ITW de Robert Cray

ITW de Robert Cray

ITW préparée par Anne Marie Calendini et Dominique Boulay
Traduction réalisée par Béatrice Chauvin
A Paris, le 9 juillet 2012
Photos: © Alain Hiot

De passage par Paris pour faire la promotion de son nouvel album avec le Robert Cray Band, ‘Nothin But Love’, sorti chez Mascot Records, le seizième en studio, le bluesman nous a reçu avec cette modestie et cette simplicité qui caractérisent la personnalité de cet immense artiste.

Bonjour Robert, et tout de suite une question à propos de la cover de ton nouvel opus qui rappelle fortement l’ambiance des années soixante. Est-ce voulu?
Je n’ai pas besoin de recréer cette atmosphère particulière. En fait, c’est juste une idée qui m’est venue comme cela. Je préférais ce type de couverture à une énième photo de moi assis, portant un T-shirt. Je me suis fait tout beau, costume, cravate, chapeau, devant une Cadillac des années soixante. C’est une image moderne et belle.

Est-ce une sorte de nostalgie?
Je ne pense pas qu’il y ait quoi que ce soit de nostalgique sur cette image. Je pense que l’album a ce type de feeling, propre et moderne…

Est-ce que tu accepterais le terme de crooner, type Sinatra, Sammy Davis Junior, Elvis Presley, en ce qui te concerne?
(rires) C’est ce que tu penses en voyant la couverture avec la petite cravate et le chapeau? En fait, lorsque nous avons fait le CD, nous n’avions aucun concept en tête. Nous sommes allés en studio et nous avions demandé aux musiciens du groupe de venir avec des morceaux et des idées. C’est ce qu’ils ont fait et c’est ainsi qu’ils ont même trouvé le titre phare de l’opus.

Faut il établir des différences entre les disques de Robert Cray et ceux du Robert Cray’s Band?
Non, c’est la même chose. J’inclus toujours les musiciens dans tout ce que je fais. C’est un groupe dans lequel chacun participe. Et ce, aussi bien dans l’élaboration des morceaux que dans les arrangements. En fait, il fallait un nom et on a mis le mien sur les pochettes. Tu vois, le premier morceau ‘(Won’t be) Coming Home’, appelé à devenir le Single, a été écrit par Richard Cousins, le bassiste, et l’un de ses amis. Tout comme il en a composé une autre, ‘Worry’. Mon claviériste, Jim Pugh, en a composé une aussi, ‘I’ll Always Remember You’. Tu vois, les trois premiers morceaux ont été écrits par d’autres que moi.

Comment cela s’est passé pour ce CD?
Nous sommes dorénavant produits par Provogue et Mascot Records. On les a rencontrés, nous avons discuté, et ils ont dit qu’ils seraient heureux de travailler avec nous. C’est Kevin Shirley qui a veillé à la production. On en avait déjà parlé et l’on s’est dit que c’était le bon moment pour le faire. Les deux albums précédants avaient été produits par Vanguard Records, This Time en 2009 et Cookin in Mobile en 2010. C’est donc pour nous un changement de label. Tout a commencé en avril. Chacun a commencé à préparer des morceaux. On n’avait encore rien de prêt, huit jours avant d’entrer en studio. Mais comme nous avions eu l’occasion de donner une douzaine de concerts dans les jours qui ont précédé, cela nous a donné l’occasion de nous rôder musicalement parlant. Ensuite nous sommes entrés en studio pour commencer à écouter et à jouer ce que les autres avaient composé. Nous sommes entrés dans le studio un dimanche. Dés le samedi suivant nous avions fini de travailler et d’élaborer les morceaux que chacun avait apportés. Il faut dire que nous les avions répétés pendant la semaine. C’est le lundi d’après que nous les avons enregistrés.

Peux-tu me donner ta définition de ce qu’est le Blues?
Pour moi le mot Blues évoque automatiquement quelque chose de triste. Je sais que certains parlent de Happy Blues, mais pour moi, cela ne peut être que quelque chose de triste. Du moins est-ce ma définition de cette musique.

Est-ce la raison pour laquelle bon nombre de tes chansons paraissent mélancoliques?
J’aime la musique qui suscite des émotions. Quand quelqu’un s’exprime surtout avec son cœur, c’est très bien pour moi. Si les gens sont touchés par ce que la musique exprime et ce que le message délivre, alors j’ai réussi!

A quel âge as-tu décidé que tu serais guitariste?
J’ai commencé à jouer de la guitare quand j’avais douze ans et je ne me suis plus jamais arrêté. J’en jouais partout, dans la chambre, dans le garage, dans l’orchestre de l’école. Mon bassiste, que j’ai rencontré en 1969, m’a dit un jour, en 1974: ‘Tiens, et si on allait à Eugene, dans l’Oregon, rejoindre un copain qui est batteur. On pourrait monter un orchestre.’ Hé bien depuis, nous jouons toujours dans le même groupe! (rire)

Tes parents t’ont-ils influencé?
Non, pas vraiment, mais je dois dire qu’ils possédaient une impressionnante collection de disques dans laquelle j’ai puisé pas mal de choses.

Et un beau jour tu as décidé que ce serait la guitare?
En fait, j’ai commencé par le piano. La guitare n’est arrivée qu’avec mes douze ans.

Et lorsque tu composes, utilises-tu la guitare électrique, l’acoustique, ou bien le piano?
J’utilise la guitare électrique ou acoustique. Et la guitare que je préfère est la Fender Stratocaster. Je joue toujours sur Fender ,et je possède une Robert Cray Stratocaster Modell Custom Shop. Cela fait un moment que j’utilise cet instrument. Auparavant, dans les années soixante dix, je jouais sur des Gibson. Mais en 1979, lorsque j’au vu Phil Guy, le frère de Buddy, jouer de la Fender, j’ai eu comme un coup de foudre. J’en suis tombé comme fou amoureux. Avec un son génial, tout comme une réverb du tonnerre. Tout m’a plu. Je me suis laissé séduire! Je suis devenu un Fenderman.

Qui sont tes guitaristes favoris?
Mon guitariste favori, parce qu’il a tout pour lui, c’est Jimmie Vaughan. Même s’il y en a beaucoup d’autres que j’apprécie. Mais Jimmie Vaughan, c’est énorme! A chaque fois que je joue avec lui, il me bluffe! Il joue tout simplement parce qu’il est très simple, lui-même. Mais il peut changer de style à tout moment. Il comprend tout, il est simple, dynamique, humble.

Que préfères-tu: jouer seul et être en tête d’affiche, ou bien partager le spectacle comme tu l’avais fait en 2006 avec Eric Clapton?
Cela m’est égal, du moment que je joue. Être en tournée avec Clapton, c’est une occasion exceptionnelle. Le magnétisme d’Eric Clapton sur la foule n’a rien à voir avec ce que je fais. Donc cela ne peut me déranger. Mon égo n’est pas affecté. C’est super d’être invité avec lui! C’est une expérience fantastique.

Tu as d’ailleurs été invité à jouer au Crossroads Guitar Festival de Clapton. Penses-tu, comme nous l’avait déclaré Jimmie Vaughan, que c’est surtout l’occasion de retrouver des tas de copains musiciens?
Exactement! Je pense la même chose que ce que Jimmie t’avait dit. C’est l’opportunité de retrouver des amis que l’on n’a plus la chance de croiser souvent compte tenu des activités de chacun. On se retrouve et l’on prend plaisir à jouer tous ensemble. C’est excitant de jouer ainsi tous ensemble. On se confronte aussi avec des musiciens venant d’horizons différents. La dernière fois que l’on a joué au Crossroads, ce sont les musiciens de mon groupe qui ont accompagné Jimmie Vaughan et B.B. King. C’est une superbe occasion de rencontrer plein d’artistes, comme Sheryl Crow ou Jeff Beck. Et je ne te dis rien sur ce qui se passe Backstage! Tout le monde est là et s’amuse. Tu rencontres des gens dont tu avais entendu parler mais que tu n’avais jamais vus auparavant. Tu ne connaissais que leur nom.

C’est bien de s’y trouver aussi pour les raisons caritatives que l’on connait.
Oui, évidemment! La prochaine fois, cela aura lieu à New York. Et je crois que ce sera encore l’occasion d’y voir un magnifique spectacle.

Si nous revenons maintenant sur le titre de ton nouvel opus, est-ce que cela signifie que tu ne parles que d’amour dans la galette?
Oui, nous parlons d’amour. Car cela fait partie du tout. Tout le monde cherche l’amour et la sérénité. C’est presque comme une contradiction avec la représentation de la couverture, car on pourrait croire en la voyant que cela ne va encore parler que de blues triste, alors que l’amour est tout sauf triste, même s’il rend aussi mélancolique, parfois!

Ecris-tu des choses plus engagées que les chansons d’amour?
Je pense qu’il est nécessaire d’écrire à propos des engagements sociaux et politiques. Je ne me suis pas spécialement investi sur les problèmes raciaux qui existent aux Etats Unis, mais j’ai écrit une chanson comme ‘I’m Done Cryin’, qui traite des conséquences de la crise des Subprimes pour ceux qui ont tout perdu, ou encore ‘Great Big Old House’ qui évoque les conséquences immobilières pour tous ces gens. Je parle des gens qui ont été victimes du système et floués au point de ne plus rien avoir!

J’ai croisé il y a quelque temps Joe Louis Walker qui portait un t-shirt dans le style ‘Votez Obama’! Est-ce que tu crois au pouvoir de la musique et des musiciens pour parvenir à changer les choses?
Oui, bien sûr que cela fonctionne! On peut d’abord parler de cela sur le plan collectif. Il y a beaucoup d’artistes qui se sont engagés et cela existe depuis déjà longtemps. Nous avons publié un disque en 2005 qui s’intitulait ‘Twenty’, sur la pochette duquel on voyait un jeune soldat dans le désert pendant la guerre d’Irak. C’était l’histoire d’un jeune patriote fier de servir son pays qui s’aperçoit qu’il a commis une énorme erreur, une fois débarqué dans ce pays. En plus, il appartient au groupe de ceux qui ne reviendront pas…! Mais on peut aussi l’évoquer sur le plan individuel. Un morceau de Blues triste peut aussi aider des individualités fragilisées par des événements de la vie. On peut s’identifier aux propos tenus par un chanteur. Les thèmes des chansons sont multiples et parfois, tel ou tel auditeur ou spectateur peut voir des similitudes avec son propre cas, et même trouver des solutions.

Qu’attends-tu des prochaines élections présidentielles?
Je pense qu’il faut qu’Obama soit réélu. Parce qu’il a commencé un boulot qui ne pourra totalement être accompli qu’au bout de plusieurs mandats. Pour que tout soit fait, il a besoin de temps. Richard a composé une chanson, ‘A Memo’, sur ce thème dans le nouvel album. Il fait parler le président Obama dans ce morceau et il dit que l’on a encore besoin de lui. Il veut installer un système de protection et de prévention sanitaire qui devrait être bénéfique pour tous.

Peux-tu nous parler de l’importance du blues dans les médias américains? En France, le Blues et le Jazz ne représente que 2% du marché total. Qu’en est-il aux Etats Unis?
Je ne sais pas exactement, mais cela doit être du même ordre! C’est un genre de musique que l’on doit chercher si l’on veut en écouter. C’est presque quelque chose que l’on n’écoute que grâce aux radios universitaires. Le segment d’amateurs doit être le même qu’ici, mais la population totale est plus importante qu’ici, alors cela représente quand même plus d’amateurs, en fait. A la radio, on ne passe que de la musique impersonnelle au kilomètre. Il faut s’estimer heureux lorsqu’un DJ explique l’origine des morceaux et raconte quelque chose. Mais de plus en plus de fans se rendent désormais compte qu’il n’y a pas qu’un Blues, acoustique et venant du Mississippi. Il y a une pluralité des Blues et cela, c’est réconfortant pour l’avenir.

Que représente un Grammy Award pour un artiste comme toi qui en a eu plusieurs? (15 nominations et 5 Grammy Awards obtenus!)
C’est une bonne chose. C’est une reconnaissance par tes pairs. Tu es reconnu dans l’industrie musicale, c’est cela l’essentiel. Tu ne travailles pas pour cela, mais c’est vrai que si tu en obtiens un, c’est quand même un plus!

As-tu ta place dans un Hall Of Fame aux Etats Unis?
Oui, la Blues Foundation m’a réservé une place au Blues Hall Of Fame de Memphis, Tennessee.

Robert Cray Band