Interview préparée et réalisée par Dominique Boulay en février 2012
Traduction : José Wingert
Photos : Anne Marie Calendini
C’est dans les loges de l’Olympia que les Stranglers se sont installés au mois de février dernier pour assurer la promotion de leur prochain album, GIANTS, dont la sortie était annoncée pour le 5 mars 2012. Les musiciens recevaient les journalistes par deux, dans les loges, et en ce qui nous concerne, ce furent Dave Greenfield, le clavier, et Baz Warne, le guitariste, qui répondirent à nos questions.
Bonjour Dave, en tant que claviériste des Stranglers, est ce que tu joues également de l’orgue Hammond ?
Maintenant je joue de quatre orgues différents. Je possède un orgue Hammond, bien sûr, mais je ne l’utilise pas en concert. Au début j’avais un Vox Continental, mais cette époque est révolue (sourire).
Votre prochaine tournée ne sera pas vraiment mondiale…
Pas vraiment, c’est plutôt une grosse tournée européenne. On commence par la Grande Bretagne au mois de mars, on y fera une vingtaine de dates, puis on jouera en Europe. On va faire aussi des festivals. Le premier sera à Dublin, le 6 mai. Ensuite on jouera en Estonie, puis nous ferons encore des festivals en Angleterre.
Vous ne tournerez donc pas aux Etats-Unis, au Canada et en Australie…
Non pas cette fois. D’ailleurs nous ne sommes pas retournés aux Etats-Unis depuis une quinzaine d’années, et….nous ne sommes jamais allés jouer au Canada et en Australie.
Dave, vu votre super accent, vous ne seriez pas du sud de l’Angleterre?
Oui, je suis de Brighton (rire).
Avez-vous toujours des contacts avec les membres fondateurs du groupe, car j’ai noté que sur votre site web vous avez des liens vers eux…
Non, pas vraiment. Parfois j’ai des nouvelles de Paul, mais nos routes ont bifurqué… C’est la vie.
Sur votre site vous ne faites d’ailleurs référence qu’à vos trois derniers albums, pourquoi?
Franchement, je n’en sais rien, car nous, on se concentre sur notre musique et on ne s’occupe pas du tout du site internet. Ce sont les webmasters qui gèrent ça, et on ne le regarde même jamais, ce site, tellement on est dans notre musique.
Toi, Baz, qui est le guitariste du groupe depuis 2000, est ce que cela n’a pas été trop difficile d’intégrer un groupe formé depuis déjà 26 ans?
Pas vraiment. Et puis je ne dirais pas ‘difficile’, mais plutôt que c’était ‘nerveusement éprouvant’. Quand j’ai rejoint le groupe, en 2000, il y avait cinq membres. Paul Roberts était alors le chanteur et je ne jouais que de la guitare. Au bout de six ans, Paul est parti et on s’est alors demandé si on allait le remplacer et continuer à cinq ou si j’allais devoir assurer le chant. Finalement on a choisi la seconde solution. Depuis, nous jouons à quatre et je suis devenu le chanteur-guitariste du groupe.
Le nouvel album sort en mars mais des morceaux ‘live’ sont déjà disponibles sur Youtube. Vous avez testé des titres sur scène, OK, mais qu’est ce que cela vous apporte de les mettre ainsi sur le net avant la sortie d’un album… N’est-ce pas risqué?
Bonne question, et tu as raison, car c’est à double tranchant. Dans certains cas cela peut être utile, comme nos trois morceaux enregistrés à The Stranglers Convention à Camden et présents sur Youtube, car c’est nous qui maîtrisons la mise en ligne sur internet de ces trois titres, mais pour d’autres morceaux qui sont aussi sur Youtube, captés par des téléphones portables et dont la qualité sonore et visuelle laisse à désirer, on ne peut rien faire pour empêcher cela, et c’est gênant car cela ne donne pas une image de qualité de ce que nous faisons. Mais que veux-tu faire contre un public vient à un concert, qui filme et diffuse les images sur le net… Ca nous échappe, mais en même temps cela nous donne une certaine présence sur tous ces sites de partage. Mais c’est vrai qu’on préfèrerait qu’il n’y ait pas d’enregistrement pirate.
Pourquoi avoir donc testé ces trois morceaux à cette Convention à Londres?
Ces trois nouvelles chansons de notre prochain album sont Giants, Freedom Is Insane et Lowlands. On voulait absolument les jouer en live avant la sortie de l’album mais on ne savait pas trop comment et quand le faire, et cette convention fût l’occasion rêvée! Ceci dit, bien entendu que la scène modifie notre manière de jouer et l’enregistrement studio proposé sur l’album sera donc différent, car l’expérience de la scène nous a permis d’enrichir l’élaboration de ces morceaux en studio.
Vos nouveaux morceaux sont courts. Est-ce un choix délibéré?
Non, pas spécialement. Autrefois, c’était la durée dont nous disposions pour passer en radio. Il fallait faire des chansons de trois à quatre minutes maximum, sinon on ne passait pas sur les radios. Mais sur le nouvel album il y a également des morceaux de cinq à six minutes, comme 15 Steps ou My Fickle Resolve. Ceci dit, trois minutes trente est une durée appréciée par la plupart des gens. Autrefois, quand nous ne disposions que de trois minutes et quelques pour nous exprimer, cela imposait des règles, une organisation stricte du temps, avec une minute maxi pour le chorus, par exemple, et…peut être que nous avons conservé ce type de reflexes (sourire).
Qui sont ces Giants qui font le titre de ce nouvel album ainsi que celui d’une chanson?
Ce que l’on veut dire, en fait, c’est qu’il n’y a plus de géants! Dans le passé, il y a eu des hommes remarquables, qui ont marqué leur époque, et puis aussi des politiciens, des législateurs et des capitaines d’industries qui avaient une réelle vision des choses et de la manière dont il fallait les conduire pour le bien de tous. Aujourd’hui, comment peut-on croire en un système politique où les gens qui font les lois sont eux-mêmes corrompus…? Il y a un vers, dans la chanson, qui dit ‘je suis heureux que mon père ne soit plus là pour voir tout ce qui se passe de nos jours’. Et c’est ce que je pense. Nos parents et nos grands-parents se sont battus pour un idéal, il y a eu deux guerres mondiales, puis la paix dans nos démocraties, et tout ça pour quel résultat, finalement…?
Vous aussi, vous vous êtes assagis depuis vos débuts. Est-ce lié à l’âge, ou à l’expérience?
C’est l’âge, c’est sûr…! Mais le public aussi est différent de ce qu’il était à nos débuts, en 1974 (sourire).
Pensez-vous avoir toujours le même public?
Oui, je pense que nous avons gardé un public fidèle qui emmène aujourd’hui ses enfants et ses petits-enfants nous voir en concert.
Comment expliquez-vous la longévité de votre carrière?
La chance (rires)…! Franchement, je ne sais pas. Je pense que c’est peut être parce que nous ne nous sommes jamais conformés à un style ou à un autre. Nous avons toujours joué ce qui nous plaisait, sans jamais nous dire qu’il fallait faire tel ou tel genre de musique parce que c’est la mode du moment.
Avec toujours cette envie de faire passer des messages dans vos textes…
Oui, toujours…! Et tant qu’il y aura quelque chose à dire, il faudra le dire. Et chanter l’amour, la religion, la mort, la politique, le sexe. Tu sais, ce serait très facile de jouer la carte de la nostalgie et de revenir sans cesse sur le passé en rejouant encore et encore tous nos meilleurs titres des années soixante dix et quatre vingt…, mais nous préférons aller de l’avant. Et puis quand on regarde notre public, c’est génial, car il y a nos fans du début mais aussi plein de nouveaux, des bikers, des rockers, et aussi des gens sans étiquette, tous très contents d’entendre aussi nos nouveaux morceaux.
Les compositions et les textes se font-ils de manière collégiale au sein du groupe?
On a toujours composé ensemble. On ne peut pas dire qu’untel a fait ceci ou untel a fait cela. Quand l’un d’entre nous a une idée, un autre l’enrichit. Nous avons toujours travaillé en commun, de façon très démocratique.
Pensez-vous que la musique reste un bon moyen pour transmettre des messages?
Oui. Les livres, le cinéma, la musique sont des outils qui peuvent servir à faire passer des messages. Mais ce qui change, c’est la perception que chacun a de ce que vous dites. Si vous interrogez cinq personnes différentes à propos d’un même morceau vous aurez cinq lectures différentes de celui-ci. Ceci dit, personnellement je n’ai jamais vraiment cru en l’efficacité d’un message politique transmis par une chanson, comme celles de Bob Dylan ou de tous ceux qui pourtant expriment des choses très profondes. Pour moi, la musique doit plutôt être plus une fenêtre ouverte qui offre un moment d’évasion, et ce n’est pas, selon moi, ce qu’apportent les chansons engagées. Et puis un texte trop cérébral peut faire oublier la mélodie…
Certains morceaux des Stranglers ont été utilisés au cinéma. Avez-vous songé à écrire des bandes originales de films?
Dave Greenfield : J’ai fait la musique d’un court métrage français, une fois, c’est tout.
Baz Warne : Avec Jean-Jacques on a écrit des chansons pour un thriller anglais, et elles sont sur Giants.
Avez-vous pensé à créer votre propre label ?
Tout d’abord, il faut dire que notre producteur, Louis de Castro, est un vrai gentleman…! Mais nous y avons déjà songé, oui, à cause de la manière dont les grandes maisons de disques travaillent. Elles sont pour la plupart dirigées par des avocats, des gens qui sont seulement là pour faire du business. S’il n’y a pas retour sur investissement dans l’année, ils vous jettent. Nous, nous finançons les albums que nous faisons et après, on appelle les maisons de disques qui décident alors ou non de nous faire confiance. On a des contacts avec EMI et Universal, bien que l’influence d’EMI ait beaucoup diminuée. Quand tu penses qu’à Londres EMI employait autrefois deux mille personnes et qu’aujourd’hui ils sont presque tous partis. Et puis avec internet tu peux sélectionner des sites pour faire connaître ta musique. Regarde les Artics Monkeys qui ont vendu 600.000 disques sans passer par une maison de disques. Et tous ceux que l’on a découverts par internet, sans aucune maison de disques. Les règles ont changé, tout a bougé, et nous, nous faisons du mieux que nous pouvons avec cette nouvelle donne.
Pourquoi avoir pris tellement de temps pour sortir ce nouvel album?
C’est justement lié à ces gros changements dans l’industrie du disque dont nous venons de parler. N’étant plus attachés à un label, nous n’avons plus de pression par rapport à la cadence de sortie des albums, nous prenons notre temps pour travailler, et personne ne nous dit comment travailler. Avant, nous étions contractuellement engagés pour sortir tant de disques en tant de temps. Et comme les maisons de disques étaient maîtres du jeu, tu devais faire ce qu’elles voulaient, et tu sortais ‘x’ albums en ‘x’ mois. C’est un vrai luxe maintenant que de pouvoir décider du rythme de sa discographie. Entre les deux derniers albums, nous avons fait une tournée, et ensuite, Jean-Jacques dont la mère était malade, a dû faire de nombreux allers-retours entre Londres et Nice. Puis elle est décédée et nous n’avons repris le travail que lorsqu’il en a été capable. Nous sommes très contents de ce nouvel album, car il correspond exactement à nos attentes.
Que pensez-vous de la scène anglaise actuelle ?
Tu sais, on écoute surtout beaucoup de vieilles choses, des chansons qui remontent à notre jeunesse (rire)! Dans la jeune génération, on écoute Muse, les américains de Black Keys… Moi, j’écoute toujours Neil Young avec beaucoup de plaisir.
Au début de votre carrière vous étiez étiqueté punk, new wave, voire pub rock…
Je dirais plutôt new wave que punk, mais c’est par paresse que les journalistes nous mettent dans des catégories, et c’est une facilité à laquelle nous ne souscrivons pas. Nous, nous nous sentons éclectiques. Chaque album a sa couleur, son style propre, sa singularité. Pourquoi toujours vouloir coller des étiquettes aux groupes…?
Deux de vos disques ont des titres en français, c’est lié à Jean-Jacques Burnel, le bassiste?
Oui, bien sûr (sourire).
Si je vous dis que Jean-Jacques chante et joue de la basse comme Sting ou Paul Mc Cartney, qu’en diriez-vous?
Si tu poses la question à Jean-Jacques (sourire), je pense qu’il te dira qu’il est d’abord bassiste. C’est la même chose pour moi, je suis avant tout guitariste. Je ne suis pas un chanteur qui joue de la guitare, mais un guitariste qui chante.
Avez-vous les uns et les autres des projets personnels en parallèle au groupe?
Ca nous est arrivé d’y penser mais ça ne s’est jamais vraiment concrétisé. Il arrive que tu composes des choses indépendamment du groupe, puis tu les mets de côté, tu peux même les oublier et puis un jour tu réalises que tu en a assez pour en faire quelque chose mais ça en reste à ce stade car on a tellement de choses à faire au sein du groupe, que ça prend toute la place. On verra dans quelques années, quand on aura pris un peu d’âge…(rire). Pour le moment, on se concentre sur la sortie de l’album et sur la tournée.
Justement, cette tournée sera-t-elle l’occasion de sortir un CD-live ou un DVD-live?
Peut-être en avril prochain, ici, à l’Olympia, car c’est une bonne salle pour le faire…
En attendant la sortie d’un hypothétique live enregistré à l’Olympia, vous pourrez venir écouter les Stranglers un peu partout en France à partir du mois d’avril 2012.