ITW de Ragtime Manu

                  ITW de Ragtime Manu au Festival Blues en Loire

Préparée et réalisée par Dominique Boulay
Réalisée au Festival Blues en Loire 2010
Photos : Sylvie Cornu-Boulay

C’est à l’occasion du dernier Festival Blues en Loire que j’ai rencontré Ragtime Manu. L’opportunité d’écouter son opus et de lui poser quelques questions s’étant présentée, cela aurait été une erreur que de ne pas en profiter.

PM: Qui es-tu, Manu?
Ragtime Manu (RM):
Bonjour, je suis Ragtime Manu, pianiste depuis…longtemps, et j’habite l’Ile de France, du côté des Lilas, très exactement.

PM: A quand remonte ton engouement pour le piano, tout d’abord, puis pour le ragtime, ensuite?
RM:
Petit, j’ai suivi, et pendant longtemps, une formation des plus classiques. Au piano, bien sûr, mais j’ai également poursuivi des études sur la composition et l’histoire de la musique. A un moment donné, j’ai interrompu mon travail au clavier, et ce, pendant cinq années. J’écrivais alors de la musique pour de petits ensembles. Je m’étais mis à la contrebasse dans une formation que nous avions montée mon frère et moi. Et puis, un jour, je me suis rappelé de mes connaissances pianistiques et j’ai repris le chemin de l’instrument avec lequel j’avais débuté. C’est dans un atelier municipal où l’on jouait les standards du jazz moderne que le désir de remonter le temps m’a pris. J’ai fait cela par goût et pour l’intérêt historique. Le Stride (*) m’a beaucoup marqué. Je demeure un admirateur de Waller, Johnson, Morton et consort…. Et puis, petit à petit, je suis arrivé à Scott Joplin et au monde merveilleux et richissime du Ragtime.

PM: Comment es-tu arrivé à Scott Joplin?
RM:
Mon père, qui était un excellent batteur, pratiquait aussi le style New Orleans et j’ai donc eu l’occasion d’en écouter pas mal à la maison. Cela m’a permis d’opérer un retour aux sources à plusieurs niveaux. Alors que j’étais encore dans mes vertes années d’étudiant, je m’étais acheté un recueil de partition de piano jazz avec lesquelles je m’encanaillais, notamment avec ‘The Entertainer’, de Scott Joplin.

PM: Qu’écoutes-tu donc comme autres musiques?
RM:
Mes choix sont très hétéroclites et j’écoute un peu de tout: du classique, du jazz, de l’électro.

PM: Il doit certainement t’arriver d’écouter de bons pianistes dans d’autres domaines que le blues et le jazz, non…?
RM:
Les pianistes que j’ai le plus écoutés, hormis les jazzmen et les bluesmen, sont Glenn Gould, Alfred Brendel et Svjatoslav Richter. Ils appartiennent tous à l’univers du classique. En ce qui concerne les ragtimer français, je vous recommande Benjamin Intartaglia, un excellent pianiste!

PM: Peux-tu brièvement me parler de la somme de travail que cela représente que de jouer de cet instrument, et des sacrifices que cela représente quand tu es jeune et que les copains, autour de toi, sont plus insouciants…
RM:
Effectivement, durant mon enfance, j’ai vécu cette injustice, si on peut dire, mais le piano et la musique m’apportaient déjà beaucoup de satisfactions. Et en plus, j’y trouvais un intérêt que je ne trouvais pas à l’école. Mais les occasions de jouer avec les copains et de faire les 400 coups n’ont pas manqué.

PM: D’abord une passion, puis la décision de devenir musicien professionnel. Ce n’est pas une décision qui se prend à la légère… Comment cette décision a-t-elle mûri?
RM:
Elle a mûri en s’imposant petit à petit à moi. J’ai su très vite que le piano serait ma vie. Il m’a juste fallu un peu de temps pour pouvoir définir le terrain de son expression.

PM: Comment arrivais-tu à concilier travail scolaire et musique?
RM:
J’étais en horaires aménagés. C'est-à-dire que je n’allais au collège puis au lycée que le matin ou l’après-midi. Nous étions plusieurs adolescents dans le même cas, des musiciens, musiciennes, danseurs, danseuses. Ce qui attirait les regards envieux de la part de nos ‘codétenus’, victimes des horaires ordinaires.

PM: Dans quels endroits as-tu l’habitude de te produire?
RM:
Pour l’instant, j’ai plutôt l’habitude de jouer dans les bars ou les restaurants.

PM: Comment est venu ton intérêt pour le jazz? Ce n’est pas le genre musical qui attire spécialement les jeunes…
RM:
Mon père étant musicien et jouant de manière permanente, j’ai eu tout de suite beaucoup d’affinités avec ce style de musique.

PM: Est-ce qu’il t’arrive de jouer autrement que seul, en trio, quatuor, ou quintet?
RM:
Oui, je joue en sextet avec piano, contrebasse, batterie, guitare, trombone, clarinette, dans une formation que j’ai montée avec mon frère. Lui, il chante dans un style plus chanson et musique actuelles, allié à une bonne dose de swing.

PM: Quels sont tes jazzmen favoris? Et tes pianistes de jazz favoris?
RM:
Thelonious Monk, Duke Ellington, Charles Mingus, John Coltrane. Et puis aussi McCoy Tyner, Fats Waller, Jelly Roll Morton. Bref, que de vieux ‘machins’, vois-tu (rires)…!

PM: Qu’écoutes-tu, en ce moment…?
RM:
J’aime le blues traditionnel, roots. Je viens de découvrir Tim Lothar, et c’est une vraie révélation pour moi. Un danois qui joue et chante le blues façon roots de manière incroyable. J’apprécie aussi beaucoup la musique cajun, et du côté des harmonicistes, j’aime bien Toots Thielemans, un classique.

PM: Le ragtime pourrait être facilement associé au cinéma muet. As-tu déjà eu l’occasion d’accompagner des films muets?
RM:
C’est la même époque, en effet, et les pianistes qui accompagnaient les films muets jouaient dans les styles du moment: le ragtime et le stride. C’étaient de gros improvisateurs, à dire vrai…! Mais pour répondre précisément à ta question, non, je n’ai pas eu l’occasion de jouer pour accompagner des films. Et pour être franc, je dois avouer que cela ne m’attire pas vraiment.

PM: Est-ce que tu as déjà composé tes propres morceaux?
RM:
Non, je n’ai pas encore composé de rags ou de valses. Je suis interprète de ragtime mais aussi auteur-compositeur, mais c’est au sein de mon groupe, Frolo, le sextet dont je te parlais.

PM: Pourquoi as-tu fait le choix de reprendre quasi ‘à l’identique’ ce grand compositeur qu’est Scott Joplin?
RM:
Parce que les compositeurs de ragtime, et surtout Scott Joplin, ont apporté beaucoup de soin à l’écriture de leurs musiques. Le ragtime est une musique écrite, ce qui ne sera plus le cas dans ce qui en découla, le stride, le style News Orleans et le jazz. C’est une musique très ouverte sur l’interprétation et chaque pianiste qui s’y exprime le fait avec sa personnalité et son style. En commençant à travailler sérieusement Joplin, je changeais, de temps en temps, quelques formes d’accords, quelques articulations de phrasés, mais je me suis très vite aperçu que cela sonnait moins bien que la version originale.

PM: Est-ce que ‘Rags Valse Cakewalk’ est ton premier CD?
RM:
Oui, mais pas le dernier…!

PM: Et peut-on savoir quels sont tes projets immédiats?
RM:
Continuer à garder cette musique vivante, envers et contre tous, mais il est certain que j’ai besoin de l’appui du public, pour qui le ragtime est une sorte de ‘Madeleine de Proust’ musicale. Il faut que les gens comprennent que c’est un style qui fait partie d’un fond commun collectif. Il relève presque du Patrimoine de l’Humanité…! Et merci à toi d’en parler sur Paris-Move et dans Blues Magazine. A bientôt…!

(*) Le piano Stride ou Harlem Stride, est un style de piano jazz apparu à Harlem vers 1919. Hérité du ragtime, dont il tire les bases, ce style particulier utilise beaucoup plus l’improvisation que son prédécesseur et est basé sur le swing.

Ragtime Manu