ITW de Stuart Staples, chanteur des Tindersticks

                ITW de Stuart Staples, chanteur des Tindersticks

ITW préparée et réalisée par Anne-Marie Calendini et Dominique Boulay
Traduction: Josée Wingert
Photos: Anne-Marie Calendini

C’est peu avant le dernier concert parisien donné par les Tindersticks au Bataclan en mai 2010, que nous avions discuté avec Stuart Staples, le chanteur de ce trio britannique.

PM : Comment définiriez-vous la musique des Tindersticks?
Stuart Staples :
Nous n'avons pas vraiment d'étiquette. Nous faisons de la musique comme cela nous vient, sans chercher à se placer dans telle ou telle catégorie. On a toujours été intéressé par plein de rythmes très différents et nous avons toujours baigné dans la Pop, ce qui a sans doute été déterminant dans notre envie de faire de la musique. Avec le recul, et à l'âge que j'ai, lorsque je regarde en arrière, je m'aperçois finalement qu'à Nottingham, je vivais dans une ville où il y avait de la musique partout, et de tous les genres. Voilà peut être pourquoi nous ne pouvons pas être catalogués dans telle ou telle catégorie musicale (rire).

PM : Peut-on parler de trois périodes, en ce qui concerne le groupe? La première lorsque vous formiez un trio, la seconde lorsque vous êtes passé à une formation de six membres et la troisième, aujourd'hui, alors que vous êtes à nouveau à 3?
Stuart :
Non, ce n’est comme cela que je verrais les choses. Je dirais plutôt deux phases, et pour la première, je préfère remonter au tout début, lorsque j'ai rencontré David (D. Boulter, claviers) et que l'on a voulu monter un band pour faire de la musique. Cette première phase a duré jusqu'en 2003 et depuis, nous sommes en perpétuelle évolution. Nous pouvons jouer en formation plus grande encore puisque nous avons déjà été jusqu’à une quinzaine de musiciens dans le groupe. Notre principe, c’est de toujours pouvoir accueillir d'autres musiciens à partir du moment où ils s'impliquent dans notre démarche créative.

PM : Vous avez enregistré votre premier single sous votre propre label. Qu'est-il devenu, aujourd'hui?
Stuart :
Au départ, c'était pour nous le moyen de prendre notre destinée en main, de ne dépendre de personne. Le premier disque, nous l'avons enregistré dans notre cuisine, mais nous avons rapidement changé de démarche. Ce que je veux dire, c’est que nous avons continué à jouer en cessant de nous préoccuper de savoir si les gens aimeraient ou non notre musique. Nous avons préféré nous concentrer sur ce qui nous poussait à jouer. Notre envie intérieure de jouer, quoi qu’en pensent les gens.

PM : Vous avez enregistré de nombreux singles. N'est-ce pas un peu ‘décalé’, compte tenu des moyens qui existent actuellement pour écouter de la musique, notamment avec internet?
Stuart :
Je pense qu'aujourd'hui nous revenons vers ce qui se passait dans les années 50, car même s'il existe un vrai foisonnement sur internet, il y a toujours des gens qui veulent acheter des disques et qui ont besoin de manipuler cet objet. Il y a des artistes qui se détournent d'internet, poussés par l'envie de faire des albums, d'autant qu'il existe un public prêt à les acheter. On constate d’ailleurs un certain retour vers l’achat de vinyles, d’occasion comme neufs. Je reste persuadé que malgré internet et la possibilité de stocker de la musique de manière virtuelle, des gens auront toujours envie de posséder, de toucher un album, de regarder une belle pochette, de lire un vrai livret.

PM : Cinq ans se sont écoulés entre l'enregistrement de l'avant dernier album Tindersticks et les précédents. Qu'avez-vous donc fait durant tout ce temps?
Stuart :
(sourire) Nous avons donné de nombreux concerts et nous avons travaillé à des projets indépendants, puis l'envie d’enregistrer un nouvel album nous a pris. C’est ainsi que nous fonctionnons. Même si notre groupe a déjà vingt ans, on a souvent le sentiment que l'on ne fait que commencer l’aventure.

PM : Quelles sont vos musiques de référence?
Stuart :
Il en existe pas mal, mais il y en a deux qui m’ont profondément marqué. La première, celle avec laquelle j'ai été en contact, c'était la soul, à la fin des années 60. On en entendait beaucoup à la maison, avec ma sœur aînée, même si, en pleine période disco, cette musique n'apparaissait plus au Top Forty! Un peu plus tard, vers l’âge de 12 ans, j'ai découvert la pop et depuis, on peut dire que je navigue entre les deux.

PM : Es-tu compositeur à part entière?
Stuart :
Presque…! J'écris environ 90% des paroles et des musiques pour le groupe.

PM : Tu as écrit les bandes originales de six films de la réalisatrice Claire Denis. Comment es-tu arrivé à cela?
Stuart :
Je connais Claire depuis quinze ans et nous sommes vraiment amis. Comment je travaille pour composer ces musiques de films? Tout dépend du film, déjà. Claire nous parle tout d’abord du film sujet, puis elle en écrit le script, le fait traduire, y joint des photos, des prises, des vidéos de ce qu'elle est en train de réaliser et c'est à partir de ce moment là que l'on commence à travailler la bande originale. Puis nous en discutons à nouveau afin que tout prenne sens, et souvent, c'est en visionnant encore les images que tout se met en place.

PM : Y a-t-il d'autres réalisateurs français avec lesquels tu souhaiterais travailler?
Stuart :
Non, parce que notre travail avec Claire Denis est très particulier et il est intrinsèquement lié à l'amitié qui nous unit. Lorsque nous travaillons sur une bande originale, nous mettons notre propre travail entre parenthèses, mais au final, je dois avouer que notre collaboration artistique avec Claire a eu une influence sur notre propre musique. L'exercice d’écriture de musiques de films reste un défit, même si les images t'inspirent. Claire nous laisse une liberté totale, nous laissant apporter notre propre touche, car elle n'est pas du tout du genre ‘dirigiste’. Notre collaboration est basée sur la confiance mutuelle et réciproque.

PM : Pourquoi avoir nommé votre studio ‘Le chien chanceux’? Cela a-t-il un rapport avec l'un de vos album solo intitulé ‘Lucky Dog Recording 03-04’?
Stuart :
Oui, mais je dois reconnaître que ça sonne bizarre quand on le traduit dans votre langue. Les français sont toujours surpris en traduisant le nom de notre studio!

PM : Je sais que tu vis désormais en France. Passes-tu beaucoup de temps dans l'hexagone?
Stuart :
Je voyage pas mal durant l’année, mais je travaille aussi énormément dans le studio que j’ai installé dans ma maison, ici, en France.

PM : En deux ans, tu as enregistré deux albums avec les Tindersticks dans ton studio français. Notre pays serait-il une source d'inspiration pour toi?
Stuart :
Quand nous avons commencé à jouer ailleurs qu'en Grande Bretagne, nous avons découvert plein d'endroits avec des cultures et des paysages différents. A notre arrivée à Paris, nous avons ressenti quelque chose de spécial que nous avons été incapable d'expliquer! Personnellement, c'est ce qui a motivé ma décision de m'installer et de vivre en France. Par ailleurs, j'avais envie de changement après avoir vécu à Londres pendant un certain temps. J'avais besoin de voir et de ressentir de nouvelles choses.

PM : Ce qui caractérise la musique des Tindersticks, c'est la puissance mélancolique des cordes. Pourtant, sur le dernier album, ‘Falling down a mountain’, cela semble évoluer et certains morceaux sont presque enjoués. Est-ce un virage dans votre musique?
Stuart :
C'est vrai qu'il est très facile de susciter la mélancolie avec les instruments à cordes comme les violons ou le violoncelle, instrument que nous aimons particulièrement utiliser. Lorsque nous écrivons un morceau, nous souhaitons restituer l'émotion dans laquelle nous sommes nous même. Parfois l'humeur est plus légère et nous privilégions alors d'autres instruments. C’est tout cela qui enrichit les compositions et c’est ce que nous retrouvons sur le dernier album. Ce n’est donc pas un virage, comme tu le dis, mais une transcription de ce que l’on ressent au moment où l’on écrit un morceau. Et cela peut varier beaucoup.

PM : Des titres du dernier album comme ‘Black Smoke’ ou ‘Harmony around my Table’ surprennent cette fois par leur rythme plutôt dansant…
Stuart :
Dans ces titres, c'est davantage la colère et la frustration qui s'expriment plutôt que la mélancolie ou la tristesse. ‘Black Smoke’ est une chanson qui montre que l'on est entrain de changer, que nous nous trouvons au début d'un nouveau voyage, que nous évoluons vers autre chose, sans toutefois pouvoir le définir précisément, car nous fonctionnons au feeling. La première chanson de l'album ‘Falling down a mountain’ n'a pas une construction narrative, c'est plutôt l'expression d'un ressenti et c'est quelque chose de nouveau. Cela vient du fait que nous nous accordons une liberté totale dans notre travail et que nous ne voulons pas nus cantonner à un style de musique qui nous définirait. C'est en expérimentant ensemble de nouveaux horizons que notre travail prend sens.

PM : Produis-tu d'autres artistes dans ton studio?
Stuart :
Non, pas pour le moment, j'ai trop à faire, mais peut-être un jour… Qui sait.

PM : C’est aussi votre femme qui a illustré la jaquette de l'album…
Stuart :
Oui, elle est artiste peintre et c'est elle qui nous a peint cette pochette.

PM : Maintenant que tu vis en France, t'arrive-t-il d'écouter de la musique française?
Stuart :
Oui, beaucoup! Je suis un grand fan de Léo Ferré. L'écouter m'aide à prendre conscience que si les mots que j'écris sont très importants pour moi, ils ne le sont pas autant pour ceux qui m’écoutent. Ce que je veux dire, c’est que lorsque j'écoute Léo Ferré, c'est l'émotion qui l'emporte sur la compréhension du texte. Ces dernières années, j’étais aussi devenu très ami avec Alain Bashung, et je dois avouer que c'est quelqu'un qui m'a beaucoup inspiré…! C’était peut-être le dernier ‘grand’ chanteur français. Je l'avais rencontré par l'intermédiaire de Claire Denis, il y a cinq ans, et j’ai vraiment adoré ce type. Il avait une voix et une vraie personnalité. C’était vraiment quelqu'un…! J'ai eu beaucoup de chance de le rencontrer. (silence) C'est vraiment très, très triste qu'il nous ait quittés.

PM : Allez-vous jouer aux Etats-Unis?
Stuart :
Nous l'avons fait pour l'album précédent, mais pour le moment nous nous limitons à l'Europe, car c’est en Europe que nous avons de nombreux fans qui viennent nous voir en concert. Peut-être que l'année prochaine nous retournerons aux States, car c'est vrai que là-bas il y a des personnes nous apprécient beaucoup, mais nous n'attirons pas non plus les foules. Pour le moment, du moins…(sourire).