ITW de Shawn Pittman

ITW de Shawn Pittman

ITW préparée et réalisée par Jean-Christophe Baugé
Photos : Jean-Christophe Baugé – www.myspace.com/deadlypix
ITW réalisée au Spring Blues Festival, Marche-lez-Ecaussinnes, Belgique, le 19/05/12

Shawn Pittman – ‘Too hot !’

Les temps sont durs: Pierre Degeneffe et son équipe organisatrice ont dû réduire la voilure pour le 25ème anniversaire du Spring Blues Festival… Cinq groupes seulement au programme, avec l’accordéoniste Dwayne Dopsie dans le rôle de la tête d’affiche controversée (excellent choix, a posteriori). Si l’édition 2012 n’a déplacé que les inconditionnels, elle a été l’occasion de retrouver l’ex-jeune prodige de la six-cordes Shawn Pittman qui sortait son premier brûlot Burnin’ Up il y a tout juste quinze ans. Issu du comté de Cleveland dans l’Oklahoma, Shawn est parti voir du côté de Dallas (il intègre la ‘Booker T. Washington High School For Performing And Visual Arts’) puis d’Austin au Texas si l’herbe était plus verte. Mauvais calcul: l’état de santé de l’industrie musicale est tel que toute carrière artistique sédentaire est vouée à l’échec. Shawn se montre donc – encore trop rarement – de ce côté de l’Atlantique pour le plus grand plaisir des fans…allemands et belges.

Tu arrives tout droit du Bluesfest Eutin (Allemagne)…
Shawn Pittman : Nous sommes partis juste après le show pour venir ici. La route a été longue, j’ai eu le temps de dormir dans le van. Nous sommes arrivés à midi, et j’ai encore roupillé deux heures à l’hôtel.

Qui t’accompagne sur cette tournée?
Boyd Small (NDLR: batteur de Monti Amundson et co-fondateur du label Cool Buzz) à la batterie, il vit à d’Amsterdam. Et deux Allemands: Christian Bleiming (huit albums solo dont le dernier avec Matt Walsh à l’harmonica) au piano et Erkan Özdemir à la basse. Erkan est le bassiste de Memo Gonzales And The Bluescasters. Ces trois gars m’ont souvent accompagné lors de mes périples européens.

Comment as-tu appris la musique?
Ma grand-mère était pianiste de Boogie Woogie, j’ai donc commencé par le piano, à huit ans. Je gratouillais également sur la guitare de mon grand-père, jusqu’à ce qu’un de mes copains, Bracken Hale, vienne à la maison jouer du Jimmy Reed et du Chuck Berry. Je l’ai d’abord accompagné derrière le kit de batterie de mon grand frère. Puis je me suis fait la main en reprenant Lightnin’ Hopkins, John Lee Hooker, Muddy Waters sur une acoustique, avant de passer à l’électrique. J’habitais à Norman dans l’Oklahoma à l’époque, puis à 17 ans j’ai déménagé à Dallas, à 3 heures de là, car j’adorais la scène texane: The Fabulous Thunderbirds, Mike Morgan, etc.

Tu n’as jamais pris de cours ?
Je suis un pur autodidacte. J’apprends énormément des artistes avec qui je jamme.

Les Français te connaissent encore peu. Quels ont été les moments marquants de ta carrière sur les labels Cannonball, Feelin’ Good et Delta Groove?
J’ai signé chez Cannonball Records à 22 ans. Je n’ai jamais eu de manager, j’ai toujours été seul pour gérer mon business, ce qui n’est pas forcément bon. Quand le label a coulé en 1999, je me suis installé à Austin: j’ai commencé à sortir des disques autoproduits, à écumer la scène locale…, jusqu’à ce que j’arrête les frais entre 2006 et 2008. J’ai effectué mon come-back en 2009 avec l’album Meridian, toujours autoproduit. Puis Tano Ro, le patron du label italien Feelin’ Good, qui voulait me faire revenir jouer en Europe, a mis sur le marché Movin’ And Groovin’, une compilation de mes quatre premiers disques. Je suis donc revenu sur le vieux continent en 2010. J’ai encore sorti Triple Trouble sur Feelin’ Good avec les frères Moeller (NDLR: Johnny, guitare, et Jay, batterie, des Fabulous Thunderbirds) avant de rentrer chez moi en 2011. Je me suis remis à composer à la guitare, au piano, à la batterie et à m’enregistrer tout seul (seul Jonathan Doyle intervient au sax). J’ai envoyé les bandes à Delta Groove qui a sorti Edge Of The World. Je ne pense pas qu’on puisse réellement parler de carrière en ce qui me concerne, je joue et sors des disques depuis vingt ans, c’est tout (rires). En tout cas, le fait de travailler avec Erkan, un bassiste de légende, a ravivé la flamme.

Pourquoi avoir jeté l’éponge en 2006?
J’étais fauché. J’en étais à me demander si je n’avais pas fait fausse route pendant tout ce temps. J’ai travaillé deux ans dans un bureau et acquis de nouvelles compétences en informatique, en management. Puis j’ai retenté le coup, j’avais désormais plus confiance en moi. Mais ce business reste très dur. Je suis un peu cyclothymique: parfois j’ai envie de déprogrammer toutes mes dates, mais je ne peux m’empêcher d’enregistrer de nouvelles chansons pour reprendre les tournées de plus belle.

Comment a été accueilli Edge Of The World?
Plutôt bien. Il a été classé en 2011 dans le Top 50 du magazine américain Living Blues et dans le Top 10 de plusieurs sites spécialisés. Malgré les retours très positifs, je n’ai pas pu le défendre en live, car je perds énormément d’argent à chaque fois que je tourne aux USA. C’est un problème récurrent depuis plusieurs années.

Sais-tu à combien d’exemplaires il s’est écoulé?
Aucune idée. Probablement pas beaucoup (rires).

Comment qualifierais-tu ton style de chant et de guitare?
Je chante et joue différemment chaque soir. Certains disent que j’ai des intonations à la Johnny Guitar Watson dans l’aigu. Quand je suis en forme, ce qui n’est pas le cas en ce moment, je me considère comme un guitariste qui peux chanter correctement, un peu comme Otis Rush ou B.B. King. Mes chanteurs préférés viennent de la Soul: Bobby Bland, Johnnie Taylor et O.V. Wright. J’aime crier, abuser du vibrato, quitte à chanter un peu faux…, c’est mon style. Niveau guitare, je suis influencé par Lightnin’ Hopkins, Albert King, Freddie King et Magic Sam. Il m’arrive de jouer sans médiator. Je suis plutôt Fender et je n’utilise que très peu d’effets. Je ne suis pas un adepte de la démonstration stérile, je ne joue que les notes qui ont un véritable sens.

Quelle est ta guitare préférée, dans ta collection?
Sans aucun doute ma Kay des années 50. Viennent ensuite mes Strat’.

Parmi tes collaborations passées (Tommy Shannon et Chris Layton de Double Trouble, Johnny et Jay Moeller des Fabulous Thunderbirds…), quelles sont celles qui t’ont laissé le meilleur souvenir?
On se connait depuis longtemps, avec les frères Moeller. On a tellement tourné ensemble qu’en studio on peut enregistrer très rapidement. J’ai été le sideman de James Cotton, Hubert Sumlin et Willie Big Eyes Smith alors que je prenais encore des cours: c’était fun. J’ai accompagné Susan Tedeschi en 1999. L’année suivante, j’ai joué avec Double Trouble… Le rêve! Par contre, je n’ai pas encore croisé le fer avec Jimmy Vaughan.

Tu as pu voir Stevie Ray sur scène?
Non, il est mort en 1990, quand j’avais 16 ans : je passais alors mon temps à enregistrer les tubes de la radio sur cassettes (rires). Ce n’est qu’après m’être intéressé à la musique roots que j’ai pu prendre toute la mesure de son talent.

Tu as déjà repris Bob Dylan (It Takes A Lot To Laugh, 2001), Jimmy Reed (The Judge Should Know, 2010) et bien d’autres sur l’album Too Hot. Quelle est ta cover préférée?
Probablement Turn Your Damper Down, de Jerry McCain. La version est brute de décoffrage et les paroles sont cool.

Qu’as-tu appris de tes précédents producteurs – Jim Gaines, par exemple – et qu’ont-ils appris de toi?
Jim a été le premier à me conseiller de mettre en avant mes riffs les plus personnels pour bâtir une chanson autour. Il était très fort pour replacer mes idées dans le bon contexte. Il m’a dit avoir commencé sa carrière en mixant Laundromat Blues d’Albert King à Memphis (NDLR: Stax, 1966). C’est un gars super sympa, mais ça fait un bout de temps que je ne l’ai pas croisé. Tout ce qu’il a pu apprendre de moi, c’est que je ne connaissais absolument rien aux techniques d’enregistrement (rires). J’ai ensuite acquis suffisamment d’expérience pour bien placer les micros et obtenir les sons que je voulais. Je connais bien Pro-Tools également, même si je m’en sers peu.

Que penses-tu du roster de Delta Groove Records?
Delta Groove a bien bossé sur Ana Popovic car elle rencontre beaucoup de succès. Idem pour Rod Piazza et Elvin Bishop qui sont des artistes bien établis…

Tu peux toujours oser une pochette d’album sexy à la Unconditionnal pour élargir ta fan-base. Connais-tu les autres artistes à l’affiche de ce 25ème Spring Blues Festival (John Primer, Dave Weld, Junior Watson, Dwayne Dopsie)?
Je ne connais que Junior Watson et Andy Just (NDLR: respectivement guitariste de Canned Heat et harmoniciste du Ford Blues Band).

Laquelle de tes chansons te définit le mieux?
Ça dépend des jours, mais je dirais Call ‘Em How I See ‘Em, de l’album Meridian (2009).

Quels ont été les meilleurs et les pires moments de ta carrière?
Le meilleur: ouvrir deux soirs pour B.B. King au House Of Blues de Houston (NDLR: les 21 et 22/11/08). Le pire: jouer au marché aux requins sur un parking du port de Bordeaux (rires).

Quelle est la chose la plus dingue qu’un(e) fan t’ait demandé?
Une dédicace des seins, sans doute. Bon, on a déjà vu plus hard dans le métier.

Est-il encore possible de vivre de sa musique?
Oui et non. Seul, tu peux survivre, mais pas si tu as une famille à charge. Je suis marié et je veux des enfants, donc…

Quel(s) conseil(s) donnerais-tu aux jeunes musiciens qui se lancent dans le monde des pros?
Il ne faut jamais perdre de vue la raison pour laquelle on fait ce métier: la musique, et seulement la musique. Ne buvez pas, ne vous droguez pas, travaillez votre instrument, respectez les horaires. Si vous avez la chance d’aller à l’école, soyez assidus pour obtenir un diplôme: ce sera utile pour décrocher un job alimentaire pendant les périodes de crise de l’industrie musicale. Ne jouez pas pour faire la fête non-stop, mais pour évoluer en tant que musicien. J’étais constamment déchiré il y a quelques années: je pensais plus à faire la fête qu’à me concentrer sur ma musique, à tel point que je ne progressais plus.

Tu te saoulais avant ou après le show?
Avant, pendant et après (rires).

Quelle est la personne la plus importante que tu aies rencontrée?
Ma femme…!

Quels sont tes hobbies en dehors de la musique?
Je suis fan de BD de super-héros: Batman, Superman, Spiderman, Hulk, The Avengers… Le film est d’ailleurs assez réussi. J’aime le football américain, le basket et le baseball. Mais j’avoue que je passe le plus clair de mon temps sur une X-Box 360…ou sur une PSP, en tournée (rires).

Quels sont les albums de 2012 qui t’ont marqués?
Choose, de Big Pete Pearson and The Gamblers, et Everybody’s Talkin’ de Tedeschi Trucks Band. Avec ma femme, il nous arrive aussi d’écouter du Classique pour nous détendre: Beethoven, Haendl…

Est-elle musicienne?
Non.

Comment est la vie à Austin, Texas?
Extrêmement ennuyeuse. Il n’y a plus de boulot pour les bluesmen. C’est dommage car c’est une ville assez cool où il fait bon vivre. Mais c’est le cas partout ailleurs. Dès que tu te poses trop longtemps au même endroit, tu connais tout le monde et tout le monde te connaît: le public sature. Je ne fais plus partie de la scène locale comme c’était le cas auparavant. Des clubs ferment, d’autres ouvrent, de nouveau musiciens débarquent…et ils jouent pour rien.

A 37 ans, es-tu plus sage qu’à l’époque où tu as enregistré Burnin’ Up?
Oh oui, infiniment plus! Ce disque est abominablement produit. C’est insensé de l’avoir laissé sortir tel quel. Mes paroles tournaient alors exclusivement autour des filles et de l’alcool. Je parle désormais de la recherche du bonheur et de la manière de réussir sa vie.

Setlist du concert
01. Almost Good
02. Scent Of Your Benjamins
03. Leanin’ Load
04. Something’s Gotta Give
05. Edge Of The World
06. Fortune And Fame
07. If I Could (Make The World Stop Turning)
08. Too Hot
09. Maintain
10. Change Of Heart
11. Hard To Hold On
12. I Smell Trouble
13. Call ‘Em How I See ‘Em
14. Who’s Your Man
15. One Of These Days
16. That’s The Thing
17. This Time
18. Let’s Blow This Joint
19. Lookin’ Good
20. Sugar (Where’d You Get Your Sugar From)
21. Boogie Inc.
22. Woke Up Screamin’
23. Walkin’ The Dog
24. Trouble Come Around
25. Heart Fixer

Line-up
Shawn Pittman : guitare
Christian Bleiming : piano
Erkan Özdemir : basse
Boyd Small : batterie


Site internet
www.shawnpittman.com

Discographie
1997 Burnin’ Up (Cannonball)
1998 Something’s Gotta Give (Cannonball)
2001 Full Circle (Shawn Pittman)
2004 Stay (Shawn Pittman)
2009 Meridian (Shawn Pittman)
2010 Too Hot (Feelin’ Good)
2010 Undeniable (Shawn Pittman)
2010 Triple Troubles (Feelin’ Good)
2011 Edge Of The World (Delta Groove)

Shawn Pittman