout d’abord, pour que tu comprennes ce qui m’a poussé à enregistrer un album. Délenco, dont je t’ai déjà parlé, était un ami commun à Tony Ballester et moi. Nous sommes tous les trois de Montauban et Délenco, qui était de mon quartier, avait monté son premier groupe de rock avec Tony. On a ensuite suivi des parcours différents pour finalement se retrouver à Paris. Délenco a enregistré des tonnes de chansons chez Tony, tout seul à la gratte, et il m’arrivait souvent de jouer avec lui. Et puis, un jour, j'ai appris en l’appelant à son boulot, qu'il était mort trois jours auparavant, dans l'incendie de son immeuble. Le choc. Tony et moi avons alors commencé à nous revoir plus assidûment. L'idée d'enregistrer qui m'avait titillé est revenue du coup avec force, histoire de laisser une trace avant que de… J'ai demandé à Tony s'il voudrait bien m'enregistrer, on a posé les termes de notre contrat et nous avons commencé. Le premier week-end, je suis arrivé chez lui avec tous mes instruments, basse, guitare, harmo et la TyoBassBoard, la première version, celle sans caisse de résonance. Je voulais tout enregistrer d'un trait. Tony m'a proposé d'essayer et j’ai commencé par ‘La vie m’a pris bien des amis’, mais le résultat n'étant pas satisfaisant. Tony m'a alors proposé de tenter un enregistrement instrument par instrument. On a donc recommencé mais cela ne me convenait toujours pas et je suis reparti pour bosser encore, avant de revenir enregistrer.

FP : Et combien de temps plus tard es-tu revenu en studio, alors?

TB : On a laissé passer trois bons mois et je suis revenu en studio avec d'autres dispositions. Mais là où je me pensais plutôt limité, ça allait assez bien, et inversement. Alors on a décidé de laisser passer trois mois encore pendant lesquels j'ai bossé plusieurs heures par jour sur mes chansons. Progressivement, les choses se sont améliorées, et puis Alexandra, chanteuse et compagne de Tony, est venue aussi me glisser quelques conseils sur le chant, notamment, et finalement cela a été un vrai travail à trois. J'ai donc pris huit mois pour enregistrer les douze morceaux, et quand ils ont tous été enregistrés, nous avons travaillé les sons de chaque gratte, chaque harmo. Pour la pochette, j'avais fait une maquette très proche de ce qu'est la couv du CD mais la personne à qui j’avais adressé mon projet s'est vexée de ce que je lui demandais de faire et du coup, c’est mon fils, dont c'est le métier, qui a réalisé la couv du livret.

FP : Quelles ont été les réactions du public, mais aussi des spécialistes et de la presse blues en France à cet album?
TB : J'ai eu quelques rares mauvaises critiques, mais en règle générale, les professionnels ont apprécié le son, la musicalité des morceaux et toujours est revenue cette appréciation des textes.

FP : Avec le recul, quels sont les belles choses et les moins belles dans tout ce que tu as vécu, à titre personnel et aussi en tant que musicien?
TB : Le pire, c'est cette période que nous venons de passer, ma petite famille et moi, où nous avons vu partir dans la sciure une palanquée d'amis très proches et de parents. Et ça, cela te colle le blues. Sinon, dans le passé, j'ai côtoyé, sans m'y soumettre, des milieux de défonces dures, car autour de la musique, il flottait cette atmosphère de poudres blanches avec toute la violence, la décadence, la déchéance, la crasse, la maladie et la folie liées à ces poudres là. C’était glauque, mais passons.
Les moments heureux, la vie m'en a arrosé au quotidien mais le grand bonheur, c'est quand je joue avec mon fils, quand ma fille vient chanter avec moi. Le bonheur, c’est quand je fais se rencontrer des copains que j'aime bien, quand on se retrouve entre potes pour partager un bon moment. Et là, vois-tu, pour moi la musique retrouve sa fonction de lien social.

FP : Si tu pouvais changer quelque chose dans ce passé imparfait, que changerais-tu?

TB : Rien, car c'est lui qui m'a fait. Le dur comme le tendre me servent aujourd'hui. Le parcours est fait, et c'est le mien. Oui, j'ai un temps vécu dans la rue, j'ai habité une baraque en planche sur le Larzac, j'ai volé pour manger, j'ai été menacé de mort et comme je le dis: ‘J'ai connu la violence, la haine et la misère…’, mais ça m'a construit, aussi. Cela m'a rendu ‘stratégiquement’ patient. Je devrais plutôt dire merci, non…?

FP : Tes espoirs, tes souhaits pour l’avenir?

TB : Tu vas peut être rigoler, mais je rêve de m'acheter un petit camping-car, d'y installer mon matériel et de partir avec mon épouse et des copains pour jouer à droite et à gauche, dans les bars, les pizzeria, les petits lieux, rencontrer des gens et partager, jouer, chanter ensemble, boire quelques bons coups, la vraie vie, la belle vie, quoi…!
Ceci dit, je vais bientôt, dans quelques courtes années, arrêter mon activité professionnelle et là, je pourrai faire le Tyo Bazz tous les soirs, même toute la journée, et me consacrer à cette seconde vie.

FP : Ton opinion sur le Blues en France?

TB : On a une manière très française de regarder le Blues en France, comme s'il fallait que tout rentre dans des catégories, ce qui en est et ce qui n'en est pas. Il y a d'excellents musicos de Blues en France et le travail sur lui qu'ont développé nos prédécesseurs comme Panassié et Jacques Demètre, Delaunay ou les frangins Herzhaft nous a rendus riches et gourmands de cette culture. Quand je voie le nombre de festivals blues et jazz en France, je trouve qu’on a de la chance et que tout n’est pas si sombre que certains veulent le laisser croire.

FP : Les artistes, les groupes que tu apprécies?
TB : Alors là, tu ouvres un chapitre énorme… Mais il est clair que pour moi, et je le redis, ce sont plutôt les œuvres qui me retiennent plus que les artistes.

FP : Alors quels sont les albums que tu écoutes en ce moment?
TB : Actuellement, j'ai sur la platine ‘Not Forgotten’ de Malcolm Holcombe, ‘Townes’ de Steve Earle, ‘Two 2 Too’ des Coup D'Blues, ‘Blues Singer’ de Buddy Guy, ‘Booker's Guitar’ d'Eric Bibb, l’excellent ‘Cotton Belly's’ des Cotton Belly's et toujours et encore le ‘From The Cradle’ de Clapton. Comme tu le vois, plutôt de l'acoustique et du tendre.

FP : Et l’album de blues, s’il ne fallait en garder qu’un, que tu emporterais avec toi?
TB : Aucun, mais ma guitare et mes copains, parce que le blues, c'est ce qui se vit. Sans rire, je suis bien incapable de répondre à ça.

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Tyo Bazz