ITW de The Webb Sisters

                                         ITW des Webb Sisters

ITW préparée et réalisée par Dominique Boulay
Photos : DR

C’est à l’occasion de la sortie de leur dernier CD, ‘Damages’, et de leur venue au Réservoir pour un concert dans cette très belle salle située rue De La Forge Royale, que j’ai eu le bonheur de rencontrer ces deux très belles et talentueuses artistes britanniques. Et après pareille rencontre, la tête dans les nuages, une seule question n’a cessé de me hanter: quand donc reviendront-elles…?

PM : L’évocation de la musique baroque provient-elle d’une formation classique ou bien cela découle-t-il naturellement de vos propres goûts musicaux?
Charley & Hattie:
L’esprit baroque de nos chansons est sans aucun doute influencé par l’esthétique musicale de la musique classique. C’est vrai que nous avons toutes les deux étudié longtemps cette forme de musique et en grandissant, cela a indiscutablement influencé notre manière d’écrire des chansons.

PM : Quelles sont les autres formes et formations musicales qui vous ont également marquées, lorsque vous étiez plus jeunes?
C & H :
Nous nous intéressions plus particulièrement aux groupes dans lesquels les harmonies vocales étaient prépondérantes, comme Crosby, Stills, Nash & Young, par exemple, mais aussi The Carter Family ou The Indigo Girls. Plus récemment, nous avons bien apprécié Tegan & Sara, et aussi Fleet Foxes.

PM : Votre père a joué un rôle prépondérant dans votre éducation musicale. Que pouvez-vous nous dire de lui, et de son influence?
C & H :
Lorsque nous étions plus jeunes, notre père, Graham, avait l’habitude d’utiliser la maison pour répéter avec ses groupes de country rock qui fréquentaient par ailleurs tous les endroits et les lieux où d’autres styles et genres musicaux coexistaient en parallèle. Ces orchestres avaient souvent plusieurs chanteurs et l’on s’éclatait en dansant sur leurs morceaux.
Papa avait aussi en sa possession tous les accessoires d’une batterie Ludwig d’origine, datant de 1968 et devenue depuis ‘vintage’! Elle sonnait de manière très impressionnante car Papa possédait le rack complet avec tous les fûts. Notre père était vraiment dingue de musique jouée incroyablement forte, afin de mieux ressentir le groove, y compris en voiture où, tassées à l’arrière, nous essayions de dormir malgré le vacarme (rires). Avec le temps, cela nous a beaucoup mieux fait comprendre combien la musique peut influencer la manière de ressentir les choses et modifier nos états d’âme, quelles que soient les circonstances et ce que l’on pouvait ressentir au préalable.

PM : Laquelle de ces deux activités vous mobilise le plus, collaborer avec d’autres artistes tels Jamie Cullum ou Léonard Cohen, ou mener votre propre carrière avec les Webb Sisters?
C & H :
L’essence même de ce que nous faisons, musicalement parlant, provient de nos collaborations avec les autres, que cela soit dans la composition, l’écriture, la réalisation de nos propres chansons ou bien dans le travail d’équipe accompli pour d’autres. C’est la tournée mondiale avec Léonard Cohen qui a été la concrétisation la plus longue d’une collaboration avec un autre artiste. Et cela a duré 3 ans!

PM : Comment aviez-vous rencontré Leonard Cohen?
C & H :
Nous l’avions rencontré grâce à une fabuleuse artiste, musicienne et compositrice, Sharon Robinson, qui nous a présentées à lui. Tous les trois, Charley, Hattie et Sharon, nous avions composé et chanté ensemble, en 2007, et lorsque nous sommes retournées à Los Angeles pour enregistrer avec Peter Asher en 2008, Sharon nous a appelées pour nous informer que Léonard cherchait du monde pour jouer et chanter avec lui. Nous sommes allées avec Sharon, la même semaine, à une répétition du futur orchestre. Il faut qu’on te dise que Sharon avait déjà tourné avec Léonard, mais aussi coécrit et produit l’album ‘Ten New Songs’ en 2001. Ils étaient donc déjà de très bons amis et le courant passa formidablement bien avec les membres du groupe et le directeur musical, Roscoe Beck. Deux jours plus tard, nous avons rencontré Léonard Cohen en personne. Ce fut d’ailleurs après la seconde répétition avec tout l’orchestre que lui et Roscoe prirent la décision finale et nous demandèrent de nous joindre à eux.

PM : Quel est votre meilleur souvenir parmi les 247 représentations que vous donnèrent avec lui et ses musiciens?
C & H :
Nous avons pléthore de bons souvenirs! Certains sont plus ou moins intensifs et vous marquent profondément, d’autres sont plus amusants et divertissants, voire plus légers à garder en mémoire. C’est une formidable expérience de voyager et de partager la vie quotidienne de musiciens et d’une équipe technique. Nous étions comme une véritable famille, réunie autour d’une certaine éthique, celle du travail impeccablement accompli, surtout que Léonard a un sens de l’esthétique réellement impressionnant.

PM : Et le pire souvenir?
C & H :
Incontestablement, de devoir se dire ‘au revoir’ à la fin. Et de quitter aussi tous ces fans qui nous avaient acclamés de manière si chaleureuse partout pendant ces trois merveilleuses années.

PM : Vous avez également enregistré avec Sting…
C & H :
Oui, et pendant toute cette expérience qui était de travailler avec lui sur des chansons de son album ‘If On A Winter’s Night’, Sting s’est comporté comme un être talentueux, méticuleux et précis, doté d’une capacité extrême à appréhender et à ressentir la musique au plus profond de lui-même. Et en plus, il a un sens de l’humour qui fait que travailler avec lui est extrêmement plaisant.

PM : Comment s’est déroulé l’enregistrement de cet album?
C & H :
En fait, nous avions commencé à enregistrer juste avant le début de la tournée de Léonard Cohen, en 2008. Nous avions l’intention de terminer notre album en quelques mois, mais la tournée a débuté et plus personne ne savait vraiment combien de temps il nous faudrait pour pouvoir achever l’ouvrage. Nous deux et Peter, nous avons essayé de trouver des endroits où nous pourrions nous rencontrer pendant la tournée afin d’achever le travail. Cela s’est passé parfois quelque part aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, mais cela a pris beaucoup plus de temps que ce que nous avions pu imaginer, car les concerts demandaient beaucoup de concentration et ils prenaient presque tout notre temps. Mais nous avons tous les trois été ensuite très fiers du résultat et très heureux que le processus de création du disque nous ait permis de réaliser un tout cohérent et honnête qui reflète parfaitement ce que nous ressentions. Un ensemble de chansons qui venait vraiment du plus profond de notre cœur!

PM : ‘Savages’, le titre de votre dernier album, est à l’opposé de l’atmosphère qui découle de votre disque…
C & H :
C’est intéressant de t’entendre voir les choses ainsi, parce que l’on se demande, du coup, quelle est l’impression que tu ressens pour ce disque. ‘Savages’ est le titre de l’une des chansons et la décision d’en faire aussi le titre de l’album a été prise parce que cela pouvait à la fois être compris comme une question que l’on pose ou comme la description d’une situation. La chanson ‘Savages’ est certes soutenue et accompagnée par des percussions qui lui confèrent un certain aspect énergique, mais il y a pourtant plus d’énergie brute qui se dégage d’autres morceaux à l’apparence plus calme et à la tonalité moins dynamique. Et si tu es surpris, c’est normal, car tout a été fait intentionnellement!

PM : Bien que les ballades folk prédominent, quelques morceaux sonnent country, bluesy et même pop…
C & H :
Normal, toutes les deux nous aimons danser et les musiques bien rythmées! Comme nous te l’avons dit, nos plus grandes influences viennent des musiques où prédominent les mélodies et les harmonies, particulièrement celles qui sollicitent les voix. Nous avons toutes les deux grandi dans un environnement instrumental et vocal classique et cela se ressent dans notre manière de travailler et dans nos choix musicaux lorsque nous écrivons et arrangeons nos propres chansons. Nous admirons énormément des artistes country comme Nickel Creek ou Alison Krauss dont la précision et la virtuosité reflètent celle de n’importe quelle chorale ou orchestre classique. Et nous sommes tout autant passionnées par des artistes solo comme Kate Bush, Sinead O’Connor ou le chanteur compositeur James Taylor, qui nous ont tous laissé une très forte impression. Toutes ces influences musicales diverses alliées à nos propres expériences humaines ont eu évidemment des impacts sur notre musique.

PM : Pourquoi avoir choisi de chanter en harmonie sur presque toutes les chansons?
C & H :
Rétrospectivement, nous pouvons dire que nous avons toujours chanté ainsi. Et comme on adore particulièrement chanter en Live, on a voulu dans ce disque se rapprocher de ce que l’on aime faire en concert. Les arrangements vocaux et les choix des harmonies sont dû à la manière dont nous avons écrit les chansons, c’est sûr, mais aussi à l’influence qu’a eu sur nous Peter Asher, le producteur de l’album.

PM : Sur scène, vous reprenez la chanson ‘Baby Can I hold you’ de Tracy Chapman. Qu’appréciez-vous particulièrement dans cette chanson? La voix de Tracy, sa mélodie, ses paroles, ou bien encore sa personnalité, son engagement?
C & H :
Un peu tout ce que tu viens de dire. Il y a dans cette chanson un bon rythme, une bonne mélodie et un message qui véhicule toute la profonde tristesse qui habite bon nombre d’entre nous. Tracy Chapman est incontestablement un écrivain magistral…! ‘Baby Can I hold you’ est tout cela, quelque chose qui est à la fois triste et édifiante.

PM : Sur scène, vous reprenez également ‘Always on my Mind’ de W. Nelson et J. Cash ainsi que ‘That Old Wheel’ de J. Cash et Hank William II…
C & H :
Ce sont de véritables écrivains qui ont de gigantesques catalogues de textes qui ne demandent qu’à être écoutés par tout le monde. Nous en avons choisi deux pris dans une œuvre immense, et que nous avions sélectionnés pour notre récente tournée. Il faut dire que les chansons que nous avons choisies nous avaient particulièrement touchées et elles avaient pris une telle importance pour nous que nous avons eu envie de les interpréter. Notre version d’Always on my Mind trouve son origine dans une session d'enregistrement que nous avions faite pendant toute une nuit, à Los Angeles, et ‘That Old Wheel’ est une chanson que nous avions initialement jouée avec des musiciens incroyables dans la belle ville de Montréal, au Canada. Nous avions travaillé avec le producteur Howard Bilerman et il avait demandé à ses amis de venir jouer avecnous pour la journée. Les instruments de cette session comprenaient des éléments originaux à forte valeur historique et affective. Ce titre a été enregistré ‘live’, en une seule prise. Cela a été un grand moment festif…! Et nous ressentons toujours quelque chose de très fort lorsque nous interprétons ces deux chansons à chaque concert.

PM : Quelles différences feriez-vous entre folk et musique country?
C & H :
Bien que les racines de ces genres musicaux soient différentes de par les traditions culturelles liées à chacune d’entre elle et qu’elles soient issues d’endroits différents, elles se rejoignent néanmoins parce que ce qu’elles expriment, ce sont des sentiments qui appartiennent à tout le monde. Elles sont l’expression de la nature humaine.

PM : Quels sentiments ressent-on après avoir obtenu le ‘Music Award For Best Adult Contemporary Song’?
C & H :
Nous sommes très honorées, c’est vrai, mais nous éprouvons beaucoup d’humilité à nous retrouver ainsi parmi tant d’artistes que nous admirons et respectons.

PM : Eprouve-t-on le même sentiment lorsque l’on a été choisies pour chanter lors des cérémonies célébrant le quatre centième anniversaire de la naissance des Etats Unis?
C & H :
Cela fut un grand, un très grand moment chargé d’émotion. Le fait de se retrouver au milieu de toutes les cultures qui ont fait l’histoire des Etats Unis était quelque chose d’impressionnant. Il y avait même des gens du Kent, le Comté d’Angleterre où nous sommes nées et où nous avons grandi, qui participaient à cette célébration. Il faut rappeler que les premiers bateaux qui quittèrent le vieux continent partirent de notre région natale. Et le fait également que les amérindiens, en particulier, furent enfin reconnus et célébrés a donné encore plus d’intensité à toutes nos émotions. Ce fut vraiment fabuleux d’être le témoin de tout cela.

PM : N’est-ce pas trop difficile, ou usant, d’être toujours en famille sur scène, vous, les deux sœurs, et un frère?
C & H :
Dans la plupart des formations musicales, il y a très souvent comme des défis à résoudre. Qu’il y ait des liens familiaux ou non, être dans un groupe signifie que vous êtes très souvent ensemble, et que vous devez accepter de partager presque toute votre vie avec ceux qui forment le groupe. C’est aussi la diversité des personnalités qui apporte plus de richesses et de créativité dans un groupe musical ou artistique, même si à certains moments ce sont les points de désaccord qui prévalent. Ce que le lien familial apporte, c’est le sentiment de confiance, et cela, c’est quelque chose de particulièrement appréciable!

The Webb Sisters