ITW de Stan Noubard Pacha

                             ITW de Stan Noubard-Pacha

ITW préparée et réalisée par Dominique Boulay
Photos : Anne-Marie Calendini

En cette fin de mois de mars ensoleillé, nous avons été reçus par Stan Noubard-Pacha chez lui, à Paris, à l'occasion de la sortie de son premier album, ‘Ready to go’, qui démontre que le jeune homme est, sans aucun doute possible, l’un des tous meilleurs guitaristes de blues en France.


PM : Quelle est la personne avec laquelle tu as principalement collaboré pour ce premier album?
Stan Noubard-Pacha :
Avec François Fournet, qui est guitariste et joue également du banjo. Il joue du jazz traditionnel et il a son propre groupe, Blues de Paris, un groupe de blues instrumental. Nous sommes voisins et nous avons sympathisé, c'est comme ça que tout en discutant, il m'a demandé pourquoi je n'avais pas encore fait de disque, question à laquelle je n'ai pas vraiment pu donner de réponse. Du coup, il m'a encouragé à faire cet album. Il m'a beaucoup aidé au début, et l’on a faisait des séances de travail à partir de mes compositions. C'est d'ailleurs comme ça qu'il a cosigné trois morceaux avec moi.

PM : Pourquoi ce choix d'un album instrumental?
SNP :
Tout d'abord parce que je ne suis pas chanteur. On s'est posé la question de savoir si on allait avoir des invités, chanteurs ou pas, et puis très vite nous nous sommes dit qu'il valait mieux faire un disque instrumental puisqu'il porterait mon nom. Ce qui m'a permis d'explorer tous les univers qui me plaisent dans le blues. Il y a des choses un peu jazzy, des choses un peu plus funky, parce que je voulais que ce premier disque parcoure mon univers musical, ce que je suis, sans brouiller les pistes avec différents invités chanteurs.

PM : Jusqu’à cet album tu étais plutôt connu comme accompagnateur d'autres musiciens ou comme musicien de studio, mais pas comme leader.
SNP :
Oui, c’est vrai. Je joue depuis de années avec Benoit Blue Boy ou Steve Verbeke, et je joue aussi régulièrement avec un musicien que j'adore qui s'appelle Youssef Remadna, un harmoniciste et un chanteur incroyable. Depuis quelques temps je joue également avec Las Vargas, qui est un groupe de rock, et puis aussi avec d'autres formations rock comme Les Belleville Cats. On joue uniquement à Paris, dans des bars, et on fait des reprises de soul, de rhythm'n'blues. On joue en quartet et c'est un plus rock’n’roll que blues. Tu sais, j'aime bien côtoyer des univers différents du blues, même si, au final, toutes ces musiques ont des racines communes. Il y a tellement de passerelles entre chacune d'elles.

PM : Quelles sont tes origines familiales?
SNP :
Je suis né en France, mais du côté de mon père je suis d'origine turque et arménienne, et du côté de ma mère, allemande et polonaise. Mais j'ai été élevé comme un p'tit parisien (rires).

PM : Comment et pourquoi es-tu allé vers le blues?
SNP :
Je suis venu à la musique par le biais de mon grand frère qui achetait beaucoup de disques, dont beaucoup de musique américaine des années ‘40 à ’70, et j'aimais beaucoup tout ce qui était guitare et blues, aussi. Ensuite, au lycée, j'ai eu des copains qui s'intéressaient vraiment au blues, j'ai découvert Muddy Waters et j'ai participé à des groupes de blues qui se montaient.

PM : De cette époque du lycée, as-tu d'autres amis qui sont restés musiciens?
SNP :
Non, la plupart ont arrêté. Certains jouent encore comme ça, de temps en temps, mais pas de façon professionnelle.

PM : La guitare s'est-elle imposée tout de suite à toi?
SNP :
Non. Au départ, j'étais attiré par le saxophone mais le premier instrument que j'ai eu, c’était un harmonica et j'ai commencé à en jouer, mais pas forcément blues, d'ailleurs. Je repiquais de la variété américaine, des choses comme ça. Ce n'est qu'à l'âge de 13 ans que j'ai eu ma première guitare, pour mon anniversaire. Et c'est là que tout à commencé…!

PM : As-tu pris des cours?
SNP :
Non, j'ai appris tout seul. Au début, je ne savais même pas accorder ma guitare! Alors j'ai acheté des bouquins, mais, c'est surtout en jouant dans des groupes que j'ai appris. Plus tard, j'ai fait une école de jazz, pour élargir mes connaissances, et du coup je comprends mieux les harmonies de cette musique.

PM : Avais-tu invité d'autres guitaristes que François Fournet, pour cet album?
SNP :
Non, parce que je voulais quelque chose de resserré, qui me ressemble.

PM : Quels sont les guitaristes avec lesquels tu apprécies de jouer?
SNP :
J'ai eu le plaisir de jouer avec Jean-Pierre Duarte et aussi avec Fred Chapellier, qui sont tous les deux d’excellents guitaristes. Tu sais, en France, il y a beaucoup de très bons guitaristes. Cela me fait penser aussi à Franck Goldwasser, qui n'habite plus en France et qui vit désormais aux Etats-Unis, avec lequel j'ai joué ce week-end. Il est parti aux Etats-Unis à l'âge de 20 ans pour assouvir sa passion du blues, il y a joué avec des tas de gens et il est reconnu comme un très grand guitariste de blues. J'aime aussi beaucoup Anthony Stelmaszack et le guitariste-chanteur du groupe Malted Milk, Arnaud Fradin. Et je pourrais en citer des tas d'autres, encore, mais ce qui est bien, c'est que chacun a son propre style.


PM : Et pourtant, l'accueil qui vous est fait n'est pas celui que vous mériteriez d’avoir, en France! Comment expliques-tu cela?
SNP :
Le problème, je pense, c'est que si le blues est joué par des français et non pas par des américains, il y a aussitôt un apriori défavorable. Les gens pensent que ça va être gentillet, sans plus, mais je trouve que ça commence à évoluer. Doucement, mais sûrement. Il faut aussi reconnaître que le blues n'est pas très ‘vendeur’, car, par exemple, quand on dit qu’un guitariste va venir jouer du blues, les gens imaginent un vieux mec, seul avec sa guitare un peu désaccordée, et ils ont du mal à imaginer que ça puisse être plus funky ou plus jazzy, et joué par de jeunes musiciens. D’ailleurs si tu regardes qui vient aux concerts de blues, tu remarqueras qu’on voit toujours un peu les mêmes personnes. Ce qui est super, d'ailleurs, mais c'est vrai que ce serait aussi tellement bien de voir plein de nouvelles têtes. C’est ce qui est bien avec les festivals d'été, car tu peux y toucher un public plus large venu écouter d'autres musiques et qui se retrouve, là, à écouter du blues. C’est une bonne occasion qui peut les inciter à s’intéresser au blues.

PM : Il manque aussi un peu d'espace médiatique pour faire connaître cette musique…
SNP :
Oui, c'est sûr, mais je suis certain que si un jeune mec avec du charisme et susceptible de plaire aux filles, sortait un titre blues, ça pourrait servir le genre (rires). On manque sans doute de figures médiatiques pour diffuser cette musique qui, du coup, reste assez confidentielle et réservée aux initiés.

PM : As-tu déjà des dates pour cet été?
SNP :
Pour le moment, je sais que je vais jouer le 13 août dans un festival à côté d'Avignon, et qui s'appelle Cruis en jazz, sinon je vais faire plusieurs festivals avec Benoit Blue Boy et Las Vargas.

PM : As-tu un manager qui s'occupe de te trouver des dates?
SNP :
Non, je m'occupe de tout moi même. Depuis quelques mois, avec toutes les participations que je fais, notamment avec les groupes que j'accompagne, mon calendrier commence à être bien rempli…!

PM : Et où en es-tu, avec Neal Black? Tu ne joues pas sur son dernier album…
SNP :
Non, mais quand on se retrouve et que l’on joue ensemble, c'est dans le cadre d’un projet qui s'appelle Blues Conspiracy, auquel je collabore depuis quelques années. Je fais également partie du projet Drinkhouse Preachers dans lequel je joue de la guitare acoustique, formation dans laquelle je retrouve Alain Leadfoot Rivet, Neil Black et Pat Boudot Lamot. Ce qui me change un peu, puisque je joue de la guitare acoustique.

PM : Justement, quelles guitares électriques utilises-tu sur ton album?
SNP :
Une Stratocaster des années 80, et depuis quelques temps, je possède une Melody Maker. C'est une guitare très légère que j'utilise beaucoup en ce moment car j'adore le son qu'elle produit. J’ai aussi une guitare de jazz, une Ibanez.

PM : Et côté amplis?
SNP :
Hé bien comme j'ai l'inconvénient de ne pas conduire, car n'ayant pas mon permis, au lieu d'acheter des voitures, j'achète des amplis (sourire)…! Et je les laisse au domicile des personnes chez qui je joue.

PM : Ce qui veut dire que pour des festivals ou des concerts, tu arrives avec ta guitare et tu la branches?
SNP :
Voilà, exactement! L'idéal est de jouer sur un ampli que tu connais, mais je me suis très vite rendu compte qu'il faut savoir jouer sur le back line qui est sur place et donc j'ai appris à faire avec. La plupart du temps, ça se passe bien, même si parfois je tombe sur des amplis que j'aime moins que d’autres… Mais justement, je trouve que c'est intéressant de se confronter à cette difficulté supplémentaire.

PM : Qui écoutes-tu comme bluesmen, en ce moment?
SNP :
Hé bien…, ceux auxquels je reviens toujours, ce sont les trois King, à savoir B.B. King, Albert King et Freddie King. Il y en a plein d'autres, comme T-Bone Walker, qui est incontournable, mais je l’écoute un peu moins en ce moment, et puis il y avait une époque où j'écoutais beaucoup Ronnie Earl et Duke Robillard. Après, il y a eu Otis Rush, puis….tellement d'autres, et te les citer tous te remplirait trop de pages…(rires).

PM : Par contre, le Bottleneck ne semble pas être ton truc…
SNP :
Non, c’est vrai. Je laisse cette technique à ceux qui savent faire (rires)…! J’ai essayé un peu, je dois le dire, mais je n'aime pas jouer en ‘open’, probablement parce que je suis assez fainéant (rires)…! Je trouve qu'il est déjà très difficile de jouer sur une guitare accordée, alors en open, t’imagines… Les rares fois où j'ai du en jouer, ça devait être sous la menace (rires)…!!! Non, sérieusement, je suis plus à l'aise dans le jeu standard. Par contre, j'adore en écouter, du Bottleneck.


PM : Keith Richards explique, dans sa biographie, qu'il s'est rendu compte qu'il jouait sur 5 cordes au lieu de 6. Toi, tu joues sur toutes les cordes de ta guitare?
SNP :
Chaque guitariste a sa manière de faire. Moi, je joue standard, sur 6 cordes, mais faut bien laisser des guitaristes explorer de nouvelles techniques (sourire).

PM : Prends-tu toujours autant de plaisir à jouer?
SNP :
Ah oui, et pourtant les conditions ne sont pas toujours bonnes. Parfois tu arrives sur un concert et le son de la salle est terrible, ça peut être assez désespérant. Il faut alors se fixer un challenge et relever le défit, mais c'est tout. En ce moment je joue beaucoup, avec des groupes différents, et je sens que je progresse sur certaines choses. C'est très motivant, mais surtout je m'attache à prendre du plaisir à jouer avec les musiciens que j'accompagne. Pour moi la dimension humaine est très importante. Il m'est arrivé de jouer avec des gens que je n'appréciais pas, sur le plan humain, et alors ça devient une telle punition que ce n'est pas du tout pour moi. En fait, l'idéal est de jouer avec des gens que tu aimes bien, et devant un public venu pour t'écouter, parce que s’il y a de l'entente et du respect entre les musiciens, la musique que tu joues s'en ressent et le public capte ça très bien.

PM : Quels sont tes projets dans l’immédiat?
SNP :
Hé bien, comme je te le disais, je fais beaucoup de choses avec différents artistes. Maintenant, c’est vrai que j'aimerais pouvoir défendre mon disque. J'ai fait deux concerts sous mon propre nom et ça m'a beaucoup plu. D'autant que je ne suis pas quelqu'un d'extraverti, en public. Être sur le devant de la scène, c'est un truc nouveau pour moi et un peu flippant, je dois l’avouer, mais quand ça se passe bien, c'est génial. Il y a eu le concert du New Morning puis le festival du Mont Dore. C'est une autre responsabilité d'être sur le devant de la scène, car il faut choisir les morceaux que tu va jouer, choisir l'ordre, penser à plein de choses, et c'est un peu déstabilisant, au début, parce que je suis habituellement plutôt un accompagnateur. Mais c'est grisant aussi de défendre des morceaux que tu as écris. Et oui, j'aimerais bien développer ça.

PM : Avec combien de musiciens te produis-tu sous ton nom?
SNP :
Nous sommes un quartet: une basse avec Thibaut Chopin, une batterie avec Simon Boyer et deux guitares, dont moi et Nicolas Duportal. Sous réserve des disponibilités de chacun, bien sûr.

PM : Sur quels critères as-tu choisis l'autre guitariste du quartet?
SNP :
Il faut avant tout que ce soit quelqu'un avec qui je m'entende bien. Après, il faut qu’il soit d’un niveau de jeu de guitare équivalent au mien, mais si l'autre guitariste joue mieux que moi, cela ne me gêne pas du tout (rires)…! A partir du moment où les egos sont bien placés, deux guitaristes peuvent jouer sans problème ensemble, car jouer à deux guitares n'est pas simple. Il faut beaucoup d'équilibre et de respect entre les deux musiciens pour que cela fonctionne. Ce qui est certain, c'est que le guitariste qui m'accompagne n’est pas là en vitrine, car je le mets à contribution pour qu'il s'exprime, d'autant que sur des compositions instrumentales, il y a de la place pour tout le monde.

PM : Si tu devais prendre un chanteur ou une chanteuse, quel serait son profil ?
SNP :
Déjà, si je joue avec un chanteur ou une chanteuse, ça ne sera pas sous mon nom. On monterait alors un groupe où chacun aurait son mot à dire. Mais je ne tournerai pas avec un chanteur ou une chanteuse dans une formation qui n’aurait que mon seul nom en tête d’affiche.

PM : Ne penses-tu pas qu'un album instrumental soit plus ardu à écouter?
SNP :
Oui, sans doute, et le challenge est plus grand avec un instrumental, y compris sur scène, d'ailleurs. Il faut veiller à ne pas lasser le public, notamment avec des solos de guitare à n'en plus finir. C’est pourquoi j’ai à cœur de créer des ambiances et des titres construits comme des chansons avec des refrains.

PM : Puisque tu as la gentillesse de nous recevoir chez toi, peux-tu nous dire si c’est bien ici que tu as composé ton album…
SNP :
Oui, oui, car je n’ai pas encore de grande résidence secondaire (rires). En fait, j’ai cherché des pistes musicales ici, chez moi, et ensuite je les ai travaillées chez François Fournet. D’ailleurs lorsque nous avions rendez-vous pour une séance de travail et que François me demandait de réfléchir en amont à des idées, c'est toujours au dernier moment que des choses concrètes m'apparaissaient. J'ai souvent travaillé comme ça, dans l'urgence, pour ne pas arriver les mains vides à une séance de travail.

PM : Avoue, déchiffres-tu la musique?
SNP :
Non, je travaille essentiellement à l'oreille. J’avoue, je ne lis pas les notes, je ne sais pas noter le rythme, ce qui n'est pas bien d'ailleurs, mais ce serait très dur de m’y mettre aujourd'hui. Ceci dit, dans le milieu dans lequel j'évolue, la plupart des musiciens sont comme moi. Quand j'ai des idées ou quand je trouve une mélodie, je l'enregistre pour en avoir une trace, mais encore une fois, si c'était à refaire, j'apprendrais à lire et à écrire la musique, car même si ce n'est pas indispensable, c'est beaucoup mieux de maîtriser ce savoir.

Stan Noubard Pacha