ITW de Sugar Blue

                                             ITW de Sugar Blue

ITW préparée et réalisée par Dominique Boulay & Frankie Bluesy Pfeiffer
Photos: Frankie Bluesy Pfeiffer


C’est la quatrième des interviews que nous avions réalisées lors du Festival de Blues d’Hondarribia, du 8 au 11 juillet 2010. Il demeure d’actualité à plus d’un titre: le nouveau crû 2011 du fameux festival vient de s’achever et a été couronné de succès, comme les années précédentes, et il permet de revenir sur la carrière d’un des plus célèbres harmonicistes vivants.


PM : Où vis-tu, actuellement, aux Etats-Unis?
Sugar Blue
: Sur la Côte Est, à New-York. C’est à Harlem que je suis né et finalement je n’en suis plus très loin, aujourd’hui. Ma grand-mère était cherokee et c’est d’ailleurs pour cela que je porte des bagues d’origine indienne tandis que Frankie en porte qui sont beaucoup plus rock (rires).

PM : Peux-tu te présenter à nos lecteurs?
SB
: J'ai commencé à jouer de l’harmonica à l'âge de 12 ans, car ma tante m’en avait offert un et comme je jouais mal du saxophone, ma pauvre mère a préféré que je joue de l’harmo plutôt que du saxo (rires). Ma mère était danseuse et chanteuse dans les années 30, et même après avoir quitté la musique, elle était toujours entourée de ses amis musiciens qui venaient souvent dîner à la maison quand ils passaient jouer en ville. On a reçu comme ça, à la maison, de grands musiciens comme Lester Young et Dexter Gordon, tu vois. Ce qui fait que j'ai toujours baigné dans la musique. Ma mère était dans le jazz et moi, ce qui me plaisait, c'était le blues et les Big Band un peu jazzy ou les Big Band très blues, avec des chanteurs comme Big Joe Williams, des chansons comme ‘Going to Chicago’. Tout ça m'a vraiment happé.

PM : Pourquoi n'as-tu pas eu un attrait plus marqué pour le jazz?
SB
: Mais moi j'aime bien le jazz, tu vois, mais quand j'avais demandé à ma mère, alors que j’avais 12 ans, comment s'appelle cette musique si particulière, elle m'avait répondu: ‘Cela s'appelle le blues, mon fils’. Alors je lui avais dit que je voulais jouer du blues. Cela l’avait fait rire, car pour elle, je n’avais pas idée de ce que je voulais vraiment jouer, et que je ne savais pas encore ce qu’était le blues. En grandissant, j'ai entendu la musique de Muddy Waters et l'harmoniciste qui l'accompagnait, Little Walter, et j'ai été impressionné par son jeu et le son qu’il produisait avec son petit harmonica diatonique car moi, je n’arrivais pas à produire de tels sons. Quand j'ai commencé à me lancer dans la musique, je me suis mis à traîner dans les boîtes, pour voir et écouter Muddy Waters, Willie Dixon, Big Walter Horton, Junior Wells, et en même temps, tu vois, je sortais dans les boîtes de jazz. J’ai joué avec le grand saxophoniste Stan Getz et j'ai également rencontré des gens comme Billie Holliday, Art Blakey et Lionel Hampton. J’ai joué aussi très souvent avec Archie Shepp, qui était devenu un très bon ami. Come tu le vois, j'ai toujours oscillé entre le jazz et le blues. Pour moi, l'idéal c'est de mélanger les deux car ce sont vraiment deux musiques qui appartiennent à la même famille. D’ailleurs au début de ce siècle, il n’y avait pas de barrière entre les deux! J’ai également accompagné des gens comme Lionel Hampton et Dizzy Gillespie, des artistes fabuleux. J'ai aussi eu la chance de jouer avec des grands messieurs du blues comme Muddy Waters, Willie Dixon et Eddie Clearwater. Tiens, je vais vous raconter une anecdote: j’avais rencontré à Paris le grand pianiste Memphis Slim que j'avais croisé pour la première fois à New-York en 1976. Je lui avais dit alors que j'étais harmoniciste et que je voulais bien faire un bœuf avec lui. Il m'avait demandé d'où j'étais et je lui avais répondu que je venais de New-York, alors il m'avait répondu: ‘Mais le blues, ce n'est pas votre musique! Et si tu joues mal, on va s'expliquer après!’ (rires). Je suis monté sur scène avec lui et il a bien aimé ce que j'ai fait. Du coup, après le concert, on a parlé et je lui ai demandé s’il pensait que je pouvais venir en France et faire quelque chose avec mon harmonica. Et deux semaines après, j'étais dans un avion pour Paris. J’y ai rencontré plein de musiciens et j’ai pu jouer avec des pointures dans une petite boîte du Marais qui s’appelait alors ‘Les chevaliers du temple’, mais je crois qu’il n'existe plus aujourd'hui. C'était super! Il y avait Dexter Gordon au saxophone, Memphis Slim au clavier, B.B. King à la guitare et Willie Brown à la guitare basse. Une jam comme ça, tu ne pouvais la voir nulle part ailleurs que dans une petite boîte de Paris, en ce temps là. Je me souviens de Memphis Slim disant au public: ‘Hey, mesdames et messieurs, Sugar Blue va jouer avec nous et aussi Mickey Baker, qui est là!’. Et moi je me suis retrouvé sur scène avec tous ces grands messieurs. Dommage qu’il n’y ait eu personne pour immortaliser ces instants en photos (rires).

PM : Es-tu resté longtemps à Paris?
SB
: Je suis resté trois ou quatre ans. J'ai fait beaucoup de boîtes avec un grand monsieur du jazz qui s'appelait Maurice Cullaz. Ah, quel bonhomme! Il connaissait tout le monde et c'est lui qui m'a permis de rencontrer plein de très bons musiciens comme le batteur de Sammy Davis, et beaucoup d'autres. Ces années parisiennes m'ont non seulement permis de jouer mais surtout d'apprendre au contact de tous ces grands artistes. Toutes ces années à Paris, ça m'a ouvert la tête, les yeux, les oreilles. Cela m'a donné l'occasion de rencontrer les artistes que j'écoutais et que j'aimais. J’ai bu un verre avec eux, j'ai rigolé avec eux, j'ai joué sur scène avec eux. Jamais je n'aurais imaginé que je puisse les rencontrer un jour, ni même juste les voir sur scène! C’était une époque où, à Paris, il y avait beaucoup de supers musiciens et de nombreux lieux pour jouer du jazz et du blues.

PM : Comment as-tu été amené à jouer de l'harmonica sur ‘Miss You’, pour les Stones?
SB
: En fait, c'est eux qui ont fait appel à moi. C’est curieux, parce que quand j'étais à New-York, je jouais dans une petite boîte qui s'appelait Teenager et, à cette époque, à chaque fois que les Stones venaient à New-York, si je jouais un jour donné, tu pouvais être sûr que Mick Jagger venait le lendemain. Je me disais toujours ‘Mais pourquoi à chaque fois que je joue, il n'est pas là!’ (rires). J'avais envie de le rencontrer, et de tous les rencontrer, les Stones, sans forcément penser que je jouerai avec eux, mais je savais qu'ils aimaient le blues et moi, j'aimais pas mal de leurs chansons.

PM : Tu aurais pu donner des cours d'harmonica à Mick Jagger, car ce n'est peut-être pas son point fort!?
SB
: (rires) Ah non, alors… En fait, pour en revenir à ma rencontre avec les Rolling Stones, j'étais à Paris et j'avais joué à une soirée chez un ami. C’était l'époque ou Albert Romolo Broccoli, surnommé ‘Cubby’, était le producteur des films de James Bond. Albert était à cette soirée et il m'a entendu jouer, puis il est venu me voir pour me dire qu’il est un voisin de Mick Jagger, que ce dernier est actuellement en studio à Paris et qu'il cherche un harmoniciste. Au début, j’ai pensé que c’était une blague, mais Albert a pris mon numéro de téléphone et le lendemain, un type me téléphone, me disant qu’il s’appelle Mick Jagger et qu’il enregistre en ce moment dans un studio au bois de Boulogne. Là encore, je me suis dit que c’est une blague, surtout à cause du bois de Boulogne, qui est plutôt connu pour un autre genre d'activités nocturnes, mais la voix m’a dit que non, que ce n’est pas une blague et qu’on m’attendait donc à telle adresse. Je suis monté dans un taxi et au moment de nous arrêter, le chauffeur de taxi m’a dit: ‘Je vois que vous êtes américain, mais êtes-vous sûr de vouloir descendre ici, parce que ce n’est pas très recommandable comme endroit!’ (rires). Je suis sorti du taxi et je suis allé frapper à la porte des studios Pathé, mais je n’ai pas eu de réponse. Et comme je commençais à voir de l'agitation dans le bois, avec des gens à moitié nus, je me suis mis à frapper très fort et finalement quelqu'un a ouvert une autre porte, sans se montrer, un peu plus loin, et m’a demandé qui j’étais. J’ai répondu ‘Sugar Blue’ et la voix m’a dit ‘C’est Mick. Viens, rentre!’. Je suis entré et c’était bien Mick Jagger qui m’avait ouvert la porte. Il y avait aussi Keith, Bill et pas mal de gens avec eux. Mick m’a dit qu’on n’allait pas faire un titre spécifique, déjà composé, mais qu’on allait plutôt jouer un blues pour se mettre dans le feeling, et ce que je pensais être juste un bœuf est devenu la chanson ‘Down in the hole’, qui paraîtra sur l'album ‘Emotional Rescue’, en 1980. Après, on a continué pendant un mois dans ce studio, et on a notamment enregistré le tube ‘Miss You’. Au total, j'ai participé à trois albums des Stones: ‘Some Girls’, ‘Emotional Rescue’ et ‘Tattoo You’.

PM : Le premier titre que tu as enregistré avec eux n'était donc pas ‘Miss You’?
SB
: Non, le premier titre enregistré fut au départ juste un bœuf qui est devenu ‘Down in the hole’. Un titre qu’on n’avait ni composé ni répété. Pour moi ce fut une expérience super, surtout qu'à cette époque je jouais parfois encore dans le métro…

PM : Cette rencontre avec les Stones a-t-elle changé ta carrière?
SB
: Oui, car avant cette expérience j'avais démarché de nombreuses maisons de disques pour enregistrer mon propre disque, mais aucune n'était intéressée alors qu’après cette aventure avec les Stones, toutes les portes se sont ouvertes, hé oui (rires)…! A partir de là, j'ai pu faire mes propres chansons, enregistrer des disques et démarrer ma propre carrière.

PM : Tu avais effectivement débuté comme musiciens de session avant de faire tes propres albums…
SB
: C’est exact. J’ai commencé en participant à des sessions pour d’autres musiciens beaucoup plus connus que moi, comme Johnny Shines, Victoria Spivey, Brownie Mcghee, Roosevelt Sykes, puis j’ai rencontré Louisiana Red. Mais grâce aux conseils de cet ami qui m’avait suggéré de venir tenter ma chance en France, je suis allé à Paris, j’ai galéré, j’ai joué et j’ai fini par enregistrer deux disques chez vous, ‘Crossroads’ en 1980 et ‘From Chicago to Paris’ en 1982. Ils ont d’ailleurs été réédités en 1992 dans une double compilation sous le titre ‘From Paris to Chicago’.

PM : Puis tu es retourné aux Etats-Unis pour poursuivre ta carrière…
SB
: Oui, et en plus d’avoir participé à des enregistrements avec d’autres artistes, j’ai, au fil du temps, continuer à enregistrer des galettes sous mon propre nom: ‘Blue Blazes’en 1994, ‘In You Eyes’ en 95, ‘Right Now’ en 2006, ‘Code Blue’ en 2007, et pour finir, ‘Threshold’ en 2010. Sans compter des enregistrements ‘live’ à New-York, Cannes ou Montreux, des compilations diverses et les disques dans lesquels j’ai participé aux côtés d’autres artistes comme Stan Getz, Bob Dylan et Lonnie Brooks. Sinon, comme tu le vois, j’aime aussi beaucoup participer à des shows comme celui d’hier soir à Hondarribia, où je suis aux côtés de grands artistes comme Pinetop Perkins, Bob Margolin…

Quelques mois plus tard, Pinetop Perkins quittera ce monde matériel pour un ciel plus bleu encore, où brillent les étoiles de tous ces artistes qui ne sont plus des nôtres.

Sugar Blue