ITW de Sîla

                                               ITW de Toguna

ITW préparée et réalisée par Dominique Boulay
Photos : DR


C’est à l’occasion de la sortie de leur nouvel album, ‘In Colors’, que j’ai rencontré les membres de Toguna. Ils étaient à Paris pour quelques jours, jouant notamment à La Maroquinerie le lundi 18 avril.

PM : Sîla, est-ce que l’on peut dire que tu es le leader du groupe?
Sîla
: Oui, je suis Sîla, le leader du groupe Toguna qui est originaire de la Réunion.

PM : Que signifie Toguna?
Sîla
: C’est un mot malien qui veut dire ‘Maison de la parole’, c'est-à-dire une case à palabres, là où l’on se réunit pour discuter. Nous, on a choisi de discuter avec la musique car nous venons de cultures et de styles différents. Il y a un mauricien qui s'appelle Kingsley Dnnaram, moi qui vit à la Réunion depuis 15 ans, d'autres qui sont de La Réunion, comme Daoud Latchoumane et Yoland Tailamée, et puis aussi des anglais comme le bassiste Phil ‘Soul’ Sewell et le batteur Richie Stevens qui ont joué sur les disques de Keziah Jones, Gorillaz, Joss Stone et pas mal d'autres artistes encore. Nous nous sommes rencontrés sur des festivals et ils connaissaient notre musique, car nos styles sont assez proches. Ils connaissaient notre premier album, ‘Sans Frontières’, et cela s'est donc fait assez naturellement. Faut bien dire aussi qu’on avait vraiment envie de jouer avec eux.

PM : Et votre rencontre avec Nathalie, des Blue King Brown australiens?
Sîla
: Nathalie Pa’apa’a, nous l’avons rencontrée au festival AWME, à Melbourne, en 2009. C'est un grand festival de world music en Australie et l’on a joué ensemble sur la même scène. Du coup, on a sympathisé et on s'est rapidement retrouvé chez elle à faire des bœufs. Les choses se sont faites comme ça et elle a fini logiquement en invitée sur notre dernier album!

PM : Votre premier album, ‘Sans Frontières’, était autoproduit…
Sîla
: Oui, on l'avait autoproduit. C’était notre premier album après sept années de scène, quand même! On avait pris le temps de le produire et de l'enregistrer à la Réunion, puis il a été repris en licence et il est sorti sur le label Sakifo Records qui est distribué par Wagram en France. Il est également sorti au Japon sur le label qui sort Tété et d’autres artistes dans ce style là. ‘In Colors’ est sorti aussi chez Sakifo Records en coproduction avec nous, et toujours distribué par Wagram.

PM : Peut-on dire que votre musique est de tradition réunionnaise et antillaise?
Sîla
: Non, car nous ne jouons pas de musique traditionnelle réunionnaise, on est à fond pour l'ouverture sur les musiques du monde. Disons qu’on est davantage affilié à la World Music. On aime l’idée que notre musique ‘voyage’, comme nous même nous voyageons. C’est la raison d’ailleurs pour laquelle on chante en anglais, pour partager avec le maximum de gens et s'ouvrir à beaucoup d'autres cultures. Quand on va au Japon ou en Australie, les gens peuvent comprendre nos textes. Si on chantait en Créole, ce serait exclusivement réservé à la Réunion, ce qui n'est pas notre but, même si on aime bien glisser parfois des couplets en créole dans nos chansons.

PM : L'anglais aurait donc selon vous une dimension plus universelle?
Sîla
: Oui, c'est cela. Nous touchons plus de gens et puis, ce qui est important, c’est aussi la musicalité de cette langue. Moi, par exemple, j'ai toujours chanté en anglais. J'aime bien le français, j'aime bien écrire en français, mais je préfère chanter en anglais,…pour la musicalité de la langue.

PM : Tu nous disais que tu vis à la Réunion depuis 15 ans. Mais où étais-tu donc avant?
Sîla
: Avant, j’ai pas mal voyagé. J’ai vécu en France, à côté de Paris, et puis j'ai eu envie de vivre d'autres expériences, plus loin, et je suis parti très loin (rires). Je suis issu d'une famille de musiciens. Mon père est musicien, auteur, compositeur, mais il n'en a pas vécu car il a fait d'autres choses à côté. On peut dire que j'ai toujours vécu avec la musique. J'ai joué un peu de tous les instruments et dès l'âge de 14-15 ans je me suis mis à écrire des chansons.

PM : Déjà dans un style world music?
Sîla
: J'ai eu une culture très éclectique. Mon père écoutait de tout, aussi bien Ray Charles que Georges Brassens, et il y a toujours eu ce mélange des genres autour de moi, même si ce n'était pas de la world au sens habituel du terme. Dans Toguna, il se trouve qu'on mélange le côté réunionnais avec le Kayamb qui est un instrument typique. Sur la chanson ‘Samaloya’, par exemple, on a essayé de faire un truc différent tout en parlant de quelque chose de traditionnel. On y raconte l'histoire du Maloya, avec la musique des esclaves
interdite par la loi jusqu'en 1981, et en même temps on ne joue pas du Maloya. Du coup, à la Réunion, ça a fait parler, et nous, on n'est pas mécontent de secouer la culture un peu comme ça.

PM : Et quel est ton rapport avec le blues?
Sîla
: Le blues est une de mes influences majeures. Ce qui me plait, c'est son coté ‘soulful’, c'est-à-dire une musique qui a une âme et qui vient du cœur. Le blues acoustique est pour moi l’une des racines de nombreuses musiques. Je ressens cela en tant que guitariste, oui, mais tout particulièrement quand je joue de la slide. Elle donne tout de suite une couleur et même une inspiration blues à ce que tu joues, quel que soit le riff que tu joues. C'est un instrument qui vient du blues et cela se sent! Tu sais, j’ai commencé à jouer de la slide comme les vieux bluesmen, avec un culot de bouteille sur une guitare standard dont j'avais surélevé les cordes. J'ai d’ailleurs joué comme ça assez longtemps, avant d'avoir un sponsoring avec la marque australienne Cole Clark. J'ai aussi découvert de nombreuses facettes du blues à travers les artistes qui m'ont influencé, comme Ben Harper, Jimmy Hendrix, les Beatles, Marley, Led Zeppelin… Tous ont une inspiration blues dans leur musique! Puis j'ai écouté ensuite les bluesmen de la génération d'avant, comme Son House, Robert Johnson, Mississippi John Hurt. Dans notre musique, on retrouve bien sûr l'influence du Maloya, la musique traditionnelle de la Réunion, qui est un véritable style de blues local. Le Maloya, c’est un blues africain où tout réside dans le chant, un blues sans guitare, en fin de compte.

PM : Parce que vous jouez beaucoup à la Réunion, je suppose…
Sîla
: On y a beaucoup joué, forcément, et l’on y joue encore souvent, mais on tourne de plus en plus, pour essayer de faire de grandes scènes internationales.

PM : Votre musique est donc également appréciée à l’étranger…
Sîla
: Dès le premier album, notre musique a voyagé grâce à internet. C'est parti très fort au Japon, en Australie et aux Etats-Unis aussi, où des gens voulaient travailler avec nous, via MySpace. D'ailleurs les approches par le biais des réseaux sociaux et d'internet continuent. C’est une bonne opportunité pour des groupes comme nous, le net.

PM : Justement, votre dernier disque a été enregistré à Londres, mixé en Allemagne et masterisé à New York. Est-ce le résultat de tous ces contacts?
Sîla
: Oui, et puis on retrouve toujours un peu la même famille, celle du folk, de la soul, du reggae. On travaille avec les mêmes gens, Patrice, Ayo, Nneka, et ça crée une sorte de circuit, car ce sont des gens qui travaillent déjà entre eux et ça fonctionne bien.

PM : Tu es parrainé par la marque de guitare australienne Cole Clark. Comment est-ce arrivé?
Sîla
: Un jour, je leur ai demandé des prix pour acheter un de leurs modèles de guitare, en leur montrant également un peu le style que je jouais en leur envoyant des liens vidéo et il se trouve que la marque a adoré. Du coup, elle m'a proposé un parrainage artistique. Ce qui nous a permis de bénéficier de trois guitares, dont la slide guitare avec laquelle je joue sur les genoux et qui a un manche creux, style guitare hawaïenne. Ces guitares coûtent très cher car ce sont des guitares de luthiers. Cette marque parraine aussi Ben Harper et Jack Johnson, par exemple.

PM : Justement, j'allais évoquer l'atmosphère musicale de votre album et que l'on retrouve chez des musiciens comme Ben Harper ou John Butler.
Sîla
: C’est vrai qu'on fait le même style de musique, celui où se croisent les genres musicaux, et comme moi j'aime beaucoup ce qu'ils font, peut être que cela m’a influencé…

PM : Ils devraient bien aimer ce que tu fais!
Sîla
: Hé bien, il faudrait que tu le leur demandes (rires)…!

PM : Je n'y manquerai pas… Quels sont vos projets actuels?
Sîla
: Continuer à voyager et à faire découvrir notre musique.

PM : Sentez-vous une attente pour ce style de musique?
Sîla
: Oui, vraiment! Partout où l’on joue, ça fonctionne bien. Aujourd'hui c'est difficile d'être mis en lumière, surtout sur un label indépendant, alors on essaye de se développer en faisant de la scène, en rencontrant les gens, en multipliant les expériences. Et c’est en jouant sur scène que l’on comprend et ressent vraiment ce que les gens attendent comme musique.

PM : Peut être faudrait-il chercher un autre label…
Sîla
: Non, car on travaille avec des gens qu'on aime bien. Pour l'instant, ce travail indépendant avec des gens qui veulent rester libres nous convient bien. On a des buts communs et on avance comme ça. En plus, on a enregistré avec la ‘dream team’ qu'on voulait, alors on n'a vraiment pas besoin d’aller chercher ailleurs.

PM : Comment s'est passé l'enregistrement, à Londres?
Sîla
: Au départ, on a envoyé la maquette et moi j'avais arrangé les morceaux. Ensuite, le bassiste et le batteur nous ont apporté leur expérience. Ils ont apposé leur touche personnelle car ils se sont vraiment investis dans le projet. Ils étaient là pour l'enregistrement et quand cela a été fini, ils sont repassés pour voir ce que donnaient les voix et l'ensemble. Ils ont enregistré très ‘live’, et on a eu besoin de ne toucher à rien. Aujourd'hui, comme tu le sais, la plupart des productions est retouchée, mais là ce ne fut pas le cas. L’ensemble basse-batterie, c'est vraiment du live!

PM : Sîla, c'est toi qui écris paroles et musiques?
Sîla
: Oui, et le Top c'est lorsque paroles et musique arrivent en même temps! Mais la plupart du temps, c'est la musique qui vient en premier, rarement les paroles. J'ai d'abord des musiques qui me trottent dans la tête, puis quelques temps après les mots arrivent. Je m'inspire de ce que je vis, de mes voyages, de ce que je vois et entends. Parfois j'ai envie de réagir par rapport à des choses et les textes peuvent être plus engagés, mais disons ‘gentiment engagés’ car je ne me compare pas aux militants qui agissent sur le terrain! Ceci dit, la musique véhicule des messages qui peuvent toucher un maximum de gens et dans mes textes je suis honnête, je dis ce que je pense, aussi bien dans les chansons d'amour que dans les autres.

PM : Et toi, Aurélie, qui est la manageuse du groupe, quel est ton rôle avec Toguna?
Aurélie
: Je fais différentes choses, comme les clips des chansons. Je travaille toute l'année avec eux et je m'occupe de tout ce qui est organisation, car nous avons aussi une tourneuse qui s'occupe de trouver des dates de concerts, surtout en Europe.

PM : Vous qui êtes voisins de l’Afrique, avez-vous déjà joué sur ce continent?
Sîla
: On a fait une tournée de 15 jours à Madagascar, et ce fut une super expérience. Quinze jours de tournée en bus (rires).

PM : Que diriez-vous de la vie culturelle à la Réunion?
Sîla
: La Réunion, c'est tout petit mais il y a beaucoup de groupes. Ce qui est intéressant, c'est que la jeune génération mélange sans complexe différents styles musicaux. Il existe un vrai vivier créatif et il faut bien dire aussi que c'est un endroit très inspirant. Nous qui voyageons pas mal, c'est toujours à la Réunion que nous créons nos chansons. Il y a un côté paisible là-bas. Moi, par exemple, je surfe tous les matins, et ce rythme, ce style de vie, est pour moi propice à la création. Maintenant, c'est vrai qu'il est important de sortir de cet univers et d'aller voir autre chose, surtout pour jouer, car La Réunion c'est petit et tu peux très vite tourner en rond. Mais de façon générale, la musique est importante, là-bas. Tout le monde chante plus ou moins, sur cette île. En résumé, si tu veux, vivre là-bas et tourner en dehors, c'est top!

PM : Vous sentez-vous des ambassadeurs de cette île, quand vous jouer à l'extérieur?
Sîla
: Disons qu’on se sent plus des ambassadeurs du Rhum Charrette (rires)…! Plus sérieusement, quand on va dans des endroits comme le Japon, où La Réunion est peu connue, on a parfois l'impression de jouer le rôle de l'office du tourisme réunionnais, c'est vrai! On avait demandé au Rhum Charrette de nous sponsoriser, mais bon, ça ne s'est pas fait. Par contre, on a des aides de la région, car ils ont bien compris qu'on pouvait être un élément moteur pour le tourisme local.

PM : Existe-t-il des grands festivals de musique à la Réunion?
Sîla
: Oui, il y en a un organisé par les gens de notre label, qui s'appelle le Safiko Musik Festival. C'est un festival international qui a lieu le 11 juin, cette année, et on va d'ailleurs s'y produire. Il a lieu à Saint-Pierre, et c'est sa 8ème ou 9ème année d'existence, je ne sais plus…(rires). Nous, ça fait trois ou quatre fois qu'on y va, et cette année on sera sur la plus grande scène.

PM : Vous utilisez beaucoup internet pour diffuser votre musique et vous faire connaître…
Sîla
: Oui, c'est un super outil pour communiquer sur ce qu'on fait, que ce soit en passant par Facebook, MySpace ou You Tube. Nous, on aime bien mettre en ligne des sessions acoustiques filmées, une par semaine quasiment.


PM : Pourtant vous n’avez pas de site web officiel…
Sîla
: Exact, on n'a pas de site officiel, mais les gens peuvent nous découvrir sur Facebook, MySpace et You Tube. Internet est un véritable outil de partage et de promotion, et sans ça, on ne serait pas aller jouer au Japon ou en Australie. Internet, c’est un moyen pour échanger, oui, mais c’est aussi une vitrine qui ouvre des portes et des frontières.

PM : Toi, Sîla, tu joues sur différentes guitares…
Sîla
: Oui, je joue de la slide, de la guitare standard, et de la 12 cordes aussi. Quand tu joues de la slide, c'est comme si tu jouais d'un autre instrument qu’une guitare. C’est très différent, techniquement.

PM : Est ce que tu as enseigné la guitare?
Sîla
: On me l'a souvent demandé… En fait, je l'ai fait pour des amis, mais je n'en ferais pas une activité rémunérée.

PM : Toi qui es dans le don de soi et le partage, as-tu déjà pensé à donner des cours bénévolement, dans des écoles, par exemple, comme le font d'autres musiciens, comme Otis Taylor, Billy Branch ou Joe Bonamassa?
Sîla
: Oui, c'est une démarche qui me plairait beaucoup. On en parlait, d'ailleurs, d'aller dans les écoles pour montrer ce qu'on peut faire avec une guitare, aussi bien en solo, qu'en groupe. Et puis aussi expliquer que c'est à force de travail qu'on parvient à créer et sortir des compositions qui peuvent toucher les gens. La musique reste un lien fort entre les personnes.

PM : Pour finir cette interview, je ne résiste pas à vous demander comment vous trouvez la vie parisienne…?
Sîla
: Hé bien, franchement, quand on est de passage comme ça, c'est très bien! Les gens qu'on rencontre sont plutôt cool et on profite des magasins de musique, surtout qu'on n’est pas loin de Pigalle. Après, je ne sais pas si j'aimerais vivre ici tout le temps…

Toguna