ITW de Susan Tedeschi pour la sortie de son CD Back to the River

ITW préparée et réalisée par Frankie Bluesy Pfeiffer
Photos de concert: Frankie Bluesy Pfeiffer / Autres photos : TDR
 
 
Une voix superbe, mélange de Bonnie Raitt, Aretha Franklin et Janis Joplin, des yeux sublimes à faire fondre un glaçon posé sur la banquise, un jeu de guitare blues-rock incendiaire, des chansons qui dévoilent un auteur-compositeur de talent, voilà en quelques mots qui est celle que nous avons rencontrée avant son concert au New Morning: la belle, la séduisante Susan Tedeschi.
 
Et lorsque je demande à Susan comment elle qualifie son dernier album, ‘Back To The River’, la belle me répond dans un sourire, les yeux étincelants:
‘Ce n'est pas vraiment un album de blues. Bien sûr que le blues est toujours là, mais il y a aussi beaucoup d'autres choses qui s'y ajoutent. Je ne sais pas vraiment comment décrire ce que je fais autrement que par ces deux mots: American roots.’
Des racines américaines auxquelles Susan est très attachée, comme femme autant que comme artiste.
 
 
BM: En quelques mots, Susan, peux-tu nous dire quand et comment tu as plongé dans le monde de la musique…
ST : En quelques mots? (sourire)… Mon père était un joueur de blues, il jouait de la guitare et de l’harmonica. Il avait appris seul, sans professeur. On vivait à Norwell, à côté de Boston, une petite ville très ‘middle class’, et c’est là que j’ai commencé à apprendre la musique à l’école. Mais avec le recul, maintenant, j’ai tendance à dire que ce n’est pas nécessaire d’apprendre la musique de manière scolaire, parce que si tu es un vrai musicien, tu as ça en toi. Ce que je veux dire, c’est que je sais lire et écrire les notes et que je peux écrire la musique, mais je ne fais jamais comme ça quand j’écris mes chansons: j’entends d’abord en moi ce que je vais jouer, parce que je l’ai en moi, et ce n’est que bien plus tard que cela se retrouve sur un morceau de papier.
 
BM: Ton père te faisait déjà écouter du blues ?
ST : Oui, il me faisait écouter ses disques de Lightnin’Hopkins, Reverend Gary Davis, Sam Cooke, et d’autres encore. Moi, je me suis mise à la guitare quand plus tard j’ai entendu Freddie King, Otis Rush et Johnny Guitar Watson. Je voulais absolument jouer comme eux. C’est grâce à eux que j’ai eu le déclic.
 
BM: Mais n’avais-tu pas commencé par le théâtre?
ST: Oui. Ma mère jouait dans des comédies musicales et elle m’a très rapidement fait monter sur scène. J’avais 6 ans, et quand tu as 6 ans tu le fais avec plaisir et insouciance. Et puis après, j’ai même passé une audition à Broadway, quand j’avais 10 ans. Je faisais à peu près quatre spectacles par an, tu vois…(sourire)
 
BM: Tu as également chanté dans une chorale…
ST: C’était quand j’étais au collège. Je chantais avec le Reverence Gospel Ensemble et on était quatre blancs dans une chorale de quarante personnes. Tu imagines, à l’époque…? (sourire)
 
BM: Quelle a été l’influence la plus forte que tes parents ont eu sur toi?
ST: Bonne question, et que je ne m’étais jamais posée…(silence) Je pense que ce que je leur dois par-dessus tout est l’assurance que j’ai en moi, comme par exemple lorsque je monte sur scène. Mes parents m’ont appris très jeune à ne pas être nerveuse avant d’entrer en scène, et du coup je n’y pense jamais. Je ne suis jamais nerveuse quand j’entre en scène ou quand je suis sur scène. Oui, je pense que c’est ça que je leur dois le plus, cette assurance que j’ai en moi.
BM: Et à quel âge alors as-tu commencé à jouer à la guitare?
ST: Vers 13 ou 14 ans. Je copiais mon père et je jouais de la guitare acoustique avec lui. Et puis après j’ai joué tous les dimanches dans un club, et ensuite pendant trois ans j’ai accompagné d’autres artistes, et enfin j’ai créé mon propre groupe. Voilà, en quelques mots…(rire)
 
BM : Tu as appris aussi le piano ?
ST : Oui, et je compose certaines de mes chansons au piano. C’est un instrument qui m’attire autant que la guitare, même si c’est moins facile à transporter qu’une guitare…(rire)
 
BM: N’as-tu jamais été attirée par la musique rock? C’est pourtant la musique que choisissent les jeunes, ne serait-ce que parce qu’elle est pour eux un signe de rébellion par rapport à leurs parents…
ST: Pour les jeunes qui veulent marquer leur différence avec leurs parents, oui, je le comprends, mais moi, je n’ai jamais eu ce besoin là. Au contraire, j’étais très attirée par la musique qu’écoutaient mes parents. Le rock, c’est un style de musique qui ne m’attirait pas. Je ne sais pas pourquoi, mais autant je pouvais craquer pour un disque de folk ou de country, autant je n’avais aucune envie d’avoir des disques de rock.
 
BM : Est-ce vrai que tu as emprunté de l’argent à ton père pour sortir ton premier disque?
ST : Oui, 10.000 dollars, très exactement. C’était génial qu’il puisse m’aider. J’ai eu vraiment une chance incroyable d’avoir un père qui puisse me soutenir financièrement,…mais je savais aussi que j’allais pouvoir le rembourser (sourire).
 
BM : Parce que tu étais sûre que cela marcherait?
ST : Oui. C’était en moi. Et quand tu as en toi quelque chose d’aussi fort, d’aussi intense, et que tu ‘sens’, que tu ‘sais’ que cela va marcher, cela te transcende et te rend invulnérable. Ce que je veux dire par invulnérable, c’est par rapport aux critiques, aux moqueries, et à tout ce qui est négatif. Tu sais, j’ai aussi eu la chance que mes parents m’aient toujours encouragée, depuis que j’étais toute petite.
BM : Tes parents sont fiers de toi…?
ST : Bien sûr, mais les deux pour des raisons différentes, je pense. Mon père est fier que je réussisse dans la musique, alors ma mère est plutôt fière de ce que je fais dans la vie. En tant que femme, et pas seulement en tant que chanteuse.
 
BM: Fière de ton couple, alors. Et de ton mari…
ST: Oui, de mon mari, mais aussi de mes enfants. De toute ma famille. Tiens, regarde, je vais te montrer des photos de mes enfants… (et Susan me montre des photos de ses enfants, avec et sans leur père, un certain Derek Trucks)
 
BM: Puisque l’on voit Derek sur ces photos, peux-tu nous dire si pour travailler ton jeu de guitare, tu demandes conseil à ton mari?
ST : Non, parce qu’il n’a pas le même style que moi. Lui, il peut jouer tous les styles, et on peut jouer ensemble sur certains morceaux mais on a un répertoire très différent et on joue donc très différemment, tous les deux. Et puis il n’est pas habitué à jouer avec ma guitare (rire). Il peut le faire, oui, mais c’est vraiment pas son truc. Avec Derek, en fait, on s’aide l’un l’autre, on se donne de petits conseils, on échange des idées… C’est ça s’aimer, non? (sourire) Par exemple pour la chanson ‘Butterfly’, c’est moi qui l’ai écrite et quand Derek l’a entendue, il m’a dit que c’était super et il s’est mis aussitôt à jouer de la guitare sur une partie de la chanson (Susan commence à chanter ‘Butterfly’ a capella)… et en recomposant ainsi une partie de la chanson pour moi, il a amené la chanson à un autre niveau, tu comprends? Et voilà aussi pourquoi j’adore cette chanson. Non seulement parce qu’elle est belle, mais parce qu’elle ‘représente’, ou plutôt ‘contient’ quelque chose de nous deux. Quelque chose que seul l’amour peut permettre (en me disant cela, Susan replonge dans l’album photo contenu dans son téléphone portable et me montre une photo de Derek prise la veille, à Barcelone). Et puis pour une autre chanson que j’avais écrite, il m’a dit ‘Babe, le refrain est trop rapide’ et il est venu retravailler le refrain avec moi. En fait, pour la plupart de mes chansons, c’est moi qui les compose, mais assez souvent, Derek me donne des conseils, ou bien nous retravaillons ensemble dessus. C’est pas l’amour, ça? (me dit-elle tout sourire, en me montrant une autre photo de Derek tenant cette fois dans ses bras leur fille Sophia)
 
BM: Es-tu consciente que sur certaines chansons ta voix fait penser à celle de Janis Joplin?
ST: En fait, pas du tout. Cela fait plusieurs fois qu’on me le dit mais je dois t’avouer que je ne m’en étais pas du tout rendu compte avant qu’on ne commence à me le dire. C’est un honneur pour moi que de me voir comparer à Janis Joplin, mais je pense que c’est parce nous avons toutes les deux été influencées par les mêmes grandes artistes: Big Mama Thorton, Ray Charles, James Brown,…
 
BM: Et au niveau chant, par quelles femmes as-tu été le plus influencée?
ST: Big Mama Thorton, bien sûr, mais aussi Koko Taylor et Etta James.
 
BM: Tu as dit un jour que ‘L’espoir c’est Dieu, et le désir c’est mon mari’. Tu le penses toujours?
ST: Hmmmmmm…, je pense maintenant que l’espoir c’est mes enfants, mais le désir, c’est toujours mon mari. (sourire)
 
BM: Un mari dont on dit qu’il serait une sorte de réincarnation de Duane Allman… Tu penses quoi de cela?
ST: Tu veux savoir? (sourire) Oui, j’aime cette idée. Tu sais, Derek a été très influencé par son oncle, Butch, qui était lui-même très proche de Duane, et Butch m’a raconté que quand Derek, tout petit, commençait à jouer de la guitare, il jouait exactement comme Duane, et sans jamais l’avoir entendu. On peut interpréter ça comme on veut mais je trouve qu’il y a des choses qui sont très surprenantes dans la vie,…et très belles.
 
BM: Tu es croyante ?
ST: Oui, mais je ne vais plus à la messe comme lorsque j’étais jeune. C’est en discutant et en vivant avec Derek que j’ai pris conscience que je pouvais être spirituelle sans aller tout le temps à la messe.
 
BM: Et maintenant que Derek et toi avez deux jeunes enfants, comment faites-vous pour jongler entre votre vie de famille et vos carrières? En ce moment ce n’est peut-être pas trop difficile, mais quand vos enfants auront 12-13 ans et qu’ils devront aller au collège, comment ferez-vous?
ST: D’abord il faut que tu saches que je suis à la maison plus souvent que Derek. Mais pas parce que je suis une femme…! (rire) Je vais te dire une chose très personnelle: tu sais, quand je suis tombée enceinte, pour notre premier enfant, ce n’était pas…comment dire, prévu. Ca nous est arrivé comme ça, et on ne s’était pas organisé pour ça. Alors on s’est débrouillé, et on a même emmené notre enfant avec nous en tournée. Tu sais, quand tu as l’amour, tu as tout, et alors tous les soucis, tous les problèmes d’organisation ne sont rien, ou presque, comparés à ce bonheur que tu vis. Chaque fois que je le peux, je reste à la maison et je m’occupe des enfants comme toutes les mères le font: les aider à faire leurs devoirs, conduire ma fille à la danse classique et Charlie au base-ball,… Et puis je fais tout ce que les autres mères font. Je fais le ménage, les courses, je prépare les repas, je fais la lessive. A d’autres moments, c’est Derek qui est plus souvent à la maison que moi, comme en ce moment, par exemple. Et en ce moment c’est lui qui s’occupe des enfants et de la maison. Voilà comment on arrive à combiner nos deux carrières et notre vie de famille. Et puis quand les enfants seront plus grands, on verra comment on s’arrangera. D’ici là, pas mal de choses se seront passées, tu sais…
 
BM: Est-ce qu’avoir des enfants n’a pas mis ta carrière entre parenthèses, pendant une certaine période? Et comment l’as-tu vécu?
ST: Bien sûr que lorsque j’étais jeune maman ma carrière n’a plus été ma priorité absolue, et qu’elle est passée après mes enfants, mais je savais que j’allais revenir et c’est ce qui m’a permis de consacrer beaucoup de temps à mes enfants, au début. Pas seulement parce qu’ils en avaient besoin, comme tous les autres enfants d’ailleurs, mais parce que j’avais en moi cette assurance que je reprendrais ma carrière dès que je le voudrais.
 
BM: Et cette assurance que tu as en toi, elle ne gêne pas un peu Derek ?
ST: Non, au contraire… Je dirai même que ça l’arrange, que ça lui plaît. (rire)
 
BM: Et avec Derek, est-ce que vous avez déjà pensé à enregistrer un album ensemble…?
ST: Oui, et on aimerait bien. On en parle souvent, mais c’est difficile. Plus difficile que de faire un album chacun de son côté car pour enregistrer un album à deux il faut être tout le temps ensemble et on n’a pas le temps. Et puis on a des maisons de disques différentes,…et ce n’est donc pas si facile que ça.
 
BM: Question un peu tordue, je l’avoue, mais de qui es-tu tombée amoureuse: de l’homme ou du musicien?
ST: (large sourire) C’est une bonne question car beaucoup de gens pensent qu’effectivement c’est du guitariste que je suis tombée amoureuse, alors qu’en fait c’est l’homme qui m’a plu. C’est vrai que je savais qui il était, et je vais même t’avouer que comme guitariste je le trouvais trop sûr de lui. Comment dire…, presque froid et trop sûr de son talent. Voilà l’image que j’avais de lui, et ce n’est pas de ce mec là que je pouvais tomber amoureuse. Et puis un jour où je jouais sur scène avant lui, alors que je montais les marches pour aller à la scène, j’ai senti une main me saisir la cheville et j’ai vu son visage, là, entre les marches, qui me demandait avec timidité s’il pouvait me revoir après le set. Et quand je l’ai revu, on a beaucoup discuté et j’ai beaucoup aimé sa personnalité, sa façon de voir la vie, et c’est là que je suis tombée amoureuse de lui.
 
BM : J’ai posé la question à Derek pour savoir lequel de vous deux est tombé en premier amoureux de l’autre, et tu sais ce qu’il m’a dit?
ST : Que c’était moi, bien sûr…, alors que c’est lui qui était amoureux de moi avant de me rencontrer (rires).
 
 
A consulter:
Official Website: www.susantedeschi.com
Chronique du CD ‘Back To The River’ ICI…